Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/12/2011

L'Apothicaire, de Henri Loevenbruck (chronique2)

l_apothicaire.jpgUne chronique d'Oncle Paul.

Depuis quelques temps sévit sur la toile une sorte de secte d'intrégristes littéraires composée de sectaires et de censeurs, tombant à bras raccourcis sur quelques auteurs de thrillers. Que ces démolisseurs préfèrent le roman noir au thriller, c'est leur goût et je n'en disconviens pas. Mais qu'ils laissent aux lecteurs le choix de leurs lectures. On peut regretter le démarchage commercial et publicitaire qui a été posté chez quelques blogueurs, une présentation vénéneuse, mais cela doit pas devenir une levée de boucliers totalement contraire au respect de la personne et à celui de la création. Il est fort dommage que des romanciers n'obtiennent pas le succès mérité, mais de tout temps cela a existé, quelque soit la discipline artistique. Je pense notamment à Modigliani, décrié, vilipendé durant de son vivant et dont les toiles aujourd'hui valent une fortune. Alors comme j'avais aimé le roman d'Henri Loevenbruck, l'un des auteurs confronté à l'ire de ces censeurs, j'ai décidé de remettre en ligne ma chronique qui avait été postée sur Mystère Jazz.

   Il est permis de violer l’histoire, à condition de lui faire un enfant. En mettant en exergue de son roman cette phrase d’Alexandre Dumas, Henri Loevenbruck annonce la couleur, une intrusion dans l’univers médiéval, avec imbrication de personnages et faits réels et fictifs. Mais il emprunte également les petites astuces susceptibles d’entretenir le lecteur en dépendance, de le tenir en haleine, de l’inciter à poursuivre la lecture malgré l’avancée inconsciente des aiguilles de la pendule. A plusieurs reprises il s’adresse au liseur en l’invitant à partager sa narration, en lui promettant de revenir sur des événements, en lui faisant envisager des retournements de situations. Ainsi ai-je glané au hasard ces quelques lignes significatives : Afin de dissiper tout mystère superflu, il convient d’expliquer au lecteur – qui pardonnera la digression nécessaire à l’historien que nous voulons être - comment il fut possible à Andreas Saint-Loup … Ou encore un peu plus loin : C’est précisément en ce moment – mais dans un autre pays - que bascula la vie d’un second homme. Certes, le lecteur ne pourra pas, d’emblée, percevoir le lien entre ces deux événements distincts, mais si nous menons à bien la tâche qui nous est impartie et qu’il veuille bien lire cette histoire jusqu’à son terme, il découvrira sans doute la secrète causalité de leur coïncidence. Enfin dernier exemple que je me permettrai de vous signaler, afin de ne point trop en dire mais de toutefois vous allécher : Le lecteur nous pardonnera à présent si, pour le bénéfice de la narration, nous choisissons d’accélérer – mais un instant seulement – notre relation des faits, et brossons en quelques pages ce qu’il advint pendant les quarante-cinq jours qui suivirent ce qui vient de lui être rapporté. On retrouve dans ces quelques lignes le respect qu’affichaient envers leurs lecteurs les feuilletonistes du XIXème siècle, tout en les appâtant insidieusement.

Il serait malséant de ma part de vous faire languir plus longtemps et je vous propose donc d’entrer sans plus attendre dans le vif du sujet, et vous narrer les prémices de cette histoire dont l’intrigue est captivante. Attachons-nous donc au personnage principal, Andreas Saint-Loup, plus connu par sous l’appellation de l’Apothicaire auprès de ses voisins, des chalands et nombreuses pratiques qui viennent se procurer des onguents et autres pharmacopées, ainsi que de ses confrères et autres médicastres. Il frise la quarantaine, réside dans un petit immeuble de la rue Saint-Denis à Paris qui abrite également son échoppe et son laboratoire.

Nouveau-né abandonné sur le parvis de l’église Saint-Gilles, dans l’enceinte de l’abbaye Saint-Magloire, il a été recueilli par l’abbé Boucel avec lequel il entretient toujours des relations suivies mais souvent tendues.

En ce matin du onze janvier 1313, plusieurs événements vont se produire, qui apparemment n’ont aucun lien entre eux. D’abord, Jehan son apprenti depuis six ans doit célébrer sa maîtrise et montrer au collège des apothicaires son chef d’œuvre. Mais en descendant l’escalier qui le conduit au rez-de-chaussée, Saint-Loup aperçoit une porte à mi-étage, porte qui aujourd’hui l’intrigue. Il n’y a jamais fait attention et une pulsion subite lui impose d’ouvrir l’huis. Il découvre une pièce vierge de toute poussière alors qu’il est sûr de n’y être jamais entré. Interrogeant le couple de valets qui le servent depuis près de dix ans, ceux-ci sont également dubitatifs. Puis son regard est accroché par un tableau qu’il possède depuis des années, le représentant dans la tenue de sa profession, peint par un artiste de ses connaissances. Or un tiers du tableau est uniformément effacé comme si un personnage qu’il aurait dû représenter s’était enfui. Il embauche un nouvel apprenti, Robin, jeune garçon étourdi mais qui démontre d’énormes capacités susceptibles d’être mises en valeur avec un peu d’opiniâtreté et d’effort de mémorisation.

