26/10/2011
L’affaire D. ou le crime du faux vagabond, de Dickens, Fruttero&Lucentini
Une chronique de Richard
En librairie, grâce à toute la force de mes biceps, je me saisis du livre pour en déguster la 4e de couverture (j’ai déjà été un fan de Dan Simmons ... il y a longtemps, jadis !!!) et je suis conquis par la présentation. Un libraire me voyant tenir bravement «la brique», me parle d’un roman publié il y a quelques années par Fruttero et Lucentini et qui serait en rapport avec cette histoire d’un roman inachevé !!!
Il n’en fallait pas plus à mon âme aventureuse de lecteur compulsif, pour fomenter un projet de lecture un peu particulier, en trois étapes:
Lire «L’affaire D. ou le crime du faux vagabond» de Fruttero et Lucentini;
Lire «Drood» de Dan Simmons;
Lire «La pierre de lune» de Wilkie Collin.
Et de vous en parler, au fur et à mesure de mes découvertes.
Voici donc la première étape de mon projet.
Lire «L’affaire D. ou le crime du faux vagabond» de Fruttero et Lucentini;
Tout d’abord, il faut dire que Charles Dickens est mort le 9 juin 1870, dans sa maison de campagne de Gadshill sans avoir eu le temps de terminer «Le mystère d’Edwin Drood». Depuis ce temps, cette oeuvre se construit une odeur mythique de défi à relever. De multiples auteurs se sont essayés à imaginer la fin de ce roman. Perspective intéressante mais souvent peu réussie.
L’histoire est complexe et Dickens a su parsemer le récit d’éléments qui ajoutent à la difficulté de deviner la conclusion que lui seul, avait en tête. Toute l’histoire tourne autour d’un seul événement, la disparition d’Edwyn Drood ... A-t-il été assassiné? A-t-il simplement quitté le pays? S’est-il suicidé? A-t-il fuit ? Voilà donc ce fameux mystère!
Et ce qui vient enrichir cette histoire, c’est que la plupart des personnages du roman possèdent un mobile, une raison pour souhaiter la disparition de ce jeune homme. L’enquête, menée inlassablement par son oncle (qui est lui-même le principal suspect ...), nous révèle certains indices, nous présente certains personnages qui auraient intérêt à ce que ce mystérieux Drood disparaisse de la circulation. Dernier élément qui alimente le mystère (et celui du crime), la mort de Dickens qui laisse des générations entières d’auteurs et de lecteurs, dans le doute et dans l’incertitude. Qu’est-ce que Charles Dickens avait en tête en écrivant ce roman, quelle fin avait-il imaginé ?
Les auteurs italiens (excellents et à découvrir ...) ont abordé le sujet de façon différente et ma foi, ils ont grandement réussi leur défi: voir les choses différemment et peut-être trouver des interprétations différentes en analysant les chapitres écrits par Dickens. Oui, mais comment faire ??
Et c’est là, l’idée originale, le concept génial qu’ils ont développé, l’étincelle qui a fait de ce livre un pur bonheur, un délice littéraire à savourer, une grande-messe polardienne à ne pas manquer ! Les auteurs ont convoqué les plus grands personnages romanesques de la littérature policière dans un congrès bien particulier, avec comme thématique «De l’importance de compléter». Rassemblés dans une salle, avec des moyens techniques actuels et futuristes, ces personnages réfléchiront après chaque chapitre aux subtilités des indices laissés par Dickens, feront appel à leurs compétences d’enquêteur pour dénouer l’intrigue et ses méandres. Évidemment, ils nous étalerons leur caractère, leurs grandes qualités, leurs «petits» défauts et souvent, leur mode opératoire de «serial enquêteur».
Absolument passionnant !!
Mais qui sont ces personnages assis dans cette salle à réfléchir, à s’épier, à discuter et quelques fois à se jalouser ... ?
