20/01/2019
Mon ombre assassine, de Estelle Tharreau
Une chronique de Cassiopée
Chronique d’une construction de violence ordinaire…..
La maîtresse est en prison.
Il paraît qu’elle aurait tué plusieurs personnes.
Les gens sont méchants.
Une si gentille institutrice, dévouée, aimée de ses élèves et de leurs parents.
C’est vraiment n’importe quoi, il faut qu’on la soutienne, qu’on témoigne….
Nadège Solignac attend dans sa cellule d’être jugée et elle se raconte. Employant le « je », elle nous intègre à sa présentation, nous prenant en otage de sa folie, nous entraînant avec elle dans la noirceur de son âme… Extraits de presse, témoignages divers sont présentés en alternance avec le récit de sa vie. Est-ce que raconter tout ce qui lui est arrivé, en nous montrant combien c’était difficile, lui est nécessaire pour chercher une quelconque justification de ses actes ? Est-ce que c’est parce qu’elle n’a pas été aimée, qu’elle a détesté les autres ? Que voulait-elle faire de sa vie ? Ses choix n’ont-ils pas toujours été guidés par le besoin de dominer et de faire régner « sa loi » ?
C’est avec une écriture au scalpel, quasiment chirurgicale que l’auteur nous fait pénétrer dans le monde de cette jeune femme mais surtout dans son esprit. On a l’impression de lire un journal intime, de suivre le cours des pensées de quelqu’un qui oscille sans cesse entre la « normalité » apparente et un immense « dérangement » intérieur. Nadège nous prend à témoin, nous obligeant à nous pencher sur l’horreur : celle qu’elle a vécue, subie, et celle qu’elle distille, insuffle, l’air de rien….. Tout en restant lisse et aimante en apparence….. Est-ce le manque d’amour qui l’a faite se construire ainsi ? Est-ce qu’on peut naître avec un « cerveau malveillant » ? Il y a ces questions en filigrane, même si elles ne sont pas posées. Nait-on cruel ou le devient-on et si on le devient pourquoi ? Quelle est la part de ce qu’on vit dans son enfance, de l’amour qu’on reçoit dans le devenir d’un être humain ? Nadège est froide, elle dissèque ses pensées, ses actions et elle n’a d’empathie pour personne…. Elle est détestable et pourtant le lecteur se penche sur elle, se disant, la main sur la bouche, « oh, mon Dieu, la pauvre » avant d’avoir envie de crier « ce n’est pas possible, elle ne va pas oser…. »
Estelle Tharreau réussit là, un excellent roman noir, nous plongeant dans la torture psychologique « in et off » Son style précis, glacé et glacial colle parfaitement au propos. C’est un texte profond, abouti, complet, surprenant et addictif. Il peut bousculer, déranger, car on est dans une position inhabituelle, côtoyant la personne qui sème le mal, nous prenant à témoin pour qu’on comprenne (excuse ?) ce qu’elle fait…. C’est terrible parce qu’on pourrait presque oublier la raison et sombrer nous aussi dans la folie ordinaire, celle qui ne se voit pas, qui ne se cache pas car elle est anonyme, discrète et au-dessus de tout soupçon…
J’ai dévoré ce recueil. L’auteur retranscrit à la perfection l’atmosphère, les réactions des uns et des autres en quelques phrases percutantes, pleines de sens. Elle grandit de livre en livre, ce qu’elle présente est vraiment abouti et a de la consistance. Elle mérite d’être connue et reconnue parmi ceux qui sont capables de surprendre le lecteur en changeant de thème et en restant toujours captivant !
Mon ombre assassine
Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada (17 Janvier 2019)
ISBN : 978-2372580502
260 pages
Quatrième de couverture
En attendant son jugement, du fond de sa cellule, Nadège Solignac, une institutrice aimée et estimée, livre sa confession. Celle d'une enfant ignorée, seule avec ses peurs. Celle d'une femme manipulatrice et cynique. Celle d'une tueuse en série froide et méthodique.
07:05 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mon ombre assassine, estelle tharreau | Facebook | |