29/10/2011
Vertige, de Franck Thilliez (chronique 1)
Une chronique de Christophe.
Dixième roman pour Franck Thilliez, auteur qu'on attend impatiemment désormais, auteur prolifique qui revient avec, non pas la suite des enquêtes des inspecteurs Hennebelle et Sharko (ce sera pour 2012), mais avec un one-shot en forme de huis-clos, "Vertige", qui vient de sortir au Fleuve Noir.
Un matin de février. Jonathan se réveille... au milieu de nulle part. Il fait noir, froid, humide... Pire, à son poignet, une chaîne le relie à un piquet profondément enfoncé dans la roche. Il est bel et bien prisonnier. A ses côtés, son chien, une espèce de chien-loup. Autour de lui des parois qui lui laissent à penser qu'il se trouve au fond d'un gouffre, sans doute dans les Alpes, pense-t-il, lui qui vit à Annecy. Il a l'habitude de ces endroits plutôt inhospitalier, il a longtemps été alpiniste, l'un des meilleurs, jusqu'à ce qu'il arrête tout près de 20 ans plutôt.
Malgré la chaîne qui l'entrave, Jonathan commence à explorer les lieux et fait deux rencontres. Deux autres hommes qui, comme lui, se retrouvent là, sans comprendre pourquoi. Il y a Michel, qui travaille dans des abattoirs et Farid, jeune beur de 20 ans. Si Farid est retenu par une chaîne comme Jonathan, Michel, en revanche, est libre de ses mouvements. Mais son visage est enserré dans une espèce de masque de métal et un message écrit l'a averti que ce masque était piégé : s'il s'éloigne trop de ses deux camarades d'infortune, une charge explosive sautera... et sa tête avec.
Enfin, dernier "occupant" des lieux, un cadavre entièrement nu, celui d'un homme abattu d'une balle en pleine tête, ce qui le rend impossible à être identifié.
A part ça, peu de vêtements chauds, peu de nourriture, peu de combustible et pas d'eau, il faudra se débrouiller avec la glace qui recouvre les parois. Peu, voire aucun espoir de sortir de là vivant. Un mange-disques comme on n'en fait plus depuis longtemps et qui diffuse des chants d'oiseaux ou "What a wonderful world", par Louis Armstrong. Enfin, 3 messages, "qui est un menteur", "qui est un voleur" et qui est un tueur", collés sur chacun des prisonniers et un mystérieux coffre fermé par un cadenas à code. 6 chiffres, un million de combinaisons possibles...
Reste pour ces trois hommes à comprendre. Comprendre pourquoi ils sont là et qui a bien pu déployer autant d'efforts pour les réunir dans un tel lieu afin, manifestement, de les torturer (ou pire, de les laisser se torturer entre eux dans ce qui pourrait bien être leur tombeau).
Une enquête, si l'on peut dire, qui passe par eux, coincés là "à l'insu de leur plein gré". Ils ne se connaissent ni d'Eve, ni d'Adam mais peut-on imaginer que, s'ils sont au fond de ce gouffre inhospitalier, c'est par le fruit du hasard ? Plutôt par la volonté d'un être particulièrement déterminé qui doit bien avoir une raison pour leur faire subir un tel châtiment.
Seulement, voilà, nos trois hommes sont plutôt secrets et ne se livrent pas facilement à des inconnus. En outre, plus le temps passe et plus les tensions montent entre eux. Le chacun pour soi s'impose en même temps que les secrets se dévoilent. Le huis-clos devient glaçant, et pas seulement à cause de la température au coeur de cette prison naturelle.
Jonathan, celui qui a le plus l'expérience de ces conditions extrêmes, découvre alors la parfaite antithèse de ce qu'il a connu quand il était alpiniste : les profondeurs obscures au lieu de la clarté éblouissante des cimes, l'individualisme au lieu de la solidarité, l'ennui anesthésiant au lieu de l'ivresse de l'euphorie, l'immobilisme au lieu du mouvement...
Dans ces conditions, Thilliez réussit le tour de force de nous emmener au fond du gouffre avec ses personnages. On a froid avec eux, on a faim avec eux, on a peur avec eux, on est révolté avec eux et surtout, on veut comprendre les raisons de cette emprisonnement, comme eux.
Même si la violence physique est présente, même si certaines scènes sont très dures et sanglantes, c'est surtout psychologiquement que l'on souffre aux côtés de ces hommes que ces conditions de vie si étranges vont pousser à se révéler sans doute plus qu'ils ne le souhaiteraient.
Perdant tous leurs repères, laissant de côté les valeurs qui fondent leur humanité, ils vont devoir agir contre toute morale, brisant des tabous puissants et exerçant les uns sur les autres des pressions parfois insupportables afin de faire jaillir la vérité. La vérité comme outil de rédemption.
Or, qu'est-ce que la vérité ? Est-elle unique ou bien avons-nous chacun notre vérité, pas forcément compatible avec celle des autres, d'ailleurs ? La vérité peut-elle différer de la réalité ? Ou bien encore, ce que nous croyons être notre vérité finit-elle par nous aveugler ?
Thilliez, auteur de thrillers, va pour cela mettre à sa sauce un des plus célèbres passages de la philosophie : l'allégorie de la caverne, que Platon développe dans le livre VII de la République. Là aussi, les personnages sont enchaînés dans une grotte et croient que les ombres qu'ils aperçoivent, seules représentations qu'ils ont du monde extérieur, sont la réalité. Mais tout est faussé et il faut sortir de la caverne, chose infiniment compliquée, pour comprendre nos erreurs.
Mais Thilliez n'est pas aussi simpliste, un brin machiavélique, le garçon, alors, il complique les choses pour ses malheureux personnages (et décidément, qu'il aime les martyriser, ses personnages !). Et le chemin pour que la vérité sorte de ce gouffre est long et semé d'embûches, sans aucune certitude que cette vérité finale soit reconnue comme telle.
Soyons franc, j'ai été captivé (le mot est choisi à dessein) par la première partie de "Vertige". Mais j'ai eu beaucoup plus de mal à croire à la seconde partie du roman. Je ne peux pas dire que "Vertige" n'a pas été un bon moment de lecture, mais j'en suis sorti un peu frustré, pas convaincu. Même si la lecture en a été agréable, il ne restera pas comme le meilleur roman de l'auteur, malgré un début remarquable par la tension qui s'en dégage.
Pour autant, la fin si particulière de "Vertige" est, je le reconnais, très intrigante, même si j'ai du mal à l'accepter telle qu'elle. Et finalement, elle est parfaitement cohérente avec l'allégorie de Platon, puisque la vérité des personnages n'est pas forcément celle du lecteur, comme si ce dernier était enchaîné dans la caverne constituée par l'histoire et que les ombres que nous apercevons étaient les personnages du livre, manipulés par l'auteur...
Christophe
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17:16 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |