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01/07/2012

Criminal loft, de Armelle Carbonel

CriminaLoft.jpgUne chronique de Richard.

Amateurs et amatrices de romans noirs, attachez vos tuques avec de la broche (expression québécoise !) car avec son troisième roman, «Criminal Loft», Armelle Carbonel va vous faire dresser les cheveux sur la tête et vous faire frissonner de plaisir.

Il y a un mois, je ne connaissais pas du tout cette auteure. J’ai eu la chance de la rencontrer dans un restaurant de Saint-Germain-en-Laye avec Stéphanie de Mecquenen lors de mon voyage à Paris. En deux heures de repas, j’ai eu la chance de connaître une femme extraordinairement gentille, intelligente, cultivée et douce. En deux jours de lecture, j’ai rencontré une auteure machiavélique, sadique et tortionnaire mais qui jamais ne tombe dans le piège du sanguinolent facile. Durant ces deux jours de lecture, j’ai aussi eu la chance de lire une auteure qui pouvait me surprendre par la qualité de sa langue et la richesse de son style.

Alors, chers amants du roman noir, lisez bien ceci.

21 juin 2011. John T. commence l’écriture d’un journal qui va raconter une aventure assez particulière, un feuilleton morbide au goût du public affamé de télé-réalité. Il partira bientôt pour Waverly Hills pour y rejoindre sept autres participants.

Qu’ont en commun ces six hommes et ces deux femmes ? Ils sont tous condamnés à mort. Les crimes atroces qu’ils ont commis les amènent directement à l’injection létale et aux sept minutes qui les séparent de cette mort. Qu’ils ont si souvent provoquée !

Pourquoi se lancent-ils dans cette course contre la mort ? Pour être le dernier qui échappera à la coupure hebdomadaire et pouvoir, comme gagnant, réintégrer le monde libre. Ils devront prouver à tous les téléspectateurs qu’ils sont le meilleur choix possible, qu’ils méritent leur réinsertion dans la société.

Dans cet ancien sanatorium, construit en 1910 (il existe vraiment !), commence alors, ce combat de gladiateurs fallacieux et féroces, réunissant dans cette arène lugubre et glauque, des meurtriers dangereux, des criminels sadiques et des «matons» étranges. On se rend vite compte qu’ils n’ont pas besoin de lions pour s’éliminer. L’humain, l’inhumain y prend toute la place.

Mais, pas toujours !!

Le narrateur (John T.) est un personnage fascinant et en même temps, tout à fait effrayant. Leader du groupe, il exerce son pouvoir de toutes les façons. Que ce soit par le charme, la violence ou tout simplement par opportunisme, il joue ses pions avec un seul but: gagner sa liberté. À tout prix !

L’auteure nous plonge profondément dans la pensée de cet être immonde. Elle nous guide d’une façon démoniaque dans ses réflexions. Et nous immerge dans le coeur de cet ancien psychiatre où le sang de la vie, alimente sa haine, sa violence, son plaisir, dans l’acceptation banale de l’assassinat. Tenu sur la corde raide, le lecteur oscille entre la crainte que lui inspire ce personnage et l’inclination à s’approcher de lui pour suivre et comprendre sa logique criminelle. Cette dualité apparaît tout au long du récit : mais d’une façon encore plus soutenue dans les rêves de John, hantant ses pertes de conscience.

Ce leader étonnant est entouré de sept autres personnages qui sont tout autant terrifiants. Et l’auteure a eu l’idée extraordinaire de nous rappeler leurs caractéristiques à chaque fois qu’il était possible. On en vient rapidement à connaître chacun d’eux et ces petites techniques de rappel, facilitent grandement la lecture.

Dès les premiers chapitres, vous pourrez suivre facilement les pensées et les actions de Wallace «le croque-mort», James le «zozoteur», Léonard «le négro», Michael «le Français», Terrance «le chétif», Lynda «la jumelle» et Aileen l’attirante et terrifiante beauté. « Beauté maudite que même la noirceur de l’âme ne parvient pas à ternir.»