Et bien, en voici la liste des personnages (en ayant peur d’en oublier ...) qui entourent le Dr Wilmot (directeur du Dickensian) et la belle lectrice Loredana :
•Auguste Dupin (personnage mélancolique d’Edgar Allan Poe) possible grand-père virtuel de Sherlock Holmes ;
•Porphyre Petrovitch, le magistrat de «Crime et châtiment» de Dostoievski;
•Sherlock Holmes et quelques interventions de son célèbre ami médecin;
•le Père Brown, prêtre détective dont on dit qu’il a inspiré Ellis Peters et son frère Cadfael;
•le mystérieux Crapaud : quel personnage ! ;
•l'intriguant Richard Cuff, personnage de Wilkie Collins;
•Hercule Poirot, le plus célèbre personnage de la grande Dame du roman policier;
•le Capitaine Hastings, le fidèle ami de Poirot;
•le commissaire Jules Maigret qui fume toujours sa pipe ...
•Phillipe Marlowe et Lew Archer, les mauvais garçons du groupe ...souvent déçus par l’absence de «réconfort alcoolisé » ! ;
•Nero Wolfe, le détective «en fauteuil» qui résout les meurtres à distance ...
Tout au long de ce que les auteurs appellent «L’enquête» nous assisterons à des analyses de chacun des chapitres écrits par Dickens, et cela, en alternance avec le véritable roman. Cette enquête, loin d’être triste, nous est présentée avec humour et simplicité. Se succèdent pour notre plus grand plaisir, des dialogues spectaculaires et parfois même, des symboliques assez délirantes (par exemple, les auteurs décrivent les échanges entre les participants en imitant la description d’une partie de foot !!!). On accompagne même le groupe dans ses visites touristiques de Rome (lieu de leur congrès).
Je ne suis pas certain que j’aurais apprécié la lecture de livre de Dickens sans cette incursion des enquêteurs ... Il est vrai que le ton du roman de Dickens est très particulier, que l’atmosphère glauque de certaines villes britanniques, la bonne société anglaise et le climat du roman sont des éléments qui nous sont connus mais dans lequel un lecteur contemporain peut avoir de la difficulté à s’y retrouver. Mais les interventions des réputés congressistes donnent un air de jeunesse au texte, leurs réflexions nous poussent à découvrir des indices parsemées dans le texte et nous aident à comprendre la complexité, et de l’écriture d’un roman policier, et de la résolution d’un crime. Je vous le redis, ce livre est passionnant, à bien des égards.
À tout amateur de romans policiers ou de polars, je vous le recommande grandement. Vous allez vous régaler. Aux amateurs de romans historiques, vous aurez un plaisir fou à faire des allers-retours dans le Londres du XlXe siècle, les personnages imaginés par les grands écrivains et la contemporanéité de cette enquête.
Voici quelques phrases de nos chers personnages:
Hercule Poirot: «Dans les enquêtes criminelles, comme nous le savons tous, ce sont presque toujours les mensonges, les réticences, les silences, plus que les franches admissions, qui nous mettent sur la bonne voie.»
Marlowe et Archer: «Nous pourrions t’en apprendre bien davantage, sugar baby ...»
«Il est vrai, dit Dupin, récupérant le ballon, pardon, la parole ...»
Le Crapaud: «But ! ... Nous avons gagné ! ...»
Le Père Brown: «Je leur apprendrai moi, comment on écrit un grand mystery ! Et je le ferai en me servant des mêmes ingrédients que cet écrivailleur, que ce piètre, misérable, soi-disant romancier !»
Et de Charles Dickens:
«Comment serait-il possible que tu aies raison puisque tu as toujours tort.»
« ... toutes les créatures arrivent au monde à l’état de bouton de fleur, j’y suis arrivé à l’état d’écorce sèche.»
« ... il ne me reste plus qu’à vous délivrer du désagrément de ma présence.»
« Si je n’exprime pas plus clairement ce que je veux dire, c’est sans doute que, n’ayant aucune facilité de conversation, je ne puis exprimer ce que je veux dire, ou bien c’est que, ne voulant rien dire, je ne veux pas dire ce que je ne réussis pas à exprimer. Mais je suis absolument convaincu qu’il ne s’agit pas de ce dernier cas.»
«Je vous déclare, répondit ce dernier, que mon logis me semblera embelli pour toujours si votre voix s’y fait entendre seulement une fois.»
Bonne lecture !
Richard,
Polar Noir et blanc : http://lecturederichard.over-blog.com/
L’affaire D. ou le crime du faux vagabond
Charles Dickens
Fruttero et Lucentini
Points Éditions du Seuil
1993
430 pages
15:59 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |