20/09/2012
Un pied au paradis, de Ron Rash
Une chronique d'oncle Paul.
Dans cette partie nord de la Caroline du Sud, non loin de sa petite sœur la Caroline du Nord et de la Géorgie, les paysans cultivaient dans les années 50 le maïs, le tabac, les haricots et les choux. C’étaient de petites parcelles travaillées à la main et à l’aide d’un cheval de labour, le terrain en pente ne se prêtant guère aux engins motorisés et les cultivateurs n’ayant pas les moyens de s’en acheter.
Et en ce mois d’août 1952, à Jocassee, la sécheresse guette les récoltes, sauf celle du tabac et des choux car les plantations jouxtent la rivière et sont donc irriguées. Billy Holcombe entretient ses parcelles malgré un léger handicap dû à une poliomyélite contractée alors qu’il était tout jeune. Il sarcle ses plants de tabac, un travail pénible à être à longueur de journées le dos plié, à surveiller l’apparition de maladies et d’insectes nuisibles. Le shérif Alexander le surprend dans cette tâche harassante mais Billy n’a pas l’air étonné de recevoir cette visite impromptue.
La veuve Winchester s’est plainte de la disparition de son fils Holland jeune homme bagarreur, de retour de Corée, obtenant la Golden Star, et elle a accusé Billy de l’avoir tué. Holland avait enfilé ses affaires militaires, laissant son pick-up dans la cour. Elle assure avoir entendu un coup de fusil. Trois raisons pour affirmer que son gars a été assassiné et que Billy en est le meurtrier.
Le shérif Alexander demande donc à Billy s’il a aperçu Holland, lui posant des questions pièges, mais à chaque fois Billy s’en sort avec une pirouette. Alexander est persuadé que Billy a perpétré un meurtre, mais il n’a rien sous la main pour étayer son intime conviction. Des buses dans le ciel ? Ah oui, c’est à cause de mon cheval que j’ai dû abattre. Peux-tu m’emmener sur place ? Oui, pas de problème. Ton cheval blessé à la patte, il a traversé quand même la rivière ? Oui, le l’ai aidé.
Le lendemain, accompagné de son adjoint et de quelques gars, Alexander participe aux recherches mais pas de corps. Il traîne bien le cadavre du cheval sur quelques mètres, mais pas la moindre trace de terre fraîchement remuée. Une intime conviction, pas de preuves, pas de cadavre, rien, il ne possède rien de tangible, de concret.
Un roman qui se décline comme un quintet, cinq voix pour narrer ce qu’il s’est véritablement passé, et la suite vingt ans plus tard. Après le récit du shérif, c’est Billy qui donne sa version, plus complète, incluant le passé, le présent et l’avenir, sa version, celle qu’il peut raconter car il ne connait pas tout. Ensuite sa jeune femme prend la parole, approfondit cette version, l’enrichit d’éléments nouveaux, mais l’histoire ne s’arrête pas en si bon chemin. Le fils lui aussi apporte sa pierre à l’édifice vingt ans plus tard, enfin l’adjoint du shérif Alexander offre sa touche finale.
Dans une ambiance profondément rurale, ce roman se démarque profondément de ce que l’on peut lire actuellement. Pas de violence et de scènes de sexe gratuites. Tout est dans le suggéré, parfois dans le non dit, avec une forme de tendresse envers les personnages. Billy Holcombe et Amy sa femme, mariés jeune, surtout elle, qui sont confrontés aux difficultés de la terre et de la semence, Holland Winchester, un gars hâbleur qui jouit de sa participation à la guerre de Corée, sa mère persuadée, sûrement à raison, du meurtre de son fils mais ne pouvant qu’évoquer des suspicions, la veuve Glendower, pratiquant la médecine phytothérapique.
Et par-dessus tout ça plane le spectre de la Carolina Power, une compagnie qui met tout en œuvre pour édifier un barrage. Car en ce coin d’Amérique profonde, les Holcombe par exemple ne sont pas reliés à l’électricité. Et s’il fallait placer un parallèle, comme en quatrième de couverture est évoqué Giono, je pencherai aussi en gardant le contexte français pour Jean-Pierre Chabrol. Un roman dur et tendre à la fois, dans lequel l’enquête policière ne sert que de support, chacun des protagonistes se dévoilant peu à peu telle une strip-teaseuse pudique. A signaler que Jocasssee est devenu un lac dans les années 70, situé non loin de Salem et fut un ancien territoire Cherokee, comme le précise dans son livre Ron Rash qui part donc d’un élément concret pour écrire son histoire.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Un pied au Paradis. (One foot in Eden- 2002)
Ron RASH
traduit de l’anglo-américain par Isabelle Reinharez. Réédition Editions du Masque).
Le Livre de Poche Policier
320 pages. 6,60€.
17:42 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |