23/03/2019
Je maudis le jour, de Anna-Véronique El Baze
Une chronique de Cassiopée
Une grenade dégoupillée …
Ce roman est âpre, dur, sec, porté par une écriture qui va à l’essentiel. On pourrait la croire sans émotion, dénuée de sentiments mais ils sont là, entre les lignes, sous-jacents. La soif d’être aimé, le besoin de dominer et de faire mal par peur de se perdre, l’envie de réussir, de se prouver qu’on existe, et par-dessus-tout le désir profond de ne jamais montrer ses faiblesses.
Ils sont trois, trois cabossés de la vie, chacun avec des démons personnels, des fantômes, plus ou moins lourds sur les épaules et des casseroles à traîner derrière soi. Il y a le flic, Revel, persuadé qu’une femme est responsable de certaines morts dans des conditions atroces. Son équipe ne le suit pas dans ce raisonnement et il lutte seul pour essayer de confirmer ses soupçons. La personne qu’il accuse est une libraire, plutôt effacée, qui n’a rien d’une tueuse. Et pourtant, employée discrète le jour, Léa devient une autre lorsqu’elle sort de son costume de femme rangée. Double personnalité ? C’est beaucoup plus complexe que ça et c’est très bien présenté par l’auteur. En quelques phrases courtes, elle installe le décor, le contexte, et place ses banderilles, harponnant le lecteur, le faisant pénétrer à sa suite dans l’indicible, dans l’univers de folie de la salariée. Le dernier est un clochard, qui s’est retrouvé à la rue après avoir vécu quelque chose de terrible qui le hante.
Léa aux deux visages est une personne énigmatique, imprévisible, tant pour le policier avec qui elle s’amuse en jouant au jeu de la séduction que pour le sans domicile fixe, ex militaire, avec qui elle tisse des liens curieux. Aucun de ces hommes ne la comprend, ne la cerne vraiment. Alors chacun de leur côté, ils vont essayer de découvrir qui elle est, ce qu’elle cache et son but secret, sans doute pour la protéger et la sauver, mais de quoi, de qui, et pourquoi ? Est-ce qu’ils agissent ainsi par amour de leur prochain ? Pour trouver une forme de rédemption ? Se pencher sur l’autre, lui tendre la main, c’est faire du chemin vers lui mais c’est également avancer sur sa propre route, parfois en se pardonnant malgré la douleur. D’ailleurs la souffrance est souvent présente dans ce livre, celle des protagonistes mais aussi celle de ceux qu’ils côtoient de près ou de loin, ou qu’ils ont côtoyés …..
Le lecteur se sent terriblement impuissant devant ce qui se déroule sous ses yeux. Qu’il ait ou non de l’empathie pour les personnages, il ne peut ignorer la détresse qui sourd derrière chaque phrase, violente, humaine, douloureuse…. Et parallèlement, il ressent l’horreur de certains choix, de certaines situations …. En nous entraînant dans l’esprit torturé de Léa, Anna-Véronique El Baze nous met face aux raisons des choix de cette femme, nous obligeant presque à prendre position, à la comprendre…
Ce recueil est atypique, le rythme peut sembler haché mais il correspond à ce qui y est évoqué. Les périodes calmes sont rapidement ébranlées par des événements qui échappent même à ceux qui les provoquent. J’ai trouvé l’analyse psychologique des trois premiers rôles très fine, et intégrée au texte avec doigté. L’auteur a réussi un récit qui désarçonne avec une fin que l’on n’attendait pas et l’ensemble est une réussite.
Éditions : Plon (7 Mars 2019)
225 pages
Quatrième de couverture
Nicolaï Stefanovic a rendu les armes au Mali, la nuit du 16 mars 2013, dans une grotte de l'enfer rocheux de l'Idrar des Ifoghas. Léa, divorcée, 39 ans, est libraire ; elle a le profil d'une femme terne sur lequel on ne se retourne pas. Sa came c'est le roman noir, celui qui lui procure l'adrénaline. Ces deux êtres " sortis du cadre " se croisent.
20:52 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
Les commentaires sont fermés.