03/10/2011
Tony et Susan, de Austin Wright
Une chronique d'Eric
La lecture du roman d’Austin Wright nous soumet d’emblée au vertige de l’écriture, à l’interaction qui existe entre auteur et lecteur, à ce double geste significatif qui ressort tout à la fois de l’acte d’écrire et de la pulsion pour la lecture. Car l’un n’existe pas sans l’autre : qui est le véritable auteur du livre, celui qui l’écrit ou celui qui le lit ? C’est du moins ce que pense intérieurement la narratrice, qui va progressivement s’engloutir dans le récit et« aimerait bien ne pas avoir à leur prouver que c’est sa capacité à lire qui fait d’elle un être civilisé » (page 245)
Qu’est-ce qui a poussé en effet son ancien mari – elle est séparée de lui depuis vingt ans– Edward, l’auteur du roman « Bêtes de nuit », à lui envoyer ce manuscrit pour la confronter à cette histoire épouvantable réveillant d’ailleurs en elle des souvenirs enfouis, à lui demander au terme de cette lecture un avis, bref pourquoi est-elle prise au piège, des années après la rupture, de la séduction que lui impose cet homme via l’écriture romanesque et l’habileté narrative ?
D’une part donc les impressions d’une lectrice, d’autre part un thriller palpitant aussi implacable qu’effrayant. Ce double mouvement est incessant si bien que le roman n’existe que par le double regard de la première lectrice et du spectateur-lecteur que nous sommes de sa lecture. Paradoxalement, pour l’amateur traditionnel de roman policier et de sensations fortes l’intrigue peut se suffire à elle-même : une nuit, un homme (Tony Hastings), sa femme Laura et leur fille sont pourchassés sur une route perdue de l’état du Maine par des barbares pressés d’assouvir des pulsions violentes. Après avoir été progressivement terrorisées, les deux femmes sont saisies, violées et tuées par ces nouveaux monstres modernes. Tony, bien qu’éloigné assiste impuissant à cet assassinat. Il trouve refuge dans une ferme, après avoir longtemps erré dans la nuit. Avec son récit à la police du coin, l’enquête commence…
Les premiers éléments d’une vengeance annoncée sont en place.
Le malaise naît peu à peu de la culpabilité inhérente à l’homme bafoué, à son inappétence à vivre après le drame et à redevenir un être social obéissant aux conventions d’ une société lisse. Il doit sans cesse cacher cette souffrance dans son cadre professionnel et en même temps son mal-être rejaillit constamment de ce qu’il a pu vivre et n’est pas transmissible.
Ce trouble retentit également sur sa première lectrice qui s’interroge progressivement sur le double Tony (héros du livre)/ Edward, (narrateur)et ancien époux ; qu’en fût-il de leurs relations au départ ? Dès le début de leur mariage, Edward, jeune homme pusillanime impose son désir de devenir à tout prix romancier et poète. Susan le vit comme une épreuve : elle se substitue à la mère nourricière qu’inconsciemment notre futur romancier recherchait. En elle-même elle jalouse cette exigence d’une vie pour l’art à laquelle nous aspirons tous. Peu à peu leur relation matrimoniale se délite…
Fin analyste de l’âme humaine, Austin Wright s’interroge, via le roman et la lecture, sur ce qui constitue véritablement le lien qui unit deux êtres ; le lecteur et le narrateur, l’ homme et la femme, la proie et le bourreau. Sa mise en abyme vertigineuse met ainsi le doigt sur la texture même de nos vies, ce long fil invisible qui nous scelle aux autres et que nous apercevons si bien lorsque le désir de mort s’empare de nous. A cet instant, les dieux nous ont lâché dans un monde effroyable.
« ..Cette tragédie m’appartient, pour qui te prends- tu ? » (page 360)
Eric Furter
Présentation de l'éditeur
Remariée à un brillant médecin, mère de trois enfants, Susan Morrow mène une vie plutôt paisible. Jusqu’à ce qu’elle reçoive un étrange présent : son premier mari Edward qui, jeune, se rêvait romancier, lui envoie le manuscrit de Bêtes de nuit, un roman qu’il vient d’achever, en lui demandant son avis, elle qui à l’époque l’encourageait tant à écrire. Le trouble naissant de Susan ne va faire que croître au fil de la lecture : ce livre raconte en effet le drame d’un homme, Tony, kidnappé sur l’autoroute avec sa femme et sa fille, alors qu’ils se rendaient dans leur maison de vacances dans le Maine. L’enlèvement tourne à la tragédie. Inquiétant : Susan possède elle aussi une maison dans le Maine. Que veut réellement lui révéler Edward… ? La lecture de Bêtes de nuit va être pour Susan l’occasion d’une pénible mais salutaire introspection.
11:03 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |