06/12/2011
Séquestrée, de Chevy Stevens
Une chronique de Christophe.
" Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître" (Voltaire).
Après le grand air des routes de Saint-Jacques de Compostelle et du Sinaï, cadre de "l'Apothicaire", de Henri Loevenbruck, voici un thriller, aussi original dans son fond que dans sa forme, qui devrait vous rendre claustrophobe voire un tantinet parano... Chose remarquable, ce roman est signé par une jeune femme, Chevy Stevens, agent immobilier de son état, comme son héroïne... Mais, si on trouve ce livre en France soit sous le titre "la cabane de l'enfer", soit sous celui de "Séquestrée" (en grand format chez l'Archipel, version que je possède), aucun des deux ne me semble mieux résumer l'histoire que son titre original : "Still Missing" (toujours portée disparue). Explications...
Annie O'Sullivan a 32 ans et vit sur l'île de Vancouver, au Canada. Lorsque s'ouvre le livre, dont elle est la narratrice, elle arrive dans le cabinet d'une psy, pour une première séance. On comprend que ce n'est pas sa première tentative thérapeutique mais on pressent que cette fois sera la bonne.
Toutefois, les conditions posées par Annie pour sa thérapie sont très strictes et commence un monologue au cours duquel le lecteur se trouve dans la position de la psy, réduite au rôle d'oreille attentive, tandis que Annie va déverser les terribles raisons qui l'ont amenée dans ce cabinet. Car, la vie de cette jeune femme a basculé plus d'un an auparavant...
Annie était alors agent immobilier. ¨Pour vendre une maison, elle avait organisé une journée portes ouvertes durant laquelle elle devait accueillir les visiteurs. Mais la journée s'était avérée plus calme qu'elle ne l'escomptait. Jusqu'à l'arrivée de David, un homme apparemment sympathique et curieux de se renseigner sur la maison.
Emue par la maladresse du bonhomme, Annie ne s'était pas méfiée. Mal lui en avait pris, car l'homme était loin d'être aussi sympathique qu'elle ne l'avait cru de prime abord : après avoir braqué la jeune femme avec une arme puis l'avoir entraînée dans son véhicule, il avait fini par la droguer...
Lorsque la jeune femme se réveille, elle se trouve dans une cabane en rondins, mais c'est la seule chose qu'elle peut savoir sur le plan géographique... Quant à son ravisseur, elle est totalement à sa merci.
Bien vite, l'homme agresse Annie, lui impose des règles de détention draconiennes, dignes d'une véritable prison : pas de sortie, repas, toilettes, besoins naturels à heures fixes, interdiction de faire quoi que ce soit sans autorisation. Et, bien sûr, il la violente, la bat et assouvit (ou tente d'assouvir) ses fantasmes sur sa victime, complètement dépassée par les évènements.
Cette séquestration va durer un peu plus d'une année, année terrible pour Annie qui va essayer tant bien que mal à son geôlier, mais qui ne pourra l'empêcher de la détruire, sans doute plus psychologiquement que physiquement. Elle ne va sortir que deux fois du cabanon, et les deux fois, l'expérience tournera court et s'avérera douloureuse.
Un an prisonnière de ce fou, à subir ses assauts, ses humeurs... Jusqu'à la délivrance, à la première inattention de son ravisseur. Mais, Annie est-elle pour autant délivrée ? Pas sûr...
Je ne vous en dis pas plus, il faut lire le livre pour ressentir la claustrophobie et les sévices, physiques et psychiques, que la pauvre Annie se voit infliger... Mais, le récit de sa terrible mésaventure n'est pas un récit linéaire, du premier au dernier jour de sa détention. Non, c'est un discours sans fil directeur, qui mêle des éléments datant d'avant, de pendant et d'après le kidnapping.
Annie se raconte, se dévoile à sa psy comme jamais elle ne l'a fait auparavant auprès de quiconque. Elle évoque sa famille, son père et sa soeur, morts accidentellement des années plus tôt, sa mère, remariée et qui a un sérieux penchant pour la bouteille, son ex, Luc, leur relation n'ayant pas survécu à sa disparition, sa meilleure amie, Christina, agent immobilière comme elle, mais dont l'amitié n'avait jamais été mise en danger par la rivalité professionnelle... Evidemment, elle parle de cet inconnu qui lui a fait subir le pire des traumatismes.
Enfin, elle raconte sa délivrance et sa difficile renaissance à la vie. Car, pour être abîmée, elle est abîmée, Annie. Incapable de retrouver une vie "normale", toujours conditionnée dans sa vie quotidienne par le rythme qui lui a été imposé pendant plus d'un an, inexorablement, incapable de dormir dans son lit, quand elle arrive à dormir, incapable de reprendre le fil de sa vie... Elle sursaute à chaque bruit suspect, craint qu' "il" ne revienne, même en sachant que ce n'est pas possible...
Elle a changé, forcément. Mais tout son univers a changé. Sa famille, ses amis ont changé. Elle est traquée par la presse qui veut son témoignage, par les studios hollywoodiens qui veulent faire un film de sa vie, par ses proches, d'une certaine manière, qui essayent de l'aider comme ils peuvent et obtiennent, inévitablement, l'effet inverse...
Alors, elle parle, elle parle aussi de l'enquête, qui avance à tous petits pas, de son besoin de comprendre pourquoi ce drame s'est abattu sur elle, son envie de détester tout cet entourage sans y parvenir, la haine qu'elle ressent pour elle-même de s'être laissée faire, d'avoir été lâche ("ma résistance, ce n'était pas de l'héroïsme, c'était de la lâcheté")...
Loin d'être libérée, au sens figuré, Annie reste prisonnière de cette effroyable expérience et, longtemps, on voit mal comment elle va pouvoir briser les chaînes mentales qui l'entravent. Mais, entre la première et la dernière séance chez la psy (comprenez le premier et le dernier chapitre du roman), les choses vont se décanter de façon plutôt inattendu.
Et Annie aura des réponses...
Difficile d'évoquer les thèmes sous-jacents de ce thriller réussi sans dévoiler l'intrigue, mais croyez-moi, c'est dur !!! Et ça me plairait d'en discuter avec les visiteurs qui ont déjà lu (et, j'espère, apprécié) "Séquestrée".
Saluons quand même le fond et la forme de ce roman. Ce monologue fonctionne, le rythme est bon, on ressent l'angoisse, la violence des faits et des émotions, la douleur peut-être mieux qu'avec un récit raconté de l'extérieur. Disons-le, on sent monter cette hystérie, cette folie que génère en elle l'angoisse a posteriori. Le récit d'Annie est poignant, teinté d'un humour désespéré. On suit son évolution psychologique entre la relation des faits passés, ce qu'elle vit au quotidien entre deux séances et ses réactions devant la mise au jour, petit à petit, de la vérité...
Et c'est justement tout ce récit qui donne une puissance remarquable à l'idée narrative de ces séances chez le psy, car, entre désespoir, honte, colère, effarement, Annie est en proie aux émotions les plus rudes à encaisser et ce soutien ne peut que l'aider, si ce n'est concrètement, au moins lui permettre d'expulser ce traumatisme enkysté profondément en elle.
Dans la catégorie thriller psychologique, "Séquestrée" est une découverte intéressante. Chevy Stevens y raconte manifestement un de ses cauchemars les plus envahissants, mais y ajoute un dénouement terrible et pourtant libérateur pour Annie.
Plus rien ne sera plus comme avant et rien n'effacera jamais totalement les traumatismes subis. A la dernère page, on n'a pas une mièvre happy end mais juste une lueur d'espoir qui brille enfin...
Christophe
16:04 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |