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31/10/2014

Entretien avec Jacques-Olivier Bosco (troisième)

bosco.jpgC’est le troisième entretien que nous publions de J.O.B., c’est dire si cet auteur nous intéresse ! Après Christine et Paco, c’est Cassiopée qui s’y est collée... avec un plaisir manifeste ! Après sa chronique sur quand les anges tombent, elle a eu envie de poser à l’auteur des questions très personnelles, pour ne pas dire intimes. Comme J.O.B. a joué le jeu, nous avons un entretien qui sort de l’ordinaire : merci à tous deux !

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 Cassiopée. Les pères (et quelques mères aussi) tiennent une place importante dans « Quand les anges tombent », pensez-vous qu’être parent est inné ou qu’on le devient avec la naissance (ou l’adoption) de ses enfants ?

 Jacques-Olivier Bosco. Le débat est compliqué, mais je pense que, dans un monde idéal, ou chacun n’aurait pas à gérer ses propres problèmes, névroses, envie de vivre et de s’accomplir dans la société complexe et sans pitié qui est la notre, devenir parent devrait à la base se décider bien avant d’avoir un enfant. Ce que je veux dire, c’est qu’il faudrait se donner les moyens de pouvoir accompagner et soutenir son enfant, faire en sorte qu’il puisse s’adapter sans trop de bobos et comprendre le monde qui l’entoure, et cela pendant dix-huit à trente ans (au-delà, on peut lui mettre un coup de pied au cul à son gosse). Voilà, ensuite, cette prise de conscience peut aussi se faire après la naissance ou beaucoup plus tard. Ce n’est plus comme avant, on voit par exemple de plus en plus de parents attendre d’avoir une situation pour avoir des enfants, alors qu’en fait, il ne s’agit pas d’un problème de classe sociale, puisque je parle d’accompagnement (de tous les instants), d’amour et de soutien et cela peut se faire dans n’importe quel milieu, à partir du moment où l’on « se donne les moyens » comme on dit. Parfois on ne peut pas, et alors, Maktoub, c’est le destin si mon fils ma fille a une vie/enfance pourrie ? Ou mieux, c’est la faute à la société ? Non, s’il y a la volonté de bien faire, même si on n’y arrive pas, l’enfant le voit et le comprend, et il appréhende le monde – et ses règles vicieuses et obscures — plus facilement.

 C.  Chacun des parents présents dans le roman réagit très fort face au rapt de son enfant. Est-ce que le fait de savoir son enfant en danger permet à certains de devenir parents « autrement » ? Le fait d’avoir peur pour son enfant, ramène-t-il le parent aux « vraies valeurs » ?

 J.O.B. Bien sur, soudain, le fait de se dire que l’on risque de perdre son enfant révèle des choses terribles dans l’esprit des pères et des mères. J’ai connu des mères qui s’angoissaient tellement qu’il arrive quelque chose à leur fils ou à leur fille (à n’en pas dormir) qu’elles regrettaient presque de les avoir conçus (cela paraît extrême, et pourtant, je suis sûr que certains parents-lecteurs le comprennent). Donc au-delà du désir de retrouver, de sauver son enfant, ces parents ont une prise de conscience, ils remettent en question l’amour, la présence qu’ils leur ont apportés et, horreur pour certains, ils se rendent compte qu’ils n’apportaient rien, ou pire, qu’ils n’apportaient que du mal. Ou bien, qu’ils n’en profitaient pas, de cet amour, de cet enfant (« Il venait de se rendre compte qu’il l’aimait, comme s’il s’agissait d’y penser… »). C’est comme lorsqu’on perd un ami ou un proche, en quelque sorte, on se dit j’aurai du plus en profiter, etc.…

Mais je fais aussi une analyse de la société d’aujourd’hui (à travers quelques observations de ma part) et je m’amuse à démontrer qu’on n’a pas, tous, la même vision de la paternité ou de la maternité. Selon chacun, un enfant peut être un morceau de sa propre chair, le rappel d’une personne perdue, ou bien un « héritier », une survivance à son propre destin.

 C. Vous écrivez « A mon père, à tous les pères. Même si ce ne sont que des hommes. » Être parent n’empêche pas de faire des erreurs alors qu’est-ce qui est important ? De s’excuser, de ne pas les refaire, ou ????

 J.O.B. Vraiment, tout le temps, dans le couple, le travail, la famille, ou même avec ses amis, lorsqu’on fait des erreurs, que l’on parle mal à quelqu’un, ou qu’on le blesse à cause de sa propre fierté, de ses nerfs ou quoi, il est très important de s’excuser, du moins, de reconnaître ses torts, c’est une immense preuve d’amour, et surtout, d’humilité par rapport à l’autre. C’est ce que j’ai voulu montrer dans le rapport qui lie Elvio à son fils Enzo. Tant que le père n’a pas avoué, reconnu ses fautes, et dit qu’il a essayé de se rattraper, le courant ne passe pas entre les deux. Par ignorance, parce que le père ne se rend même pas compte que son fils n’attend que ça, que ces quelques mots, tant il a besoin de son amour, mais à la place, il n’y a que de la haine et du « béton dans le ventre * », de la souffrance. Par rapport à mon père, je dirai que je savais que le temps abolirait les torts, que l’on pourrait s’expliquer, que je deviendrais moi-même père (même si cela n’a fait qu’empirer mon sentiment de frustration), et que par son âge, sa vieillesse, il perdrait sa position de force et la crainte qu’il m’inspirait, tout ce qui m’empêchait de lui parler. J’en parle en généralisant parce que je sais que je ne suis pas le seul fils ou fille à avoir eu des problèmes de communication et de compréhension avec ses parents. Je crois que je suis, comme bon nombre, de cette génération des premiers divorces dans les années soixante-dix, et il n’y avait pas le recul d’aujourd’hui par rapport à la prise en charge et à l’impact que cela avait sur les enfants.

(* Le béton dans le ventre je l’ai piqué au personnage d’Alex dans Mauvais Sang de Léos Carax, merci à lui.)

 C.  Vous avez été père deux fois à plus de dix ans d’intervalle. Votre vision de la paternité a-t-elle évolué entre vos deux filles ? En quoi et pourquoi ?

 J.O.B. Oui, pour en revenir à la première question, dès que j’ai été père, je me suis dit, j’arrête les conneries, je me trouve un travail sérieux, je me défonce pour que ma fille (et ma femme) ne manque de rien, mais la pauvre n’a pas eu de chance, je travaillais dans la restauration et les bars à Nice, et je rentrai tard tous les soirs, j’ai raté pas mal de fêtes de famille, et j’ai essayé de ralentir un peu pour en profiter un peu plus. Elle a été un moteur dans ma vie, une source d’inspiration et de combat, sa sœur est arrivée alors que ça y était je venais de rentrer dans une vraie entreprise, avec de vrais congés et de vrais horaires de travail, et ça a été un bonheur de partager ça à quatre les années suivantes. Après, la grande vient de quitter le foyer pour s’installer avec son amoureux, et j’estime avoir de la chance d’avoir encore la petite, pour moi et ma chérie. C’est tellement de bonheur ces gosses !

 C.  Les cinq enfants présents dans le roman sont issus de milieux différents, n’avez-vous pas peur que certains esprits chagrins vous reprochent une forme de « caricature » ?

 J.O.B.  Oui je m’en veux un peu pour le « cheminot alcoolique ». À ma décharge, j’ai travaillé une année entière dans un bar collé à la Gare de l’Est et j’en voyais qui entrait et sortait du bar toutes les heures afin de se descendre un ballon de rouge ou un calvados, ces gars travaillaient la nuit (on ouvrait de minuit à minuit) et restaient dehors dans le froid, il y avait une lassitude dans leur geste, mais j’ai surtout voulu montrer que c’étaient des mecs bien, qui aimaient leur fils comme tout le monde, et si j’avais bossé à côté d’une banque, et bien, il y aurait eu le banquier alcoolique. Bon, pour les gosses, j’ai voulu casser les codes sociaux en montrant qu’en arrivant dans un univers « différent » avec certaines contraintes, les classes sociales s’effacent. La fille de l’avocate (sans faire de préjugés) se serait-elle intéressée au petit gavroche de La Fourche s’ils ne s’étaient pas trouvés kidnappés ensemble ? Et aussi, le petit bourge qui perd tout son pouvoir et son influence pour la même raison, son argent et sa position ne servent plus à rien, il n’y a que sa connerie qui ressort, et du coup, il morfle à son tour. Bon là, j’ai caricaturé, mais des abrutis pareils tout le monde en connaît, pas vrai ?

 C.  Avez-vous une tendresse particulière pour un des pères de votre roman ? Lequel ? Y-en-t-il un qui vous ressemble ou dans lequel vous avez mis beaucoup de vous ?

