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18/12/2011

Incident à Twenty-Mile, de Trevanian

incident_a_twentymiles.jpgUne chronique de Richard

«Incident à Twenty-Mile» est le premier roman à la sauce western que je lis depuis fort longtemps. Et quel plaisir j’ai eu à lire ce polar, ce thriller des sables qui m’a rappelé certains souvenirs de mon enfance: Roy Roger, Gene Autry, «Have gun, will travel» et «The rifleman». Et aussi, un peu plus tard, mais dans un genre bien différent, les westerns spaghetti de Sergio Leone.

«Incident à Twenty-Mile» contient tous les ingrédients de ces séries des années 60 qui ont laissé un petit goût de sable dans la bouche des jeunes téléspectateurs: l’étranger qui veut être gentil avec tout le monde mais qui cache un passé trouble, le méchant très méchant avec ses deux compères plus ou moins intelligents, le bar avec son propriétaire véreux et ses filles de joie, le magasin général et sa belle vendeuse, le barbier qui offre l’unique bain chaud de la semaine ... et le curé ... pas toujours catholique.

Mettez tout cela entre les mains du génial Trevanian et vous aurez un roman haletant, un récit qui se développe comme un cadeau de Noël qu’on aurait emballé de plusieurs couches de papier, une montée de tension bien dosée, des personnages caricaturaux mais tellement crédibles dans leur contexte. Et voilà, un grand roman d’un grand auteur !

Twenty-Mile est une petite ville qui ne vit que pour une nuit par semaine, quand la horde de mineurs descend le samedi pour y passer la nuit. Twenty-Mile, vous dites ? Ah oui, c’est son nom. On lui a donné ce nom car cette petite bourgade était situé à 20 milles de quelque chose ... Pas très édifiant !!!

«Il ne se passe absolument rien à Twenty-Mile. Et là, je te parle des jours où y se passe quelque chose»

Une journée, arrive de nulle part, un jeune homme ... trainant son maigre sac et un vieux fusil qui semble inutilisable. Il est gentil, un brin  manipulateur, quelque peu menteur, mais il semble inoffensif. Il fait le tour de tous les habitants pour offrir ses services en échange de quelques sous et d’un peu de nourriture.

Faisons un petit détour à la prison d’État de Laramie où nous rencontrons le prisonnier le plus dangereux, Lieder, grand lecteur devant l’Éternel et qui s’investit d’une Mission divine en lisant tout ce qui lui tombe sous la main (forcée un peu quand même !). Puis, un jour, ce dangereux prisonnier réussit, grâce à un subterfuge ignoble, à s’évader de la prison avec ses deux acolytes, Mon-petit-Bobby et Minus.

Et c’est à ce moment que commence cette descente aux enfers aux allures d’un long voyage à dos d’âne. D’un côté, un jeune homme bien qui cherche à s’intégrer dans une communauté particulière et un dangereux criminel qui, de crimes en crimes, s’approche de cette ville, pour la terroriser, la faire souffrir et en prendre le contrôle, au nom d’une mission ... qu’il qualifie de divine !

Ce roman de Trevanian, marqué par la manipulation et la violence, prend des airs de huis clos, où chacun des habitants est confronté à ses propres peurs, ses propres démons. Sont-ils tous des pleutres, des lâches enrobés dans leur couardise, prêts à tout pour sauver leur peau contre l’envahisseur ? N’ont-ils aucune conscience de la force qu’ils pourraient développer en se liguant, en se solidarisant ? Y a-t-il quelqu’un dans ce bled qui aura la force de caractère et de se lever debout devant la menace ?

Trevanian nous trace un portrait saisissant de l’âme humaine. Le comportement des habitants de la ville choque parfois le lecteur impatient, qui voudrait, tout de suite, prendre les armes, dans le confort de son salon. Mais il gâcherait tout son plaisir en précipitant une fin attendue, dans une pétarade démesurée et jouissive; l’auteur connait l’âme humaine et surtout, sait comment donner du plaisir à son lecteur.

Le style de Trevanian est direct, concis et efficace. Les descriptions vont au coeur des choses, des paysages et de l’esprit humain. Sans détours, ni trop de fioritures, il transporte le lecteur au plus profond de l’humain, avec une langue riche et précise. La beauté de la phrase est dans l’action, celle du texte, dans un récit qui emprisonne doucement celui qui le lit. Et en plus, l’auteur réussit le tour de force d’adapter le langage de chaque protagoniste, de donner à chacun sa propre couleur, son propre rythme et son imaginaire particulier. Je vous l’avoue, j’adorais lire les longues répliques du méchant Lieder, qui, du haut de ses connaissances bibliques et livresques, jouait impunément avec une gamme d’émotions souvent contradictoires et tentait de convaincre ceux qui allaient vivre ou mourir, du bienfait des gestes qu’il poserait.

Et voici quelques extraits ... pour savourer le style de Trevanian:

«Pendant ce temps-là, moi, j’ai été plus affairé qu’un unijambiste en plein concours de bottage de cul !»

Voici une description sur la construction de l’Amérique par l’immigration: «Quand vous arriviez, vous vous faisiez exploiter par ceux qui étaient arrivés avant vous. Puis, si vous étiez malin et travailleur - et chanceux, fait pas oublier chanceux ! - vous pouviez devenir des exploiteurs à votre tour. C’était la Grande Promesse de l’Amérique !»

«La manie blasphématoire de Lieder d’inventer des citations des Écritures et de les attribuer à «Paul aux Mohicans», ou «Paul aux Floridiens» ...»

Je vous souhaite une très bonne lecture et vous recommande ce roman ... pour le plaisir de découvrir un roman intelligent, bien écrit. Et de découvrir une parodie de western, pas si loin de la vérité.

Et en prime, vu que vous avez été gentils ... je vous mets le lien vers la chronique de mon amie Morgane sur ce même livre :

http://carnetsnoirs.wordpress.com/2011/12/06/reglement-de...
 

Et pour ceux qui ne connaissent pas le phénomène Trevanian, voici un endroit qui vous en apprendra un peu plus sur cet écrivain bien spécial:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Trevanian

Richard,
Polar Noir et blanc :
http://lecturederichard.over-blog.com/


Présentation de l'éditeur
En 1898, au coeur des montagnes du Wyoming, la petite bourgade de Twenty-Mile n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle vient à s'animer lorsque débarque un jeune étranger désireux de plaire à tout le monde, avec pour seul bagage un vieux fusil et un lourd secret. Au même moment, un dangereux détenu s'échappe de la prison territoriale de Laramie en compagnie de deux tueurs dégénérés. Il commence à tracer un sillon de violence à travers l'Etat avant de décider de s'emparer de la petite ville pour y attendre le prochain convoi venu de la mine d'argent. L'isolement de Twenty-Mile, encore renforcé par une terrible tempête, va coûter cher à ses habitants. Avec Incident à Twenty-Mile, resté inédit en français, Trevanian propose une nouvelle lecture du western qui dynamite les conventions du genre. L'auteur de Shibumi et de La Sanction nous offre une oeuvre tout à la fois brillante et nostalgique.