06/06/2013
Quitte ou double, de Cyrille Legendre
Une chronique de Paul.
Cantonné dans le rôle de photographe sportif, éventuellement pour des magazines people (vous savez ces magazines qui parlent des célébrités d’où l’expression peuple peut-être) Matthieu Berger fut un grand reporter de guerre, ramenant des reportages très prisés. Mais depuis la mort huit ans auparavant, de Marie sa femme qui était enceinte, dans un accident d’automobile, il a descendu l’échelle. Voire même dégringolé.
Matthieu Berger a fréquenté la prestigieuse école de journalisme de Lille, puis il a sillonné le monde, se rendant dans tous les points chauds : Rwanda, Sierra Leone, Tchétchénie, Afghanistan. Depuis sa tendre enfance il est ami avec Jean-Eudes Duplessis alias JED (j’aide ?), d’extraction nobiliaire, lui qui est d’origine prolétaire dans un petit village de Normandie. Depuis ils ne se sont pas quittés de vue, même s’ils ne se rencontrent plus très souvent. Alors qu’il bourlinguait de gauche à droite, JED se tournait vers le journalisme lui aussi, mais dans les affaires. Ils ont créé ensemble une agence tandis que Marie était présentatrice vedette d’une chaine d’information permanente. Aujourd’hui JED est le bras droit de Michel Zeinoun qui possède un empire médiatique mondial, Empire, qui échouera à JED à la mort prochaine et annoncée de Zeinoun, son fils André qui navigue de cure de désintoxication en cure de désintoxication, tout en franchissant allègrement les lignes blanches des affaires légales, n’étant pas susceptible d’en prendre les rênes.
Matthieu se voit confier un travail de voyeurisme, le genre de trucs auxquels sont friands les abonné(e)s de Newspeople, le magazine qui lui a commandé quelques clichés. Il doit surprendre Jimmy Rowland, la jeune star en devenir du football francophone, un métis de vingt ans, déjà international, qui joue dans l’équipe de L’Association Sportive Parisienne, club rival du PSG mais qui bat de l’aile n’ayant pas les mêmes opportunités financières auprès des Qataris. Après l’entrainement Jimmy Rowland rentre dans sa modeste résidence de 600m2, accompagné des membres habituel de sa cour, et il vaque. Perché sur les branches d’un arbre, Matthieu patiente. Enfin deux limousines arrivent et quelques créatures de rêve en sortent afin de combler activement la soirée de Rowland et consorts. Matthieu peut enfin régler son appareil photo et prendre en action Rowland avec une jeune fille, blonde et sans conteste d’origine slave. Son petit travail terminé il envoie les clichés sur son ordinateur et celui du magazine puis il rejoint la côte normande s’adonner à sa passion, le poker. Au petit matin il s’endort dans sa maisonnette de campagne qu’il avait achetée avec Marie. Le soir il se rend dans un café et découvre au fil des pages le visage de la prostituée avec laquelle Rowland avait passé la soirée. Elle a été retrouvée morte dans la forêt de Meudon mais est inconnue des services de police. Matthieu rentre précipitamment à Paris et s’aperçoit que les photos qu’il avait transmises la veille ne sont plus dans son ordinateur. Dans l’ordinateur du magazine non plus d’ailleurs. Matthieu décide de rendre compte aux policiers mais Barul, son responsable, lui signifie un non péremptoire. Global, dont Newspeople dépend, ne veut pas que l’info dont dispose Matthieu soit ébruitée. Rendez-vous est pris pour une rencontre avec le boss, un certain Dumas, dans un palace parisien. Etonnement et joie de Matthieu lorsqu’il reconnait en Dumas son ami JED. JED possède une solution, raconter l’histoire à l’un de leurs anciens condisciples, Pélissier, devenu commissaire de police à la Crim, pas vraiment fréquentable mais qui est redevable auprès de JED pour une affaire qui aurait pu tourner en eau de boudin.
Pendant ce temps Rowland est plus qu’embêté et il se confie à son agent. Matthieu le rencontre mais la jeune star le prend de haut et se conduit en petit loubard jusqu’à ce que le journaliste lui fasse comprendre qu’il est au courant de ses frasques. Matthieu n’en reste pas là et grâce aux infos récoltées par JED et Pélissier, il apprend que la morte, d’origine slave effectivement, appartenait à un cheptel de call-girls. Il décide de mettre son nez là dedans et tente de soutirer des renseignements auprès d’une des jeunes femmes qui émargent à la société de complaisance pour hommes seuls. Elle lui livre bien quelques détails, mais alors qu’il veut la reconduire en voiture, il se rend compte qu’ils sont suivis. Un accident provoqué l’envoie au pays des songes tandis que sa passagère décède. Apparemment ce n’est pas assez car un individu louche tente de le trucider mais Matthieu doit la vie sauve grâce à une hachette lancée de main de maitre par un homme chargé de le surveiller et le défendre au cas où. C’est beau l’amitié !
Une conférence de presse est organisée afin d’annoncer le transfert de Rowland, transfert auxquels s’attendent les journalistes qui se sont déplacés en masse et qui était prévu dans un grand club européen. La douche froide ! En réalité il évoluera dans le club d’Achkhabad, la capitale du Turkménistan, qui va acheter à prix d’or quelques internationaux. Le but est de monter une équipe jouant dans le championnat russe et capable en deux ans de rivaliser avec les plus grands clubs européens. Tandis que cinquante pour cent de la population turkmène vit en dessous du seuil de pauvreté, les dirigeants cèdent à la mégalomanie.
A la suite de la tentative d’assassinat sur sa personne Matthieu part pour l’Irlande dans une propriété appartenant à JED. Il y fera quelques rencontres intéressantes, se remettant peu à peu de ses émotions. Mais cet incident a été bénéfique et il reprend du poil de la bête. Grâce à l’aide de JED, il part enquêter en Turkménistan, connaissant de nombreux avatars. Les péripéties ne manquent pas, il frôle la mort à plusieurs reprises, mais il est joueur, alors le quitte ou double ne l’effraie pas. Selon les circonstances et les partenaires de jeu évidemment.
Un roman d’aventure qui nous plonge dans les arcanes du football, nous emmène dans la compagne verdoyante irlandaise, dans la nouvelle république du Turkménistan qui peut se permettre bien des fantaisies grâce aux gisements de gaz naturel, lesquels ne dureront que le temps de se tarir. Un roman qui offre des moments d’action intenses et quelques pages d’amour, des retournements de situation imprévus, des révélations et des preuves d’amitiés, des faux semblants aussi. Des alternances de trépidations, de frissonnements, de combats, d’émotion, mais aussi de petites réflexions bien venues.
Ainsi, le journaliste sportif qui est en Matthieu ne peut s’empêcher d’être agacé par le comportement de Rowling et de la jeune génération de footballeurs. Matt était frappé par l’attitude désinvolte et dédaigneuse de cette nouvelle génération de footballeurs. Ils gagnaient des sommes indécentes. Ils possédaient tout ce dont ils avaient probablement rêvé lorsqu’ils étaient petits dans leur banlieue défavorisée. Voiture de luxe, villa hors normes, reconnaissance. Quel que soit leur physique, ils pouvaient mettre n’importe quelle bombe atomique dans leur lit. Malgré tout cela ils donnaient toujours l’impression de faire la gueule et de trainer les pieds pour aller s’entraîner comme s’ils devaient descendre au fond de la mine. Il ne vous reste plus qu’à mettre des noms sur ce genre de sportifs, point n’est besoin de chercher loin.
Matthieu Berger, c’est un peu l’auteur. En effet Cyrille Legendre a suivi pratiquement même parcours professionnel que son héros et il s’est spécialisé dans le sport, évoluant dans le milieu de football, étant tour à tour rédacteur, photographe et chargé de communication. De plus il cultive un goût prononcé pour les voyages et s’intéresse à la géopolitique et les pages consacrées à la Turkménie et à son régime politique ne sont pas dues au hasard.
Un roman puissant, dont l’intrigue est située en 2003, qui augure une belle carrière à l’auteur, pour peu que celui-ci n’ait pas grillé toutes ses cartouches dans son intrigue.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Quitte ou double.
Cyrille LEGENDRE
Le Masque Poche
Editions du Masque.
360 pages. 6,60€.
13:48 Publié dans 06. Il y a une vie hors du polar ! | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : football, psg, qataris, crime, turkménistan | Facebook | |