05/10/2011
L'Affaire de Road Hill House, de Kate Summerscale
Une chronique de Pierre
Au matin du 30 juin 1860, à Road, dans le Wilthshire (Ouest de l'Angleterre), la nurse de la famille constata que le lit d'un des enfants dont elle avait la charge, le petit Saville, 4 ans, était vide. Plus tard dans la matinée, on retrouva le corps sans vie du garçonnet - il avait été égorgé, peut-être préalablement étouffé - dans les latrines des domestiques. Pour la police locale, l'évidence s'imposa que le crime n'avait pu être commis que par une personne habitant la propriété : Les parents du garçon, les frère et sœurs aînés, nés du précédent mariage du père, ou les domestiques. Au total, une douzaine de personnes, pas davantage. L'énigme eût dû être rapidement résolue, pourtant ce ne fut pas le cas : le crime de Road Hill House allait devenir l'une des affaires criminelles les plus tonitruantes de l'histoire anglaise.
L'écrivain Kate Summerscale s'est immergée dans les innombrables archives policières de l'enquête et dans la presse enflammée de l'époque pour retracer les péripéties des investigations et resituer les faits dans un tableau plus vaste et passionnant : l'Angleterre du mitan du XIXe siècle, les mœurs de la société victorienne. Un fait divers ne frappe à ce point les esprits que s'il cristallise les angoisses d'une époque. L'auteur décrypte et souligne ce qui fait de l'affaire de Road Hill House un crime « exemplaire » : il ne touche pas une famille socialement déclassée, mais la nouvelle classe moyenne aisée née de l'industrialisation ; il offre au public l'intimité d'une cellule familiale, offrant aux regards plus ou moins voyeurs le linge sale qu'on n'expose pas d'habitude, les turpitudes réelles ou supposées : secrets, hontes, tromperies.
En outre, les spéculations sur les meurtriers présumés rencontrent les théories scientifiques en vogue, dans le sillage de Darwin et de la médecine aliéniste. La presse populaire ne se fait pas prier pour relayer les moindres détails de l'enquête, mais aussi les controverses qui opposent les enquêteurs entre eux. Car l'affaire de Road Hill House voit intervenir un nouveau personnage dans la société et l'imaginaire anglais : le détective. En l'occurrence, le très intuitif Jack Whicher, membre de la nouvelle section d'investigations de Scotland Yard, dépêché par Londres dans le Wilthshire.
Outre la minutie implacable avec laquelle il retrace les faits, le livre de Kate Summerscale a l'originalité de mettre en parallèle cette affaire et le roman policier anglais naissant pour montrer combien les romanciers d'alors se sont passionnés pour le personnage de Whicher et pour le secret enfoui dans le passé de la famille Kent, dont l'enfant fut la victime expiatoire. Le drame nourrit Pierre de lune, de Wilkie Collins, considéré comme le roman fondateur de la littérature policière, mais aussi des ouvrages de Dickens, de Mary Elizabeth Braddon, et même Le Tour d'écrou, de James.
Le poète T.S. Eliot soulignait que les fictions policières impeccablement construites de Poe ou de Conan Doyle semblaient des constructions mathématiques presque abstraites, tandis que le ténébreux Pierre de lune, roman à énigme de Collins, lui, relevait de la quête de «l'insaisissable élément humain»
Kate Summerscale est née en 1965 et a grandi au Japon, en Angleterre et au Chili. De retour en Angleterre, elle intègre Bedales School (1978-1983) avant de partir étudier à la prestigieuse université d'Oxford. Mais c'est à Stanford qu'elle obtient un MA en journalisme. Ce parcours va lui permettre d'en entamer un autre. Elle multiplie les publications dans divers journaux : The Independant, The Guardian, The Daily Telegraph, The Sunday Telegraph... Ses articles portent essentiellement sur la littérature.
En 1997, elle publie un premier ouvrage de non-fiction avec The Queen of Whale Cay, où elle s'intéresse à Betty Carstairs, qui dans les années 1920 fut la première femme à participer à des courses de bateaux à moteur, et qui devint ainsi la femme la plus rapide sur l'eau. L'année suivante, elle obtient le Prix Somerset Maugham.
Il faut attendre un peu plus de dix années, pour que sa seconde publication soit effective. Kate Summerscale s'attaque alors à un morceau de choix avec L'Affaire de Road Hill House en 2008. Ce fait divers a défrayé la chronique et stimulé de nombreux romanciers. Très remarquée pour cette étude à la limite des mœurs, elle est justement récompensée du prix Samuel Johnson.
Pierre Mazet http://www.pierre-mazet.com/
Présentation de l’éditeur
Au cours de l'été 1860, un fait divers atroce bouleverse l'Angleterre, déclenchant à travers tout le pays une hystérie médiatique sans précédent. Qui a tué le jeune Saville Kent, trois ans, dernier-né d'une famille de respectables bourgeois de la campagne anglaise ? Parmi les membres de la famille, chacun semble coupable car chacun a quelque chose à cacher. Immédiatement, les journaux s'emparent de l'affaire, et l'enquête est prise en main par Jack Whicher, célèbre détective de Scotland Yard.
14:56 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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