Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/09/2012

Derrière la haine, de Barbara Abel (chronique 1)

Derriere-la-haine.jpgUne chronique de Richard.

 Certains écrivains nous impressionnent par la qualité de leur langue et de leur style, d’autres nous harponnent avec un récit bien ficelé et une intrigue prenante. Barbara Abel a su allier ces deux grandes qualités tout en nous démontrant une maitrise presque parfaite dans l’art de nous tisser un récit où l’horreur s’installe graduellement et entortille le lecteur jusqu’au moment ultime où la finale devient presque intolérable.
«Derrière la haine» est un roman où l’humain ordinaire, placé dans une situation hors de l’ordinaire, choisit des chemins horribles devant un carrefour de possibles. Le lecteur assiste impuissant à cette longue descente aux enfers, s’identifie aux deux couples, pleure et s’émeut, puis sans s’en rendre compte, porte un jugement sur les choix faits par les personnages. Mais, le lecteur se garde une petite gêne , manifeste un peu de prudence car l’inévitable pourrait aussi lui arriver.
Osera-t-il lancer la première pierre ?
Voyons donc l’histoire.
Une maison jumelée. Deux couples habitent les logements séparés par un simple mur mitoyen. L’entente est parfaite !
D’un côté de la haie, il y a Tiphaine et Sylvain. Une sombre histoire les a réunis; pourrait-elle être la mèche qui une fois allumée, pourrait faire exploser ce couple si aimant ? Cette histoire, cet événement au milieu duquel le couple se rencontre, est vraiment une très belle trouvaille de la part de l’auteure. Quelle imagination, quel plaisir de se faire surprendre par un tel fait divers. J’ai apprécié !
De l’autre côté de cette haie, si peu imperméable, Laetitia et David : couple sans histoire, sans famille, excellents voisins. Pour seule famille, Ernest, l’agent de probation de David qui sera le parrain de leur futur enfant.
Les deux couples se fréquentent assidument et l’arrivée des enfants consolide le rapprochement entre les deux familles. Les parents sont des amis proches, les deux garçons le seront aussi. Ils sont voisins, ils seront presque frères. Milo et Maxime sont attachants et cadrent très bien dans l’univers aimant de leurs quatre parents.
Puis soudain, le drame survient ! Ce bel équilibre est menacé ! Tout va-t-il s’écrouler ? La tension monte graduellement, chacun des personnages révèle des aspects particuliers de son caractère; des grands pans de leur histoire remontent à la surface et viennent brouiller une réalité déjà assez confuse. La course effrénée vers l’escalade commence et personne ne sait jusqu’où elle va s’arrêter. «... les jours passaient avec cette obligation absurde de continuer à vivre ... Poursuivre un simulacre d’existence sur fond de normalité, faire semblant, faire comme si.»
Le roman se déroule donc comme un film avec une fin inéluctable. L’écran s’est fermé, il ne reste qu’une faible lumière au centre de cette noirceur. Les spectateurs sont encore assis dans la salle et ils assistent aux déplacements des fantômes qui sont restés enfermés entre leur vie d’avant et celle qui leur reste. Aucun spectateur ne quitte la salle. Le générique défile. Les fantômes vivent encore. Mais si peu ! Une question se pose, une question morale: et si nous avions été à leur place ?
«Derrière la haine» est le troisième roman de Barbara Abel. Je n’ai pas lu les deux premiers mais je peux d’ores et déjà dire qu’elle a un talent certain pour décrire l’horreur, cette horreur qui se répand sur le monde ordinaire, dans toute la simplicité de leur quotidien. Hier, nous étions heureux; aujourd’hui, le monde nous écrase avec sa chape de plomb.
Une des grandes qualités de ce roman réside surtout dans la capacité de son auteure à nous attirer dans cette spirale angoissante sans nécessairement violenter le lecteur. Tout doucement, étape par étape, on se sent attiré vers le bas, tout en étant le témoin impuissant du drame qui se joue au fil des pages.
L’écriture est efficace; on se laisse emporter par le style ... que j’oserais qualifier d’indirect: l’auteur nous manipule discrètement, nous amène où elle le désire, transforme des évidences en mauvaises pistes, nous rattrape gentiment en nous faisant croire les possibles ... et nous assomme, à la fin, avec l’impossible que nous n’avions pas imaginé, ni attendu.
On en ressort, stupéfait, un peu décontenancé mais tellement content de notre voyage au pays de l’horreur humaine. Puis on s’étonne d’avoir rencontré, au détour d’une phrase ou d’un événement, une image saisissante, une comparaison étonnante ou une phrase à couper le souffle.
«On eut dit que la souffrance s’était matérialisée en une sorte de mélasse qui engluait tout, les secondes comme les gestes, les figeant dans une immobilité dont il était difficile, presque douloureux, de se dégager.»
J’ai beaucoup aimé ce roman. Quelques fois, j’aime savourer un roman, prendre le temps de le déguster, retarder le moment où la finale sonne la fin de la récréation. «Derrière la haine», je l’ai lu en moins de 24 heures, avec l’urgence d’en savoir plus, avec le goût de savoir enfin où les événements transporteraient les habitants de cette maison jumelée.
Et voici quelques autres extraits démontrant le style de Barbara Abel.

«Petits et grands se retrouvaient donc pour achever une longue journée d’active passivité, de coups d’œil sur une montre qui semble s’être arrêtée, et partager ensemble un goûter tardif ou un apéro anticipé.»
« Un cri qui n’en finit pas. Un cri dont l’écho résonna longtemps, secondes d’éternité, comme si le combat que se livraient sans merci le silence et le bruit pouvait encore déjouer le cours du destin. Un torrent aux eaux tumultueuses se fracassait contre la structure trop rigide d’une digue, ondes volages qui allaient et venaient sans relâche, malgré le courant qui s’épuisait, pour bientôt ne plus émettre que le clapotis ténu d’un souffle ultime.»
«Chiffres esseulés qui flottent dans un océan d’approximation, se fracassent les uns contre les autres, se délitent pour ne laisser qu’une cruelle solitude.»
Je vous recommande ce roman ! Vous passerez un très bon moment. Émotions et frissons garantis !

Dernière petite note avant de vous quitter. Il faut souligner l'excellence de la couverture de ce roman. Je parlais dans ma chronique d'écran de cinéma, ici il faut dire que cette page couverture dépeint très bien la scène ... du drame. Excellent choix !! Souvent durant ma lecture, j'ai pris quelques secondes pour m'y complaire, pour me tremper dans cette atmosphère au ciel si menaçant ! J'adore les images qui nous parlent ...

 

Bonne lecture !

 Richard, Polar Noir et blanc


Une autre chronique sur ce roman, celle de Paco.


Derrière la haine
Barbara Abel
Fleuve Noir
2012
317 pages

 

Pour connaître un peu mieux Barbara Abel: Le blog d'une polardeuse.