Mais les personnages les plus inquiétants demeurent pour moi les organisateurs de ce jeu morbide ... et les téléspectateurs qui participent à cette mise à mort hebdomadaire. Ces acteurs invisibles ajoutent à l’horreur de la situation en mettant en exergue le côté noir de chaque participant; et les autres, par leurs cris et leurs applaudissements, donnent froid dans le dos. Voyeurs coupables ou participants innocents, ils font partie du spectacle et s’ajoutent à l’horreur du genre humain.

Armelle Carbonel nous offre un excellent roman noir. Rassembler huit criminels notoires dans un même endroit, donner assez d’indices pour bien les connaitre rapidement, ne pas tomber dans le «gore», nous présenter la psychologie de chacun et maintenir notre intérêt jusqu’à la finale !!! Voilà une tâche qui n’était pas facile. Il est vrai que certaines pages sont insoutenables ... Mais comment présenter ces criminels sans nous montrer «leur vérité», leurs fantasmes criminels et parfois, leur réalisation. Ce roman est effrayant de vérités. Peut-on croire qu’un humain, que cette âme née vierge, soit devenue ce monstre qui nous fait trembler ?

Et si le roman ne laisse aucune place à l’ennui, chaque chapitre ayant son lot d’actions et de réflexions, la fin vous transportera, vous surprendra. L’auteure vous aura sûrement frimé. Et comme spectateur de cette émission, vous aurez la chance, à la fin, de traverser l’écran et de découvrir qui tirent les ficelles de cette télé-réalité et pourquoi.

J’ai adoré ce roman pour sa puissance mais aussi pour le style et l’écriture d’Armelle Carbonel. L’horreur voisine admirablement avec la poésie et la beauté de l’écriture, dans un contraste qui amplifie chacun de ses extrêmes. Le lecteur accepte ce pari que le beau peut décrire l’immonde et allège la tension créée par les événements.

De plus, cette charge contre cette mode de la télé-réalité où ceux qui tirent les ficelles ne sont pas nécessairement devant l’écran, prend tout son sens dans la réflexion que provoque le récit.

Je vous recommande grandement la lecture de ce roman noir, oui ! Mais aussi, roman psychologique et critique de la société, dans un combat malsain pour sa propre survie. Ce pari d’Armelle Carbonel, elle l’a relevé avec brio: une maitrise de la langue extraordinaire, une construction psychologique des personnages crédibles, même dans l’horreur et un récit haletant.

Voilà les ingrédients d’un grand roman.
Et voici quelques extraits pour vous tenter encore plus !!

«Je peux presque flairer le parfum des fleurs dans un lit de brume. Palper le souffle d’une brise légère jusqu’à l’ivresse, discerner les chemins de terre traçant des sillons profonds autour de l’enceinte, percevoir le grondement d’une rivière aux abords de la forêt.
Je possède une faculté extraordinaire: l’imagination.»

On change un ou deux mots et on se retrouve avec une définition très précise de la télé-réalité ? :

« Nous ne sommes que des pions sur l’échiquier du diable, manipulés par un marionnettiste invisible au dessein bien trop prévisible: forcer les portes de notre conscience sadique. En extraire la fange. L’étaler devant des milliers de téléspectateurs fascinés par la mort et l’horreur qu’engendre l’art d’ôter la vie.»

«La terreur transpire par tous les pores de la peau. Ses gémissements répétés, si délicieux à l’oreille, transforment le sous-sol en chambre des supplices. Ses membres écartelés s’offrent magnifiquement à la lumière, tandis que les ténèbres l’environnent.»

"Si l’espoir fait vivre, alors je suis mort depuis très longtemps. Et je compte bien l’entraîner avec moi dans cet état obscur qui anéantit l’esprit et la raison."


Bonne lecture !

Richard, (Polar Noir et blanc)


Criminal Loft
Armelle Carbonel
The book edition
2011
408 pages

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