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31/10/2011

La couleur de la loi, de Mark Gimenez

la_couleur_de_la_loi.jpgUne chronique de Christophe.

« La couleur de la justice n'est ni noire, ni blanche. Elle est verte, comme le dollar ! »

Le titre est une citation extraite d'un premier roman publié en français, dans une petite maison d'éditions belge, et ce polar judiciaire, qui se déroule à Dallas (dont on découvre une nouvelle facette de son univers impitoyable...) et dénonce la cupidité du petit monde des avocats, plus préoccupés de facturer des heures à des tarifs exorbitants à leurs clients qu'à rechercher la vérité... Ce roman s'appelle "la couleur de la loi" (traduction littérale du titre original, ce n'est pas si courant) et est signé par... un avocat ayant choisi de devenir romancier : Mark Gimenez (en grand format chez Ixelles éditions). Un roman qui recèle une très intéressante originalité...

Dans les années 2000, Scott Fenney est un avocat qui monte. Il travaille pour l'un des plus gros cabinets de la ville, s'occupe de dossiers très rentables, a l'ambition de prendre la tête du barreau de la ville, vit avec sa femme et sa petite fille de 9 ans dans le quartier résidentiel le plus huppé... Bref, ça va bien pour lui.

Lors d'un discours pour convaincre ses pairs de l'élire à la présidence du barreau, Scott, allègrement cynique, car sa seule motivation véritable est l'argent (qui donne pouvoir et position sociale), dénonce les dérives du système judiciaire, où la vérité n'a plus sa place, ou peu de lawyers travaillent pour faire le bien autour d'eux, mais plutôt pour tirer des bénéfices pas toujours mérités de leur travail.

Et, pour illustrer ce discours, Fenney a une figure tutélaire parfaite à mettre en avant : Atticus Finch, un avocat, lui aussi, personnage principal d'un des classiques de la littérature américaine : "ne tirez pas sur l'oiseau moqueur", de Harper Lee. Un livre que la mère de Fenney lui lisait quand il était enfant, espérant lui inculquer le sens de la justice et faire de son fils un nouvel Atticus Finch.

Mais, si le petit Scotty est bien devenu avocat une fois adulte, force est de reconnaître qu'il n'a pas suivi la voie souhaitée par sa mère. Son discours n'est qu'un argument de campagne pour séduire un auditoire et, une fois revenu dans son bureau, il redeviendra un requin sans foi, ni loi, se ce n'est celles de l'argent roi.

Pourtant, une personne dans l'auditoire a pris le discours de Fenney au sérieux : Sam Buford est juge à la cour fédérale, la plus haute instance judiciaire du Texas. En entendant la "profession de foi" de maître Fenney, il s'est dit qu'il pourrait être l'homme de la situation dans une affaire qui s'annonce au combien épineuse.

Alors, il appelle Scott Fenney et le commet d'office pour défendre Shawanda Jones, une jeune femme noire, originaire des quartiers les plus pauvres de la ville, une héroïnomane qui gagne de quoi se payer ses doses en se prostituant. Là voilà en prison, accusé du meurtre de ses clients, un blanc.

Et pas n'importe quel blanc : la victime, Clark McCall, est en effet le fils du sénateur Mack McCall, favori pour devenir le prochain président des Etats-Unis...

Pour ne pas perdre la face devant le juge Buford, Fenney n'a pas osé décliner l'offre. Mais il est d'abord un avocat d'affaires, pas un avocat pénaliste, habitué aux affaires, comme celle-ci, où la peine de mort peut-être requise. Et surtout, le temps qu'il va consacrer pro bono va l'empêcher de se consacrer aux seules affaires qui vaillent le coup, les affaires qui rapportent de l'argent.

Alors, il cherche comment se défiler... sans y parvenir, sous la pression du juge. C'est alors qu'il va découvrir qu'il y a bien pire que la pression de Sam Buford : celle de Mack McCall, homme d'influences, qui ne veut pas d'un procès pour la meurtrière présumée de son fils. Alors, il va tout mettre en œuvre pour détruire la "vie idéale" de Scott Fenney pour qu'il laisse tomber...

Voilà qui va faire tomber les écailles des yeux de Scott Fenney. Certes, il n'est pas encore le digne successeur d'Atticus Finch, car c'est avant tout pour se défendre lui-même des attaques qui le visent. Mais plus on cherche à le détruire, plus il se sent concerné par cette affaire (même s'il ne croit pas une seconde à l'innocence de sa cliente, que toutes les preuves paraissent accuser).

Il va alors renoncer à son statut social, à ses signes extérieurs de richesse, à son poste, à tout ce qui faisait le quotidien de Scott Fenney, pour se consacrer à cette affaire et comprendre enfin que le métier d'avocat, c'est aussi de rechercher la vérité et de faire le bien autour de lui.

