28/11/2014
Entretien avec Stéphanie Aten
Après avoir chroniqué le passionnant roman de Stéphanie Aten, « la 3e guerre » Albertine et Jacques l’ont interrogée sur le livre, sa genèse, sa conception de l’écriture, ses projets. Voici ses réponses.
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Jacques. Comment vous est venue l'idée de choisir comme thème de ce premier roman la fin l'économie libérale et son remplacement par un système plus solidaire ?
Stéphanie Aten. La genèse de « La 3e guerre » remonte à 2006. A l'époque, j'avais envie d'écrire une histoire d'aventures sur l'Atlantide. Comme j'aime maîtriser mon sujet, je me suis mise à faire des recherches pour démêler le bon grain de l'ivraie, et ce faisant... j'ai bel et bien plongé dans un océan, mais celui de la Connaissance. Aborder une thématique, me conduisait fatalement à en étudier une autre, et ainsi de suite... Je n'ai jamais écrit ce roman, j'ai appris à nager durant six ans. Tous les sujets y sont passés, dès que j'avais un moment, je me documentais, je continuais à creuser. J'en suis arrivée à des centaines de pages d'informations vérifiées, j'ai alors décidé d'élaborer trois romans pour transmettre et illustrer tout ce que j'avais trouvé. Il fallait commencer par le plus urgent : la version de civilisation dans laquelle nous vivons n'est pas la bonne, il faut en changer, rapidement. Elle est létale, destructrice, et indigne de ce que nous sommes capables de bâtir. C'est donc l'urgence et l'évidence qui m'ont poussée à commencer par « La 3e guerre ». Mais je ne me voyais pas me limiter à des constats, même solidement argumentés. C'eût été faire le travail à moitié. Alors j'ai retravaillé mon idée, et je lui ai donné la forme d'une Révolution. Comment la mener, vers quelle voie l'orienter, qui pourrait la porter... Je pense que le fait d'être devenue mère entre-temps, a fortement conditionné ce revirement. Il était hors de question pour moi de me cantonner à un état des lieux, sans m'attaquer à des travaux de rénovation. « Oui mon chéri, c'est un monde pourri dans lequel je t'ai fait naître, et je sais exactement pourquoi, mais j'ai la flemme de travailler sur des solutions, désolée ». L'irresponsabilité est à mes yeux le pire des défauts à l'heure actuelle.
Albertine. Votre nom de plume renvoie à Aten, le héros agent secret du roman, et à Mina, en ce qu’elle semble être votre portrait (physiquement en tout cas si on en croit votre site).Pouvez-vous nous en dire plus sur la distance que vous entretenez avec vos personnages ?
Stéphanie Aten. Je voulais absolument adopter un pseudonyme, afin de bien distancier mes écrits de ma vie privée. Je n'aime pas les attaques personnelles, j'aime les débats d'idées. Avoir un nom de plume permet d'engager ces derniers, en amortissant les premières. J'ai choisi de porter le nom de mon héros, pour deux raisons : d'abord parce que ce roman est ma première oeuvre littéraire, et que c'était pour moi l'occasion de me "tatouer" de cette naissance ; ensuite parce que le personnage en lui-même, est inspiré de l'homme qui partage ma vie, et qu'accoler le prénom de mon protagoniste au mien, avait quelque chose de romantique... Mon compagnon s'est beaucoup transformé à mon contact, il y avait donc dans ce "collage", un reflet de notre propre histoire. Quant à Mina, effectivement, elle me ressemble beaucoup. Une version de moi en tellement mieux, une version idéale à laquelle j'aspire... Quand j'écris, j'ai besoin de faire partie de l'aventure comme si j'y étais. J'ai toujours un double parmi mes personnages.
Jacques. Le titre de votre roman peut-être interprété de deux façons : - la troisième guerre (sous entendue : mondiale) - la guerre électronique menée par "3". Pourquoi cette ambiguïté ?
Stéphanie Aten. J'ai choisi ce titre pour trois raisons :). D'abord parce que nous sommes bel et bien en guerre : chaque année, le capitalisme outrancier tue plus d'individus que la Seconde guerre mondiale en six ans, et cause des dégâts environnementaux dorénavant irréparables. Nous sommes donc aux prises avec une mentalité et une version de civilisation, qui opposent la construction à la destruction, la vie à la mort, la pérennité à l'étiolement.
Deuxième justification : j'ai évité d'utiliser le qualificatif "mondiale", parce que cela risquait de donner au livre une couleur qui n'était pas la sienne : guerre nucléaire, faits d'armes, jugement dernier... Quand vous tapez "Troisième guerre mondiale" sur Internet, ce qui ressort, c'est la peur d'un conflit armé. Je trouvais l'adjectif malvenu et superflu.
