26/10/2018
La mort selon Turner (Memo From Turner), de Tim Willocks
Une chronique de Cassiopée
Va ton chemin
Ce roman est bouleversant, magistral ; d’une intensité et d’une puissance sans pareilles. Il vous met le cœur en vrac, la tête en vrille. Il vous fait tutoyer les étoiles puis descendre aussi vite en enfer. Il est empli de douleur, de révolte, de violence et d’amour. Et par-dessus tout, il est porté par une écriture sèche, âpre, qui magnifie chaque mot, chaque phrase en trouvant comment en sortir la substantifique moelle.
Le contexte est très vite posé : l’Afrique du Sud avec ses tensions raciales, ses éclats, ses cachotteries, ses faux semblants. Quelques jeunes en goguette sortent un soir et boivent trop. L’un d’eux, un Afrikaner, prend le volant en étant ivre et renverse une jeune femme noire, probablement sans domicile. Pas de quoi s’affoler surtout lorsqu’on est saoul au point de ne se souvenir de rien. C’est ainsi que Dirk le Roux, fils de Margot, dont l’empire financier est sans égal dans ce coin perdu, est protégé par ceux qui étaient avec lui. Il doit partir d’ici un jour ou deux à Pretoria donc pas la peine de lui encombrer l’esprit avec quelque chose dont il n’a même pas connaissance. De plus, s’il était poursuivi, il perdrait son statut d’avocat, métier que sa génitrice a pratiquement choisi pour lui.
En parallèle, l’enquête est confiée à Turner, un grand policier noir aux yeux verts, spécialiste d’arts martiaux. Pour lui
« Ce n’était pas seulement l’histoire de cette fille qui était écrite ici, mais celle d’une civilisation en faillite. »
C’est un homme de terrain, qui ne lâche jamais rien, droit dans ses bottes, intègre quel que soit le prix à payer. Il a vu des horreurs et il « vit » pour la justice. Il demande à son chef, Venter, de se rendre à Langkopf, dans le Cap-Nord où il veut arrêter le coupable car il a eu quelques informations sur les circonstances du décès. Langkopf, c’est une ville de quatre mille habitants, près d’un désert inhospitalier où sévit une chaleur à faire cuire un œuf sur le capot de la voiture. Un lieu où tout se sait, où chacun connaît les faits et gestes de son voisin et où Margot règne en despote.
Turner inspire le respect, même à ses pires ennemis. Il va son chemin, ne craignant rien, il ne perd pas de vue le but qu’il s’est fixé et il avance quoi qu’il arrive. Mais rien n’est simple face à tout ce qu’il rencontre. Ceux qui sont en face de lui sont déterminés à protéger Dirk. Même la police est corrompue…. En Afrique du Sud, rien n’est tout blanc ou tout noir et ce n’est pas un mauvais jeu de mots. Toutes les teintes de gris passent et repassent… Même les vrais méchants ont leurs failles, leurs faiblesses, leurs douleurs. L’étude des caractères des protagonistes est une grande force de récit. Aucun n’a été épargné par la vie, pas même Dirk que sa mère protège tout en le « gouvernant » et en décidant de ce qui est bon pour lui. Quant à Margot, avec ses mines de manganèse, elle fournit du travail à beaucoup d’hommes donc elle est vénérée. Chacun des individus est sur une route et veut la suivre jusqu’au moment où un obstacle, des obstacles se mettent en travers, chacun est prêt à tout pour continuer d’avancer…. L’équilibre qu’avait instauré Margot est instable à partir de l’instant où Winston Turner décide de faire payer le conducteur. Il le doit à la jeune femme assassinée mais aussi à tous les meurtres impunis dont il sait qu’ils ont existé. Au fil des pages, on apprend à connaître chacun des personnages, à les comprendre, à presque accepter leurs choix. L’auteur est psychiatre et analyse les doutes, les points d’appui de tous avec finesse. De plus l’approche politique et sociale ainsi que la présentation des mœurs du coin sont très bien introduites (j’ai aimé la rencontre avec le San, l’évocation des groupes indigènes).
Malgré son côté violent j’ai beaucoup apprécié ce livre. Certaines scènes sont à la limite du soutenable. Mais l’écriture de l’auteur, admirablement bien traduite a un je ne sais quoi d’inexplicable, d’inexprimable qui vous prend aux tripes. Turner est un des ces êtres de papier qui vous marquent à jamais (ainsi que quelques descriptions brrrrrr……). Je me suis demandée s’il cherchait à marcher vers la résilience, s’il semait le chaos pour faire souffrir et souffrir, en mettant ainsi tout le monde sur un pied d’égalité. Je crois simplement que Turner est un homme qui ne revient jamais sur une décision qu’il considère comme juste pour continuer à se regarder dans un miroir sans avoir honte de ses choix.
La mort selon Turner (Memo From Turner)
Auteur : Tim Willocks
Traduit de l’anglais par Benjamin Legrand
Éditions Sonatine (11 Octobre 2018)
ISBN-10: 2355846723
ISBN-13: 978-2355846724
Pages : 384
Quatrième de couverture
Lors d'un week-end arrosé au Cap, un jeune et riche Afrikaner renverse en voiture une jeune Noire sans logis qui erre dans la rue. Ni lui ni ses amis ne préviennent les secours alors que la victime agonise. La mère du chauffeur, Margot Le Roux, femme puissante qui règne sur les mines du Northern Cape, décide de couvrir son fils. Pourquoi compromettre une carrière qui s'annonce brillante à cause d'une pauvresse ? Dans un pays où la corruption règne à tous les étages, tout le monde s'en fout. Tout le monde, sauf Turner, un flic noir des Homicides. Lorsqu'il arrive sur le territoire des Le Roux, une région aride et désertique, la confrontation va être terrible, entre cet homme déterminé à faire la justice, à tout prix, et cette femme décidée à protéger son fils, à tout prix.
10:16 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la mort selon turner, tim willocks | Facebook | |
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