Au-delà de l'histoire, polar judiciaire assez classique, c'est la relecture contemporaine de "ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" qui est très intéressante. "La couleur de la loi" ne se déroule pas dans l'Alabama ségrégationniste des années 30, mais dans le Texas du début du XXIème siècle. Officiellement, il n'y a plus de ségrégation raciale. Pourtant, on peut considérer qu'elle s'exerce encore, de manière très différente : par l'argent et le statut social.

L'élite texane est blanche, anglo-saxonne et protestante, riche et sans scrupule. Mais aussi raciste de fait : noirs et hispaniques sont une infime minorité à occuper des postes importants, l'accès à nombre de clubs et de résidences ne leur est pas permis, sinon comme employés et, devant la justice, lorsqu'une affaire oppose un blanc à un noir, les préjugés l'emportent bien souvent sur la recherche de la vérité.

Mark Gimenez, avocat lui-même à Dallas, dénonce dans ce livre les dérives de cette élite et fustige le rôle des avocats, parfaits petits soldats, qui n'oublient pas de s'en mettre plein les poches tout en faisant tout pour maintenir cet état de fait. Des avocats qui vivent dans leurs tours d'ivoire et de verre bien climatisée en oubliant complètement qu'il y a une vie différente, difficile, au pied des gratte-ciel.

Et son personnage central lui aussi va redécouvrir cela par la force des choses et se souvenir d'où il vient. Car Fenney n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, il n'est pas un "fils de" (comme ce dépravé de Clark McCall), il ne doit son statut qu'à sa propre réussite. D'abord comme footballeur. Star de son université, il a accumulé les records, obtenant une bourse qui lui a permis de faire son droit. Ensuite, comme avocat, puisqu'il est sorti major de sa promotion avant d'intégrer un cabinet prestigieux et d'en devenir l'un des plus jeunes et prometteurs associés.

Mais jamais il n'a appartenu à cette caste des gens riches. Il s'y est intégré parce que la société dans laquelle il évolue est celle du paraître, de l'aisance étalée à outrance, de "l'inceste social" d'une classe sociale qui vit refermée sur elle même, excluant le reste du monde qui n'a, à leurs yeux, aucune existence propre...

On a quitté les Ewing et leur empire pétrolier qui avaient déjà fait une belle réputation à Dallas pour découvrir que cette ville est décidément tout sauf l'image d'Epinal du rêve américain. Si tout à changé depuis les années 30, Gimenez montre qu'en fait, la situation reste hélas la même dans les faits. Précisons que le roman est paru en Europe en 2010, mais aux Etats-Unis en 2005, soit avant l'élection de Barack Obama à la présidence. Un évènement historique intervenu entre temps qui ne remet pas du tout en cause, malheureusement, cette situation...

Au-delà de ces aspects sociaux et politiques (car la lâcheté et l'ambition touchent évidemment ceux qui briguent des mandats, le seul personnage courageux étant Buford, le juge fédéral, qui n'a rien à perdre puisque nommé à vie), il y a dans ce livre un très intéressant travail autour du roman de Harper Lee pour dessiner un parcours, non pas parallèle mais convergente, entre les destins de Finch et de Finney. Ceux qui ont lu et apprécié "ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" devraient repérer les nombreux clins d'oeil que Gimenez a placé dans son récit.

Pour finir, un mot des deux enfants présentes dans ce livre dur, sans concession. Pam, la fille de Fenney, et Trisha, la fille de Shawanda Jones, l'accusée, sont une oasis de fraîcheur et de candeur dans cet univers de cynisme et de duplicité. Pam, c'est ma voix de la conscience de Fenney ; Trisha, c'est la preuve que de jolies fleurs peuvent éclore sur les pires terreaux. Et, à elles deux, elles vont devenir les moteurs de Fenney, celles dont il a la responsabilité, celles qu'ils voudraient rendre fières, celles pour lesquelles il se doit de devenir l'exemple qu'il n'a pas vraiment été jusque-là.

Leurs sourires comme leurs larmes n'ont rien des sentiments feints que ne cesse de côtoyer Fenney dans son travail dépourvu de toute humanité. Avec la naïveté de leur jeune âge, elles lui assènent des vérités imparables, mettent le doigt sur la perversité du monde qui les entoure, le mettent en porte-à-faux entre sa situation et ses idéaux oubliés.

Et tant pis si pour retrouver ces fameux idéaux, que sa défunte mère lui avaient enseignés quand il avait lui-même l'âge de Pam et Trisha, il doit laisser derrière lui irrémédiablement tout ce qui faisait sa grandeur, tout ce qui faisait son statut social, tout ce qui faisait... les apparences. Pour elles, l'être doit reprendre le dessus sur le paraître.

Il n'est pas encore Atticus Finch, mais il est désormais sur le bon chemin...

Christophe

http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/

 

La couleur de la loi
Mark Gimenez
Ixelles édition (sept. 2011)
21,90 €