Enfin, le combat livré est bien celui de l'organisation citoyenne baptisée "3", chiffre dont la symbolique est très forte dans quasiment toutes les religions et les cultures. Il met tout le monde d'accord et n'aspire qu'à une chose... l'union et l'équilibre.
Albertine. Vous semblez imprégnée de philosophie zen, vous faites des altermondialistes les plus « avancés » des êtres « Eveillés », terme courant pour désigner ceux qui ont atteint l’éveil. Cela donne à votre roman une coloration étrange, puisque les hommes et femmes d’action y sont également ceux qui ont une vie spirituelle, qui requiert une forme de retrait (tout en ouvrant au monde il est vrai). Comment vous est venue cette idée étrange ? Est-ce la conviction qu’il n’y a pas de changement possible dans le monde sans un « travail sur soi » abouti ; ou est-ce un jeu d’écrivain qui teste la rencontre étrange de deux mondes a priori étrangers ?
Stéphanie Aten. Je pense qu'un être complet, est un être pensant et agissant, et surtout, un être qui agit après avoir pensé. Les personnages qui portent et articulent "3", sont des êtres entiers, aboutis. Ils savent qui ils sont, ils savent ce qu'ils veulent accomplir, quelle est la mission qu'ils veulent confier à leur existence, et c'est cela qui leur permet d'agir avec force, conviction, et altruisme. Il faut avoir compris le sens de la vie et du mot "civilisation" avant de se jeter dans sa construction. Je pense que le Monde actuel est porté par beaucoup d'individus devenus puissants malgré (ou grâce à) des dysfonctionnements flagrants. Il s'agit de personnes déconnectées de leur propre humanité, qui ont perdu le sens de la réalité. Pour les contrer, voire les renverser, il ne nous faut pas d'autres "puissants", il nous faut de grandes âmes. Des individus conscients et au service de l'ensemble, pas d'eux-mêmes. Seules des personnes aussi "avancées" pourront bâtir une action collégiale, intelligente et juste, pour initier un véritable changement. Ces personnes existent, il y en a partout. Mais soit elles n'ont pas encore conscience de ce qu'elles peuvent et doivent faire, soit elles n'en ont pas encore les moyens. J'ai écrit ce livre en espérant contribuer à créer un électrochoc.
Albertine. Vous citez Attac : en feriez-vous partie ? Et pouvez-vous nous en dire plus sur votre éventuel engagement ?
Stéphanie Aten. Je suis effectivement adhérente d'Attac, et essaie de m'impliquer autant que possible dans les actions de ma région, ou dans les groupes de réflexion. Je suis également de près les campagnes nationales et internationales. A l'heure actuelle, peu de groupes altermondialistes sont aussi vastes et impliqués, et je suis impressionnée par les combats qu'ils parviennent parfois à remporter. Cependant, je déplore que la cause altermondialiste reste aussi éclatée, en une myriade de petits clans, qui ne prennent pas la peine de se fédérer, et de s'organiser autour d'une véritable stratégie, à grande échelle. Il y a beaucoup de forces en présence, mais très peu d'articulation. Il y a beaucoup de "cerveaux" engagés, mais pas de "plan" pour contrer ce qui nous fait face. On n'a aucune chance de véritablement changer les choses tant qu'on n'aura pas compris ça.
Jacques. La 3E guerre est votre premier roman publié, une réussite pour un premier roman ! Aviez-vous déjà une autre expérience de l'écriture, et si oui dans quel domaine ? Quelle place tient l'écriture dans votre vie ?
Stéphanie Aten. J'écris depuis que je connais mon alphabet, j'ai toujours voulu en faire mon métier. Mes institutrices gardaient mes cahiers de rédaction « en souvenir », j'offrais des histoires en cadeau à mes proches... J'ai longtemps écrit dans mon coin. A 18 ans, j'ai choisi de devenir scénariste, j'ai suivi les études nécessaires, mais la vie a des façons étranges de vous détourner de vos objectifs pour mieux vous tester... J'ai endossé d'autres métiers, mais je ne me suis jamais arrêtée d'écrire. Mon imaginaire tourne 24h/24, c'est absolument irrépressible. Je ne peux pas m'empêcher de contempler la réalité et de chercher à la remodeler, ou de l'alléger à travers l'invention de pures fictions. Je ne peux pas non plus faire taire les appels tempétueux de mon inspiration, c'est obsessionnel. J'ai toujours pensé qu'inventer et écrire était mon rôle dans la Vie, mais paradoxalement, je me bats encore pour me réaliser. J'ai enfin trouvé un agent pour me défendre et me faire connaître, j'ai renoué avec mon activité de scénariste depuis peu, mais je suis encore très loin d'en vivre pour pouvoir écrire à longueur de journée et me délester de tout ce qui m'habite.