Dans ce quartier aujourd’hui réputé chaud, il en allait déjà de même et des fillettes proposaient leurs charmes aux âmes esseulées ou en manque. Une ordonnance veut les expulser et l’Apothicaire ne comprend pas cette décision, aussi il se rebiffe, se retournant vers l’abbé Boucel, mais la décision vient de plus haut. Du Chancelier et garde du sceau, Nogaret, du Roi Philippe le Bel, du Pape, tous ayant une bonne raison financière pour récupérer les lieux investit par ces prostituées qui offensent ostensiblement la religion, mais pas toujours ses représentants, pour des raisons purement charnelles et hygiéniques. L’Apothicaire devient un empêcheur de tourner en rond et s’attire les foudres de la royauté et de ses représentants. Pour de vagues arguties de manquement à la religion, aux fêtes de Carnaval et autres justifications fallacieuses énoncées par Nogaret, il est emprisonné dans la forteresse du Temple qui à l’époque se situait en dehors des fortifications parisiennes. Là il fait la connaissance de Jacques de Molay le grand maître des Templiers, ordre décimé depuis quelques mois, lequel lui propose de rencontrer le responsable d’une Schola gnosticos. L’Apothicaire est libéré grâce aux efforts de Robin qui plaide sa cause auprès de l’abbé Boucel, lequel intercède auprès d’Enguerrand de Marigny, le puissant conseiller du roi. Nogaret et Marigny s’affrontent dans une guerre larvée dont L’Apothicaire paie les frais, sous forme d’un incendie détruisant ses échoppe et laboratoire. Il ne lui reste plus qu’à fuir et prendre le chemin de Compostelle et trouver en route le dignitaire de la Schola Gnosticos, lequel devrait pouvoir lui apporter des éléments de réponse à ses tourments.

Pendant ce temps à Béziers, alors qu’il neige et que le froid règne, Aalis, jeune fille d’une quinzaine d’années mais déjà mûre physiquement, dont les parents sont drapiers et apprécient avec complaisance que François, le fils du prévôt, la courtise activement, Aalis se rend dès qu’elle le peut et malgré les avis négatifs de ses parents, un vieil homme qui vit chichement dans une cahutte retranchée dans la forêt. Zacharias, tel est le nom de l’ermite par obligation, est juif et donc honni par la société, et reçoit toujours avec plaisir la visite de la jeune fille. Mais ses forces déclinent et il lui confie la mission de remettre à son fils qu’il n’a pas vu depuis longtemps un psantêr, une sorte de cithare. Un jour, elle retrouve Zacharias mort, non de froid ou de faim, mais roué de coups. Elle suppose que le meurtrier est son père et s’enfuit après avoir incendié la maison familiale.

Comme il s’agit d’une histoire triangulaire, il me faut maintenant vous narrer un troisième événement qui se déroula en concomitance avec le début de cette histoire. Juan Hernandez Manau, qui vit à Pampelune, reçoit la visite de deux hommes, lesquels désirent obtenir le nom d’un personnage qu’il a rencontré neuf ans auparavant. Afin de parvenir à ses fins l’un des deux individus commence à énumérer les moyens de torturer avec efficience, plus de trois cents méthodes pratiquées à l’encontre de récalcitrants à dévoiler des secrets qu’ils ne recèlent pas toujours. Impressionné, Manau dévoile l’identité de son visiteur qui n’était autre qu’Andreas Saint-Loup.

 Amis lecteurs, vous me trouverez sans aucun doute fort disert, mais sachez que je n’ai fait qu’effleurer les prémices de cette histoire intrigante, mouvementée, riche en suspense, dont le personnage principal, Andreas Saint-Loup est un être atypique pour l’époque. Quoique recueilli et élevé par un abbé qui est devenu son parrain, il se méfie de la religion, et de tout le monde en général. Des médecins, des chirurgiens, des herboristes, de la prévôté, des membres de la Hanse des marchands. Seuls le couple de valets qui le sert, des victimes de la société comme les fillettes, ou des relations éminemment savantes en philosophie et en rhétorique trouvent grâce à ses yeux, et à ses paroles qui parfois peuvent être blessantes. Il vénère les philosophes grecs et latins mais surtout des hommes comme Thomas d’Aquin et Roger Bacon auxquels il se réfère souvent. Et nous pourrons le suivre dans ses moult aventures mouvementées, ainsi que celles d’Aalis, dans divers endroits, ses tribulations le conduisant jusqu’à Compostelle et le mont Sinaï.

Conte philosophique (conte décliné sur six cents pages quand même) et suspense ésotérique, cette intrigue devrait passionner non seulement ceux qui apprécient les histoires qui se déroulent à une époque que l’on appelle communément Moyen-âge, et qui n’était pas une période si ignorante et obscure que certains manuels d’histoire le prétendent, des histoires habilement construites avec un suspense entretenu, une narration et un style élaboré, fouillé, éblouissant, plein de saveur, ainsi que des personnages hauts en couleur. Même les passages qui explorent la philosophie ne sont en rien ennuyeux, pesant, mais apportent une vision de la profonde réflexion sur les discussions entre érudits et à laquelle on pourrait adhérer aujourd’hui.

Les lectures de l'oncle Paul


Henri Loevenbruck : L’Apothicaire.
Editions Flammarion.
608 pages.
22€.