26/10/2011
Entretien avec Guillaume Lefebvre
Cassiopée, après avoir chroniqué le roman de Guillaume Lefebvre les inconnus du Saint François interroge l’auteur. Des questions et des réponses originales, parfois poétiques… à lire donc !
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Cassiopée. Si je vous dis : «Je déteste la mer, l’océan, ça sent mauvais, il y a du vent, le sable crisse sous les dents, il s’infiltre partout, il gratte, cette immensité m’angoisse…. », continuez-vous de lire mes questions ou essayez-vous de me persuader que «le milieu maritime mérite d’être connu » ?
Guillaume Lefebvre. Chère Cassiopée, je comprends votre animosité envers la mer. Jadis, vous étiez jalouse de la beauté des Néréides, et Poséidon vous a puni. Maintenant, vous êtes une constellation bien connue des marins, car vous les guidez dans la nuit. Alors, vous pouvez pester autant que vous le voulez, ça ne changera rien. Vous faites partie du monde de la mer.
Cassiopée. A contrario, si je vous dis que la montagne m’étouffe mais que l’océan est un lieu où je me ressource, où la solitude ne me fait pas peur, où je respire par tous les pores de la peau, où je m’enivre d’air, d’embruns, de bruits (mouettes, cornes de brume etc…), de silence …où je suis heureuse, me dites-vous « moi aussi » ?
Guillaume Lefebvre. Votre nom est tellement joli que chaque marin vous porte en son cœur. Comme eux, vous avez le goût de l’aventure. Quoi de plus mystérieux que de quitter un port dans la brume du petit jour, pour s’enfuir vers la ligne d’horizon ? Au fur et à mesure que vous l’approcherez, elle vous entourera pour effacer les repères. Le jour, Zeus vous accompagnera, mais la nuit, vous devrez faire confiance aux autres déesses. Prenez garde que les nymphes de la mer ne vous reconnaissent pas, elles pourraient alors devenir furieuses et frapper votre embarcation de mille gifles. Mais n’ayez crainte, les marins ont appris à naviguer. Ils sont avares de mots, mais pas d’entraide. En silence, ils attendront qu’elles se calment, car il n’y a rien d’autres à faire. Malheur à celui qui ose les provoquer.
Et un jour, alors que vous réchaufferez vos mains autour d’une tasse de café, vous entendrez le cri d’un goéland. Puis, entre ciel et mer, vous verrez apparaître vos falaises. Les premiers parfums terrestres viendront flatter vos narines. Aussitôt, vous inspirerez la joie intense de retrouver vos êtres chers.
Cassiopée. Votre éditeur m’a signalé que vous étiez souvent en mer. Est-ce elle qui est venue à vous ou vous qui êtes venu à elle ? Que vous apporte-t-elle ? Iriez-vous jusqu’à dire qu’elle est « présence », presque humanisée ?
Guillaume Lefebvre. Je suis né à moins de 100 mètres de la mer. Je suis allé à elle dès que j’ai su marcher. J’étais fasciné par sa rapidité à changer de caractère. Elle pouvait être généreuse à marée basse lorsque je remplissais mon panier de crevettes frétillantes. Mais le lendemain, elle devenait furieuse et les vagues déferlantes me faisaient penser à des gueules affamées de vies humaines. J’aimais ces tempêtes, car chez moi, blottis sous mes couvertures de laine, je m’endormais en écoutant le vent siffler et les volets claquer. Parfois dans sa rage, la mer perçait la digue et envahissait le village. Les femmes criaient, les hommes sortaient installer des protections, et moi je regardais par l’entrebâillure des volets en rêvant qu’elle venait me chercher.
Cassiopée. « Les inconnus du St François » est votre premier roman policier. Il se déroule dans le milieu maritime que vous connaissez bien. Etait-ce plus facile pour vous de situer votre action dans ce contexte ?
Guillaume Lefebvre. Ce milieu maritime fait partie de ma vie, j’aurais été incapable d’écrire un roman qui raconte la vie de traders parisiens. J’écris avant tout pour me plonger dans un autre monde. J’ai besoin de sentir mes personnages. Le parfum de la mystérieuse Anna m’envoûte, la volubile Lucie m’amuse et me rassure quelque part.