Jacques. L'intégration de la documentation que vous avez réunie sur les méfaits du capitalisme contemporain et le mouvement altermondialiste mondial est particulièrement réussie, car bien intégrée au roman. Comment avez-vous géré ces deux aspects : personnages et récit d'un côté, documentation fouillée de l'autre ?
Stéphanie Aten. Je ne vous le cache pas : ça a été un véritable casse-tête ! Les premières versions ressemblaient à des collages grossiers. Un peu d'action et de fiction, puis des grands pans d'explications « désincarnés », sans ton, sans personnage pour les animer. Des sortes de « je vous explique » d'une atroce maladresse. J'ai fini par m'y prendre autrement : j'ai d'abord raconté toute l'histoire sans y adjoindre d'informations, comme si mon lecteur les connaissait aussi bien que moi. Cela m'a permis, au passage, de vérifier la solidité de la structure, la fréquence des rebondissements, la profondeur des personnages, leur évolution... bref, de faire un travail classique de narration. Puis j'ai repris ma documentation, et j'ai trié, compulsé, re-trié, re-compulsé, jusqu'à arriver à une quantité « digeste » de données. Là, j'ai convoqué chacun de mes personnages pour un brainstorming, et je leur ai distribué leur rôle de transmetteurs. Je leur ai attribué, à chacun, en fonction de leurs personnalités et positions dans l'histoire, tout ce qu'il me paraissait vital de faire passer. Il m'a fallu encore plusieurs relectures et corrections pour donner à l'ensemble un aspect lisse et cohérent... Je n'ai jamais été vraiment satisfaite du résultat, mais j'ai fini par m'imposer un stop, car je savais que je n'arriverais plus à faire mieux.
Jacques. Votre roman se prêterait particulièrement bien à une adaptation au cinéma ou à un téléfilm. Avez-vous déjà des propositions dans ce sens ? Quels acteurs verriez-vous dans les rôles d’Agen et de Mina ?
Stéphanie Aten. Je n'ai pas encore de proposition, il est un peu tôt, mais je travaille déjà sur l'adaptation. Je ne veux surtout pas effectuer une transposition fidèle : si un film voit le jour, ce sera pour être le complément du livre. Je veux que le lecteur puisse vraiment devenir un spectateur, en découvrant, par exemple, ce que fait Mina pendant que Aten est avec Charles, ou ce qui se passe dans le Monde pendant que l'Orgueilleux prépare sa petite cuisine... Le film donnera vie à des chapitres inédits, des coulisses restées fermées, des scènes inexistantes dans le livre. Pour ce qui est de la distribution, non, je n'ai pas d'idée, pour une raison précise : j'aimerais que ce soit l'occasion d'une « découverte » de talents. J'aime les pépites cachées. Je ne sais que trop bien ce que c'est, que de rester prisonnier de l'ombre.
Jacques. Avez-vous un autre livre en chantier ? Si oui, pouvez-vous déjà nous en donner le thème ?
Stéphanie Aten. « La 3e guerre » est le premier volet d'un triptyque. Chacun des trois romans sera porté par des héros différents, qui n'auront pas de lien entre eux. En revanche, la colonne vertébrale des récits sera toujours la même : le changement. La Révolution, la remise en question de l'ordre établi. Il n'y a rien de pire que la fixité tant qu'on n'a pas atteint l'équilibre. Or, on se ferme toutes les chances d'y accéder si on s'immobilise. Les trois livres raconteront donc des bouleversements majeurs, mais dans des domaines totalement différents, et profondément complémentaires :
« La 3e guerre » s'est attaquée aux aspects économique et politique de notre civilisation, sa dimension sociétale et citoyenne. Cette partie-là, c'est fait.
« Pangée » sera un roman axé sur l'écologie, le lien Homme-Terre. Ce lien est-il purement matériel ou cache-t-il bien plus ? La théorie Gaïa est-elle fondée ? Cette histoire aura un caractère fantastique permettant de faire passer facilement de passionnantes informations scientifiques. En outre, cette fois, les grands héros de l'intrigue... ce seront nos enfants.
« Les Planificateurs » constituera le dernier volet, et il abordera des sujets glaçants : les origines de l'homme, le rôle des religions... et la vie extraterrestre. J'entends déjà claquer les dents.
15:45 Publié dans 07. Les plus récents entretiens avec des auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stéphanie aten, entretien, la 3e guerre | Facebook | |
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