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14/04/2011

Entretien avec Dominique Manotti

 Christine, après avoir chroniqué le roman de Manotti/DOA l'honorable société, s'entretient pour Un Polar avec Dominique Manotti.

Christine : Il y a déjà quelques exemples d’écritures « à quatre mains » (Boileau Narcejac, John Case, entre autres) mais cela reste l’exception. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée et l’envie de tenter l’aventure ? Et bien sûr : quand a-t- elle débuté ?

 Dominique Manotti : Nous nous sommes rencontrés dans un débat au salon du livre de Paris 2007. Nous avions de l’estime réciproque pour nos livres. Nous avons vite constaté, en discutant, que nous avions pas mal de goûts en commun. Entre autres, nous aimions tous les deux une mini série anglaise « State of play » qui nous semblait être un polar politique très juste de ton et passionnant. Comme nous pensions, à l’époque, que des chaînes de télé pouvaient être intéressées par ces sujets, nous avons proposé une histoire. Qui a été acceptée, en Juillet 2007. Nous l’avons donc travaillée, mais ensuite, cela ne collait plus. Nous nous sommes donc retrouvés, au printemps 2008, avec un traitement de 100 feuillets sur les bras. Pour ne pas perdre le travail accompli, nous avons alors décidé d’en faire un roman. Les choses se sont faites ainsi, un peu toutes seules. Et nous ne regrettons rien.

 C : Vous aimez tous deux vous inspirer du monde actuel pour « raconter une histoire dans l’Histoire » : aviez-vous déjà une idée précise du contexte dans lequel insérer cette intrigue ? Comment cela s’est-il construit ?

 D.M. : Oui, on peut dire que le contexte a préexisté à l’histoire. Si mes souvenirs sont exacts (ce qui n’est pas sûr), ce qui est venu en premier dans notre imaginaire, c’est l’envie de « scénariser » le Meccano ( l’accord entre le candidat à l’élection présidentielle et les patrons de deux grandes entreprises pour privatiser l’industrie nucléaire et restructurer l’audiovisuel) et l’envie de situer l’histoire entre les deux tours de l’élection présidentielle, ce qui nous contraignait à un temps très court, et nous paraissait propice à la « mise en drame ». L’histoire, proprement dite, est venue après.

 C : J’ai pu lire par ailleurs que vous vous étiez réparti les différents personnages pour plus de fluidité et d’efficacité. Mais je suis curieuse de savoir : tirage au sort ? Discussions âpres devant un verre de Laphroaig parce que certaines préférences pour l’un plutôt que l’autre ?

 D.M. : Non, pas autour d’un verre de Laphroaig, je ne bois pas de whisky. A vrai dire, je ne bois à peu près rien, sauf parfois du champagne. La répartition des personnages s’est faite presque naturellement, en fonction des expériences et des écrits passés de l’un et de l’autre. Il n’y a guère eu de discussions là dessus.

 C : Pour un tel roman noir, avec une intrigue bien ancrée dans un univers qui existe déjà, et possède donc de multicouches de sens, on peut supposer un énorme travail de documentation…et des « indics » … ?

 D.M. : Les historiens ne parlent pas d’indics. Ils disent qu’ils recueillent des témoignages d’histoire orale… Oui, on a fait pas mal de documentation, mais c’est un des points qui nous rapproche, nous en faisons toujours, l’un et l’autre, pour nos romans. Nous avons trouvé beaucoup de choses dans la presse, et dans des archives d’entreprise, en plus de nos « grands témoins ».

 C : Pour la même raison, il a certainement fallu trancher, ou vous brider, pour garder un côté sobre et épuré. Qui maniait les ciseaux ?

 D.M. : En gros, Manotti coupait, et DOA rajoutait.

C : Est-ce qu’il y a des regrets pour tel point enlevé ou tel personnage que vous auriez aimé développer davantage ?

 D.M. : De mon côté, non, aucun regret.

 C : La forme est très proche du scénario, presque du plan de travail (avec des indications comme « pendant ce temps, à tel endroit »)… choix délibéré ?

 D.M. : Sincèrement, j’ai l’impression que nous écrivons à peu près toujours comme cela. Nous avons été nourris tous les deux par le cinéma, et nous pensons que l’écriture romanesque aujourd’hui (et depuis pas mal d’années, pour être sincère) ne peut pas ne pas tenir compte de la syntaxe du récit cinématographique. On ne peut plus aujourd’hui écrire la Comédie Humaine de Balzac, pas du tout comme le disait Robbe-Grillet parce que le récit romanesque est mort, mais parce que son rythme et sa syntaxe ne sont plus les mêmes.

  C : Nous sommes dans une intrigue de pure fiction, cela ne fait aucun doute et nous n’aurons aucune arrière-pensée… Mais avec de tels clins d’œil ou références, vous êtes-vous parfois censurés lors de l’écriture ?

D.M. : Non, nous ne nous sommes jamais censurés. Par contre, nous avons continuellement cherché à ne pas traiter nos personnages de façon caricaturale, à démonter les rouages d’un système plutôt qu’à dénoncer tel ou tel. Notre projet était un peu de faire vivre la crise du système démocratique, la romancer.

 C : Dans vos derniers livres vous aimez partir d'un état des lieux de la société à un moment donné pour y insérer une intrigue.  " L'honorable société" comporte des références implicites à la politique et à l'économie françaises. Que pensez-vous des corrélations entre ce que vous avez écrit et l'actualité toute récente (privatisation en cours de sociétés « sensibles » telles qu’AREVA, focus sur le nucléaire suite aux dégâts à Fukushima, etc.) ?

 D.M. : La privatisation d’Areva est la base de notre roman. Elle était bel et bien dans les tuyaux, en 2007, avant l’élection présidentielle. Dans un climat général d’apologie débridée de l’ultra libéralisme, que la crise bancaire a ébranlé, ou au moins modéré pour un temps. Nous sommes donc partis de cette situation réelle. Nous avons été rattrapés par l’accident nucléaire japonais. Il semble que Tepco aurait eu le temps d’arrêter les réacteurs, entre le tremblement de terre et le tsunami (8 heures), mais ne l’a pas fait, pour éviter les frais d’une remise en route des réacteurs après arrêt. La sécurité a un coût. Une entreprise privée ne peut privilégier la sécurité. On est au cœur du débat. Areva semble avoir échappé pour un temps à la privatisation, dans la foulée de Fukushima. Pour un temps.

 C : Bien sûr, il y aurait beaucoup de questions supplémentaires à poser, parce qu’un tel livre force la curiosité même pour ceux qui en seraient dépourvus. Mais vous, qu’aimeriez-vous ajouter à propos de « l’honorable société » ?

 D.M. : La qualité de l’écriture est une préoccupation constante des deux auteurs. Nous travaillons pour que le rythme des phrases, le choix des mots s’adaptent à la matière même du récit, sans fioritures. Et sans excès de nombrilisme.

 C : Votre travail en binôme est comme le mélange de deux phases donnant une émulsion homogène et réussie. Maintenant quels sont vos projets plus personnels ? Et avez-vous envie d'écrire d'autres livres à quatre mains, ensemble ou avec d'autres auteurs ?

 D.M. : Je crois que DOA travaille sur la suite de Citoyens Clandestins et Le Serpent aux mille coupures. Moi, je travaille sur  « quelque chose », je ne sais pas encore quoi, sur le trading du pétrole.

Nous n’avions pas planifié cette écriture à quatre mains, nous n’en planifions pas d’autres. Mais comme l’expérience a été heureuse, si l’occasion se représente, pourquoi pas ?

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