Cassiopée. Ce roman a-t-il été écrit rapidement ou est-ce un travail de longue haleine ? L’écriture est-elle pour vous un « bonus » (c'est-à-dire pour le plaisir) à côté de votre métier d’officier de marine ou une nécessité vitale (comme exutoire) ?
Guillaume Lefebvre. La réalisation d’un roman est un travail énorme pour moi. Je dois partir à la recherche de renseignements, rencontrer des personnes, les observer dans leurs activités professionnelles et les assaillir de questions. Je remplis des centaines de pages, puis je laisse divaguer mon esprit créatif pour composer la structure du roman.
J’y consacre entre 2 et 4 heures par jour ou nuit durant environ 18 mois. C’est une véritable addiction de retrouver mes personnages. Parfois, ce n’est pas facile, car je dois consacrer du temps aux personnes que j’aime, ils sont prioritaires. De ce fait, j’écris beaucoup plus quand je suis en mer.
Cassiopée. Comment et par qui a été choisie la couverture de votre livre ?
Guillaume Lefebvre. Mon éditeur a choisi la couverture et le titre du livre.
Cassiopée. Armand Verrotier, votre personnage principal, écoute de la musique. Est-ce qu’il vous ressemble ? La musique vous tient-elle compagnie ?
Guillaume Lefebvre. J’ai toujours adoré la musique classique. J’admire ces compositeurs et interprètes qui arrivent à nous transporter dans un monde imaginaire le temps d’une symphonie. La liberté est totale et varie selon l’humeur du moment. Ecoutez le Requiem de Mozart un jour de pluie, ou Lucrezia un jour où vous êtes amoureuse, vous verrez, l’émotion est doublée. Mon meilleur souvenir de réveillon de l’an est d’être allé écouter un concert devant la cathédrale d’Amiens avec ma famille, il faisait froid et on y jouait le Canon de Pachebel. Toute ma vie je m’en rappellerai.
Cassiopée. J’ai beaucoup apprécié votre écriture, posée, profonde, juste. Elle m’a paru à la fois « masculine » (par le fait qu’il n’y avait pas de « remplissage ») mais aussi emplie de sensibilité, de profondeur, de ressentis, d’émotions contenues. Est-ce que cette façon d’écrire vous représente ?
Guillaume Lefebvre. Vous me touchez beaucoup en me disant ça. Ma pudeur m’empêche de répondre à votre question. Avant d’écrire des romans, je laissais des poèmes au gré du vent sur un site de poésie sur internet. C’était bien, car anonyme. Quelques lecteurs m’avaient dit que j’avais une sensibilité, ça m’avait perturbé à l’époque et j’avais arrêté. Maintenant, je sais qu’on peut avoir une carapace dure et être sensible à l’intérieur.
Cassiopée. Avez-vous un autre livre en chantier, acceptez-vous d’en dire quelques mots ?
Quand écrivez-vous ? A quel rythme ? Sur papier, ordinateur ou autre ?
Guillaume Lefebvre. J’ai terminé un autre roman en septembre 2010. Un pêcheur remonte un cadavre dans ses filets posés près d’une épave. Mais il ne ramène qu’un morceau de tissu, bien maigre preuve aux yeux des autres. Armand Verrotier est le seul à le croire. Son enquête va le mener à s’interroger sur le pouvoir de certains hommes sur d’autres. Parallèlement, il va tomber amoureux de deux femmes presque en même temps et entrera dans une dualité d’amour et de passion.
Dans mon troisième, je m’interroge sur le vrai coupable d’un crime. Est-ce celui qui tient l’arme ou faut-il remonter plus loin ???? Armand Verrotier s’efface presque au profit d’une assistante sociale trop réservée.
Cassiopée. Avez-vous d’autres choses à partager avec vos lecteurs sur le monde des romans policiers ou sur d’autres sujets ?
Guillaume Lefebvre. Certains lecteurs, parfois inconnus, m’envoient des commentaires à propos de mon livre, ça me touche toujours. Je pense que c’est la plus belle récompense qu’un auteur puisse recevoir.
11:30 Publié dans 07. Les plus récents entretiens avec des auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |