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07/10/2011

L'heure des loups, de Shane Stevens

lheuredesloups.jpgUne chronique de Christophe.

 

Pris entre les marteaux et l'Enclume.


Bon, pour comprendre le titre de ce papier, il faut avoir lu le livre du jour, car, thriller oblige, je ne vais pas pouvoir trop entrer dans les détails de l'histoire. Mais, faites-moi confiance, il y a bien une collection de fous furieux ("les marteaux") et une Enclume (d'opéra, hein, pas d'opérette...). Ce roman, je l'attendais au tournant. Car nous allons parler du deuxième roman publié en France d'un illustre inconnu : Shane Stevens. Après l'extraordinaire "Au-delà du mal", Sonatine nous propose un second thriller écrit par ce mystérieux personnage, intitulé "l'heure des loups".

Paris, 1975. Lorsque César Dreyfus, inspecteur à la criminelle, se retrouve devant le corps pendu d'un homme, il est persuadé, malgré toutes les apparences du suicide, d'être en présence d'un meurtre. Il n'imagine pas encore que cette enquête va bouleverser sa vie, et le projeter comme une bille dans un flipper géant, dont les bumpers et les cibles sont les symboles d'une géopolitique européenne extrêmement complexe, instable et dangereuse.

En ce milieu des années 70, la Guerre Froide fait rage. Mais un autre phénomène est en train d'émerger, modifiant sensiblement la donne : le terrorisme palestinien. Depuis l'attentat des JO de Munich, en 1972, les Etats européens se savent visés et redoutent leur fragilité dans la compréhension et l'anticipation de ses actes.

Ajoutez à cela que la France a bien du mal à tourner les pages récentes de son histoire tourmentée : 30 ans après la fin de la guerre et de l'occupation qui en a découlé, les souvenirs de cette période sont encore bien présents et ceux qui avaient choisi la voie de la collaboration, revenus aux affaires, y compris à des postes de pouvoir. Ne parlons même pas de la Guerre d'Algérie, dont les blessures ne cicatrisent toujours pas.

Or, Dreyfus est au centre de cette toile d'araignée, bien malgré lui. Ses parents, juifs, ont été déportés et tués à Auschwitz et le flic porte difficilement sur ses épaules ce poids immense. Un poids encore accru par l'antisémitisme latent qui règne dans sa propre hiérarchie.

Mais, ce pendu qui se balance devant lui va, tel le fameux papillon, provoquer une réaction en chaînes qui va mettre en émoi plusieurs gouvernements, et surtout, leurs services secrets... Car la victime est un ancien nazi, Dieter Bock, proche de Himmler sous le IIIème Reich. Un coup de pied dans une fourmilière qui grouille déjà, celle des barbouzes européens, des deux côtés du rideau de fer, et jusqu'en Israël, où l'on guette les criminels de guerre survivants qu'on pourrait encore juger.

Dreyfus se moque de tout cela. Il recherche un assassin, peu lui chaut que cela excite les convoitises ou les inquiétudes. Mais cet assassin va s'avérer être bien plus machiavélique que ne pouvait l'imaginer ce flic débonnaire, mais intuitif et méfiant voire un brin parano.

Et, par-dessus tout, Dreyfus a bien du mal à cerner les mobiles d'un tueur qui brouille à merveille les pistes et semble avoir laissé des cadavres partout où il est passé. Le limier parisien doit donc démêler un incroyable écheveau, tout en évitant les impasses dans lesquelles sa proie essaye de l'égarer, en slalomant entre les services policiers, les espions de tous poils et les politiques qui semblent tous avoir de bonnes raisons pour lui mettre des bâtons dans les roues. Et qui paraissent surtout avoir beaucoup à craindre des révélations qui pourraient jaillir si cette enquête était résolue et mettre au jour des pratiques plus que douteuses que même la raison d'Etat ne saurait justifier.

Alors Dreyfus fait face, malgré une paranoïa qui ne cesse d'empirer. Il veut serrer ce tueur. Coûte que coûte. Car cet assassin a rouvert toutes ses blessures les plus intimes. Le voilà poursuivant un ancien SS, un criminel pas comme les autres, impitoyable et sans état d'âme. Et, à travers lui, ce sont les assassins de ses parents, tous les nazis sans exception qu'il traque et qu'il a l'occasion de châtier.

Voilà comment ce policier mal dans sa peau va faire d'une affaire qui a tout pour le dépasser, l'affaire la plus personnelle de sa carrière...

Je ne vous en dis pas plus, car "l'heure des loups" est un roman d'une grande complexité (trop grande, dirons sans doute certains) et d'une grande densité (à l'image de "Au-delà du mal", avec quand même, 200 pages de moins). Bref, on n'est pas devant un "roman de gare" (terme au combien péjoratif mais qui a le mérite de bien dire ce qu'il veut dire) : impossible de le lire d'une traite... Non, il faut avancer lentement dans ce roman noir d'encre et nébuleux au possible.

Mais ce duel entre un flic au bord du gouffre et un tueur invisible, insaisissable est palpitant. Comme si les deux faces d'une même médaille s'opposaient dans un combat sans merci. Un duel qui va entrer dans une autre dimension quand, au-delà du but recherché initialement par le tueur, un objectif bassement matériel quoi que franchement alléchant, c'est une femme qui va en devenir l'objet. Mais quel jeu joue cette femme ? Dreyfus risque bien de l'apprendre à ses dépens...

Ni polar, ni thriller d'espionnage, ni roman historique, ni roman de politique fiction, ni roman d'amour, "l'heure des loups" est en fait tout cela à la fois. Son ambiance est oppressante, sombre, remplie des idées noires de Dreyfus qui, disons-le bien, ne sont pas toutes le fruit de son imagination torturée.

Mais ce livre souffre tout de même d'un certain manque de clarté. On finit par se perdre dans cette enquête aux ramifications interminables et qui déchaînent toutes sortes d'ambitions. Il faut dire qu'en utilisant la géopolitique européenne de cette époque, franchement trouble, où tout le monde espionne tout le monde, tout le monde trompe tout le monde, tout le monde trahit tout le monde, Stevens n'a pas choisi la facilité.

Chaque personnage croisé par Dreyfus a ses raisons pour faire cavalier seul, à la poursuite de l'assassin et de sa mystérieuse et sanglante quête. Il n'a personne à qui se fier, pire, on le manipule sans cesse pour arriver à des fins qui n'ont que peu de choses à voir avec la soif de justice que l'inspecteur cherche à assouvir. Et le lecteur, avec Dreyfus, ne sait plus à quel saint se vouer, ne comprend plus trop qui est avec qui et qui recherche quoi...

Dommage, car l'intrigue principale du livre a dans l'absolu de quoi passionner. Mais qu'il faut être courageux pour suivre Dreyfus dans sa poursuite infernale du Mal et de lui-même !

Au final, "l'heure des loups" est un roman noir, typique de la période de la Guerre Froide (il a été publié en 1985 dans sa version originale). Et quand je dis noir, j'y ajoute compact et dur. Noir, compact et dur, comme du marbre. Pas n'importe quel marbre, celui dans lequel on sculpte les mémoriaux ou les monuments aux morts.

Mais, comme le marbre, il est froid, glaçant, et, devant cette atmosphère et la complexité de la trame, c'est le lecteur qui risque d'être refroidi.

Pour autant, si vous avez apprécié, comme moi, "Au-delà du mal", alors mettez-vous à "l'heure des loups", un thriller "wagnérien".

Christophe

http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/

 

Vous pouvez lire une autre chronique sur l'heure des loups,  par Richard

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