 J.O.B. Il y a Lauterbach, le flic en fait qui est profondément humain, on le voit avec sa mère, où lorsqu’il sympathise avec l’autre père qui est pourtant un gangster. Déjà, il perd sa femme alors qu’ils viennent d’avoir une petite fille, par dessus, il a un patron qui lui met une pression terrible en profitant de sa faiblesse, je lui fais prendre des cachets parce que je voulais qu’à la fin il ait cette réaction irrationnelle de vouloir tuer Vigo et ainsi que cela déclenche la réaction de Rizzo sur le secret qui les lient (c’est tout un travail scénaristique, mais aussi de dramaturgie et de mise en scène), mais je pense vraiment que personne n’est à l’abri de la tentation de tricher ou de magouiller un peu histoire de s’arranger, de se faciliter la vie, alors que le retour de bâton peut-être terrible, comme c’est le cas ici. Ce qui est aussi intéressant avec lui, c’est qu’un des ressorts dramatiques réside dans le fait que le personnage ne veut pas perdre sa situation professionnelle, son salaire, sa place dans son travail, et c’est très contemporain des pressions actuelles par rapport au monde de l’argent et de la position sociale dans lequel nous vivons. Après, est-ce que j’ai mis beaucoup de moi, oui, dans tous les pères, et même les mères, c’est pour ça aussi que les enfants sont tous dans une tranche d’âge différente, chaque parent réagit en fonction, Rizzo sent que sa fille grandit, et a peur à cause de ça, Tranchant lui voit que la sienne est en âge de demande d’amour et de tendresse, alors que pour Lauterbach, la présence tout court est indispensable tant sa fille est petite. Il y a aussi la réaction de la mère du petit Emeric, qui est marquée dans son âme et sa chair.

 C. Du rose sur une couverture d’un thriller... il fallait oser.... Jimmy Gallier vous a-t-il associé à la conception de cette couverture ?

 J.O.B. Houlla, Jimmy ne va pas être content ; ce n’est pas du rose, c’est du mauve !!! Malheureuse ! Bah, à chaque fois, j’essaie de donner des idées, des suggestions, et puis, après tout, chacun son job (si je puis me permettre), ce sont des Marseillais aussi, ils ont leur caractère, alors avec son équipe, ils font ce qu’ils pensent être le mieux pour le livre, et finalement, il le connaisse bien, leur JOB J

 C.  Khalil Gibran a écrit : "Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même" Que pensez-vous de cette phrase?

 J.O.B. Je n’y crois pas trop, c’est un discours que l’on retrouve dans d’autres cultures et pays (Inde, Afrique, Asie) où les enfants naissent et poussent comme ils peuvent, tout le monde s’en occupe,  ou pas, le père se contente de les nourrir ( hou la vilaine caricature, mais bon), la mère de les aimer ou de les élever, ils peuvent mourir jeunes c’est pour ça aussi, ils appréhendent la vie en la vivant, mais cela ne peut pas fonctionner dans nos sociétés occidentales, ils ont trop besoin qu’on les prémunissent, et qu’on les guident, qu’on leur apprennent, sans cela, on va vers l’incompréhension, le doute et la souffrance. Je généralise, c’est vrai, mais j’ai cette culture méditerranéenne Italo-pied-noir, celle de la Mama qui gronde ses enfants s’ils ne disent pas bonjour à la voisine, et du papa qui leur apprend à jouer au foot ou à faire du vélo et les forcent à rentrer à la maison avant six heures pour faire les devoirs avec eux (là aussi j’idéalise pas mal, ha, si c’était aussi facile) ;-)

 C.  Pour parler des pères, accepteriez-vous de me donner: Une couleur. Un verbe. Un lieu.

 J.O.B. Une couleur ; le bleu du ciel, parce qu’on lève la tête vers le ciel quand on regarde son papa, et qu’en grandissant, on s’en rapproche (et de plus en plus avec le temps).

Un verbe ; soutenir.

Un Lieu ; la voiture ?  Là c’est l’âme d’enfant qui parle ; papa=voiture)

 C.  Avez-vous d'autres choses à partager avec nous?

 J.O.B.  Ben, j’avoue que je me suis fait un peu piéger par ces questions, j’ai du livrer un peu de moi même en tant que personne et pas seulement en tant qu’auteur, car on ne parle pas vraiment du livre, du Roman, de l’histoire, des rebondissements, des personnages autres que dans leur rôle de père et de mère, alors que nous sommes quand même dans une fiction d’aventure et d’action. Je voulais simplement te remercier à nouveau pour ta très belle chronique, c’est pour cela que j’ai essayé de répondre à tes questions avec honnêteté, parce que c’est le but que je voulais atteindre auprès des lecteurs en écrivant ce livre. Leur procurer des émotions, du plaisir, voilà, de passer un bon moment de lecture et d’évasion.

 Merci Cassiopée.