09/05/2012
Le crépuscule des gueux, de Hervé Sard (chronique 3)
Une chronique de Christine.
Avec la multiplication des pétitions en ligne, des « cliquez ici pour dire oui/non/bah » ou autres engagements à distance, il est tellement simple de se sentir la conscience tranquille et de se dire qu’on se mobilise pour les autres.
En oubliant très souvent que les autres, ils sont souvent juste à côté. Dans la maison d’en face. Sur le trottoir qu’on vient d’éviter. Chez l’ami dont on ne prend plus de nouvelles depuis longtemps parce que ça craint.
C’est tellement plus facile de retourner devant son poste de télévision ou son ordinateur.
De courir après un bonheur qu’on obtiendra, c’est sûr, plus tard.
Et si nous allions pour une fois faire un tour sur le quai voisin ?
Selon que vous serez puissants ou misérables…*
Le long de la voie C du RER, à portée de vue des petites maisons coquettes et paisibles de Chaville, une zone de quelques centaines de mètres carrés surnommée « le quai des gueux ».
Là, quelques constructions de tôle, de plastique, de récup’. Quelques habitations de bric et de broc qui offrent un toit à une poignée d’individus. Pas vraiment des SDF, pas vraiment des mendiants, mais bien des laissés-pour-compte de la belle société de consommation. Depuis plus de vingt ans ils y vivent en autarcie. Jardinage, récolte de champignons ou baies dans le bois proche, quelques petits boulots occasionnels. Cela suffit. Capo, Bocuse, Krishna, Betty Boop et Môme utilisent tout ce qu’ils trouvent pour améliorer un quotidien qui, bien que frustre, n’est jamais triste.
Depuis peu, Luigi les a rejoints. Il vient de sortir de prison où il a passé dix-sept ans et la petite communauté lui a fait une place. Capo et Môme le connaissent bien, car c’est avec lui que le quai des gueux a été créé.
Seulement voilà, à quelques jours d’intervalle on a découvert trois cadavres féminins le long des rails. En sacré piteux état. L’œuvre d’un dingue, forcément.
Et qui risque d’être suspecté en premier ? C’est pas que les gueux soient coupables de délit de sale gueule, mais quand même un peu, si. Surtout Luigi avec ses antécédents.
Alors Môme lui dit de prendre la fuite, d’aller se mettre au vert un peu plus loin, lui et le caddy déglingué qu’il traîne partout avec lui et n’abandonnerait pour rien au monde.
Luigi prend la route. Il a une adresse, un but : revoir Lula à qui il n’a jamais cessé de penser pendant toutes ces dernières années.
Pendant ce temps l’inspecteur Évariste Blond mène l’enquête. Flanqué de Christelle Augier, une stagiaire qui n’a pas sa langue dans sa poche. L’idéal serait d’infiltrer le quai des gueux pour démasquer le coupable. Ou trouver au moins un témoin ?
L’affaire ne s’annonce pas simple à résoudre.
La vie pourrait être si belle
Si l'on voulait vivre d'abord
Pourquoi se creuser la cervelle
Quand y a du bon soleil dehors ! **
Il y a bien sûr une intrigue policière. Avec des meurtres, des coupables potentiels, et une intrigue bien ficelée. De quoi plaire très largement aux amateurs les plus difficiles, et on pourrait sans aucun problème s’en contenter.
Mais ce n’est pas tout, loin de là !
Il y a surtout une formidable galerie de personnages, tous attachants, que l’on découvre de deux manières différentes.
Via le regard porté sur eux par le duo d’enquêteurs, ce même regard que nous portons sur cet univers des « gueux », sur ces individus que nous préférons ignorer la plupart du temps. Parce que, on ne sait jamais, des fois que la misère serait contagieuse ? Ou que ça nous ferait mal aux yeux, mal au cœur ?
Via une immersion au sein du quai des gueux. Et ces gueux-là, ils en ont des choses à raconter. Petit à petit nous découvrons leur vie, leur quotidien, leurs joies ou leurs peines. Il y a dans ce livre quantité de petites phrases marquées au coin du bon sens. Ou justes. Ou drôles. Ou tendres. Ou plus souvent le tout à la fois.
Les titres des chapitres sont à eux seuls de véritables pépites. Alors, les chapitres eux-mêmes…. Je ne vous raconte même pas.
Sans une onde de voyeurisme ou de misérabilisme à deux sous, jamais, et encore moins d’ironie car lorsque l’humour montre le bout de son nez, c’est toujours dans le plus grand respect des personnages, Hervé Sard nous montre que les plus cabossés ne sont pas où l’on croit, que la dignité est partout.
Et que « civilisation » et « consommation » cachent bien plus de sordide que les endroits que d’aucuns jugeraient « défavorisés ».
Un livre riche, profond et tendre, avec un ton juste, un style qui colle parfaitement aux personnages, un livre à la fois noir et pourtant souvent d’une grande douceur.
C’est un bon et surtout beau roman.
On pourrait en parler des heures, ou en écrire des pages. C’est ce que j’aurais envie de faire, mais le plus simple est encore de le lire.
Ce que je vous conseille de faire sans tarder !
Car tant qu’il y aura des auteurs comme Hervé Sard pour aller débusquer l’humanité qui s’éloigne chaque jour un peu plus loin d’un monde qui oublie que le bonheur tient souvent à peu de choses, la nuit attendra encore un peu avant de tomber…
*Jean de la Fontaine « les animaux malades de la peste »
** Edith Piaf « Tout fout l’camp »
Christine, (Blog : Bibliofractale )
Le crépuscule des gueux
Hervé SARD
Krakoen
290 pages ;
11,20 euros
20:15 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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