22/10/2012
Pars et ne dis rien, de Philippe Bouin
Une chronique de Paul.
Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, un message des trois singes de la sagesse !
Au bout de sept ans comme médecin dans une ONG dans la corne africaine, Jovien Porol revient sur les lieux du crime. Celui dont il a été témoin près des berges de l’étang de l’or, non loin de Montpellier. Mais il a fuit car il reconnu l’un des meurtriers. Il n’avait pas osé le dénoncer, par peur du scandale. Il avait tout quitté, Louise, avec qui il devait se marier, sa famille, son père chirurgien, ses amis, son avenir prometteur comme notable, une existence tranquille.
Aujourd’hui il revient, changé, avec l’espoir secret que justice soit faite, la sienne. Le premier de ses anciens amis qui l’aperçoit à la terrasse d’un café, dans un petit village non loin de Montpellier, est le Grizzli, enfin Jean-Yvon Guiroux qui doit son surnom à sa carrure de rugbyman. Les retrouvailles sont loin d’être chaleureuses, d’autant que le Grizzli s’est marié avec Louise et qu’un garçon est né de leur union. Jovien n’a pas eu de nouvelles en provenance de France depuis son exil volontaire. Mais il apprend toutefois que David Mariani, un étudiant en médecine dont Jovien ne se souvient pas, du moins c’est ce qu’il affirme, s’est suicidé en prison. Il était inculpé d’avoir tué une jeune vietnamienne, mais il a toujours affirmé être innocent et accusé à tort.
Jovien s’installe dans un hôtel montpelliérain standardisé, en attendant de se rendre chez oncle Côc, un Indochinois venu en France en 1954 dans les bagages de son arrière-grand-père. Sur le parking il est interpellé, avec urbanité, par un homme au physique et au langage vieille France. Il s’agit du commandant Tavernier, qui aimerait que Jovien lui apporte quelques éléments de réponses aux questions qu’il se pose concernant le meurtre de Trãn My Tiên, nom qui se traduit par Fée resplendissante, la Vietnamienne assassinée sept ans auparavant. L’assassin présumé, David Mariani, dont les baskets remisées dans un placard portaient des traces du sang de la morte, était carabin dans les services du père de Jovien. Or Tiên avait été égorgée et éviscérée par un scalpel, avec une précision chirurgicale. Seulement les conclusions de Tavernier résident dans la constatation que Mariani, si c’est vraiment lui l’assassin, n’a pu agir seul. D’autres faits infirment la conjecture de Mariani coupable. Par exemple pas de traces de sang dans le véhicule de Mariani, alors que ses chaussures en étaient imbibées. De plus Mariani, qui revenait d’une fête organisée par des étudiants vietnamiens, largement arrosée, était imbibé plus que de raison, et il lui aurait été difficile de tenir proprement un bistouri. Mais Tavernier possède une autre carte dans sa manche : des traces de pneus d’une Panda, comme celle qui appartenait à Jovien à l’époque, alors qu’aucune trace de Twingo, véhicule qu’utilisait Mariani, n’a été relevée. Et comme Jovien a tout quitté à cette époque… !
Pendant ce temps, Nguyên Khanh Van, traduction Nuage coloré, attend à l’aéroport montpelliérain sa cousine Ngô Luc Huong, Beauté et parfum. Les deux jeunes filles ne se sont jamais rencontrées, mais ce n’est pas pour cela que Huong est réticente aux démonstrations d’affection de la part de Van. C’est qu’elle arrive du Vietnam et qu’elle n’est pas habituée aux démonstrations affectives de sa cousine ni à son parler pas toujours académique Elle détient un petit carnet, la copie d’un autre soigneusement dissimulé dans lequel le nom du meurtrier de Tiên serait inscrit. Or quelques jours plus tard, Huong est retrouvée assassinée à peu près dans les mêmes conditions.
Ce roman dont le suspense est en progression constante avec un dénouement parfaitement maîtrisé, permet à Philippe Bouin de se montrer caustique, acide et de dépoussiérer quelque peu l’histoire.
La famille de Jovien est éclectique politiquement. Le père est apparenté UMP et brigue une place de député. Son oncle lui est socialiste, mais il a pris du recul avec le parti. Et il n’est pas tendre envers la génération Mitterrand. Pour preuve cette diatribe : J’ai pris conscience que j’ai adulé un hypocrite. Le Tonton facho de la fac, le Tonton de Vichy, le Tonton qui ignorait qu’on persécutait les Juifs, - avec Pétain il était bien le seul -, le Tonton de l’Algérie, le Tonton des écoutes, le grand Tonton menteur m’a donné des boutons. Il était socialiste comme moi je suis évêque. Alors, quand j’ai entendu un con le citer comme « la » référence de la gauche, ça m’a foutu en rogne. Lors d’un repas de famille, c’est à Jovien de mettre les points sur les I à son tonton, enfin à son oncle qui est habillé en Hugo Boss : Hugo Boss était un nazi notoire, c’est lui qui a créé les uniformes des SS… et il a même habillé toute l’armée du Führer. Et jovien continue en donnant comme autre exemple, Disney et son film Un amour de Coccinelle, voiture mythique qui aurait été dessinée par Hitler.
Mais si Philippe Bouin se lâche un peu par les déclarations de ses personnages, ceci ne constitue pas le fond de commerce unique de son roman. Il place ça et là quelques pointes d’humour. Par exemple il prête à oncle Côc des citations dont Confucius serait l’auteur, citations qui ne manquent pas de sel mais qui sont améliorées. Dans le genre L’homme qui ressort indemne d’un incendie a tort de jouer avec le feu.
Placé sous l’égide des trois singes de la sagesse, Mizaru dont le nom signifie Je ne vois pas ce qu’il ne faut pas voir, Kikazaru, je n’entends pas ce qu’il ne faut pas entendre, et Iwazaru, je ne dis pas ce qu’il ne faut pas dire, ce roman pourrait avoir comme morale : il faut se méfier des apparences et surtout ne pas se précipiter à émettre des conclusions hâtives, sans preuves, et encore, celles-ci peuvent induire en erreur.
A lire du même auteur : La gaga des traboules, Comptine en plomb, Paraître à mort et Va, brûle et me venge.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Pars et ne dis rien.
Philippe Bouin
Editions de l’Archipel.
312 pages. 19,95€.
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