19/03/2020
La cave aux poupées, de Magali Collet
Une chronique de Cassiopée
Elle n’a connu que ça, Manon. La vie (mais peut-on appeler ça la vie ?) dans une maison, loin de tout. Avec un homme, appelé « Le Père » et une Maman, qui est décédée. Elle lui manque mais elle n’a pas le choix. Manon accepte les coups, l’attitude perverse du paternel. Elle est fataliste, formatée ainsi car elle n’a jamais rien vu d’autre… Bien sûr, à la télévision, elle observe « la vraie vie » mais ça ne lui fait même pas envie. Elle n’a plus d’émotions, de sentiments, depuis longtemps, elle subit et c’est tout. Elle obéit sinon elle ramasse, le Père la frappe, la « monte » et tout est douleur. Dans la cave, il y a la fille ou les filles, c’est selon. Elle les prépare, les « conditionne » et essaie, au maximum, de leur faire comprendre ce qu’elles doivent faire pour être de « bonnes poupées ».
Ce qui est décrit dans le roman, à ce moment-là, est très fort, très dur, plutôt insoutenable. C’est Manon qui parle, qui s’exprime avec ses mots comme une petite fille soumise, loin de la réalité, mal aimée, ayant grandi trop vite, installée dans un vécu qu’elle ne maîtrise pas. La sélection de chaque terme est précise, fait sens, et choque, c’est volontaire et on ressent une terrible impuissance. Le lecteur peut s’interroger et se dire que Manon devrait lutter, avoir envie d’autre chose. A quoi bon ? Est-ce que le « dehors » lui fait peur ? Est-ce que s’occuper des prisonnières lui donne l’impression d’être utile ? Est-ce qu’elle ne comprend pas qu’elle peut vivre différemment ?
Et puis un événement va bousculer ce faux équilibre. Manon va découvrir l’Autre. L’Autre qui ne sera plus un « numéro », qui existe et qui la fait exister, presqu’en miroir… A ce moment-là, des doutes s’immiscent dans son esprit et dans celui de la personne qui lit. Y-a-t-il une petite, infime place pour l’espoir ? Manon peut-elle créer des liens, aimer, décider de passer à autre chose ? Est-ce que tout cela n’est pas trop pour elle ? Est-elle capable de vivre autrement ? Et puis peut-elle avoir un rapport « normal » avec d’autres personnes, elle qui vit cloitrée ?
Dans ce livre, la tension est permanente. L’écriture incisive de Magali Collet fait mouche, prend aux tripes et ne vous lâche pas. Même lorsqu’elle laisse entrevoir une lueur, tout retombe et le stress revient car la malveillance du Père ne faiblit pas. Alors, on reste le ventre serré, la boule au fond de la gorge, recroquevillée dans son canapé en se disant que tant de perfidie ça n’existe pas. C’est une lecture troublante, qui dérange. Un vrai roman noir où il n’y a pas un mot de trop. C’est sans doute cela, entre autres, qui fait sa force, qui le rend si puissant, si marquant. C’est brut, fort, porteur de sens. L’auteur vient de signer, avec ce titre, son premier récit. Elle fait fort. Son écriture est mature, posée et elle a su doser les descriptions, les ressentis, les relations entre les uns et les autres. C’est un huis-clos qui fait mal, donc pleinement réussi.
Éditions : Taurnada (19 Mars 2020)
211 pages
Quatrième de couverture
Manon n'est pas une fille comme les autres, ça, elle le sait depuis son plus jeune âge. En effet, une fille normale ne passe pas ses journées à regarder la vraie vie à la télé. Une fille normale ne compte pas les jours qui la séparent de la prochaine raclée monumentale... Mais, par-dessus tout, une fille normale n'aide pas son père à garder une adolescente prisonnière dans la cave de la maison.
14:07 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
Les commentaires sont fermés.