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27/01/2013

Le dernier Lapon, de Olivier Truc (chronique 2)

dernier_lapon.jpgUne chronique de Christophe.

Dans la chaleur de la nuit arctique.

Vous allez peut-être trouver ce titre un peu paradoxal, mais en fait, je n'ai fait qu'aménager un peu le titre d'un célèbre film de Norman Jewison, avec Sidney Poitier et Rod Steiger, dont les thématiques sont proches de celles du roman dont nous allons parler, avec, c'est vrai, un bel oxymore à la clé. Un polar qui va nous dépayser, puisqu'il va nous emmener en Laponie, territoire partagé entre la Norvège, la Suède, la Finlande et même la Russie. Ce territoire immense et sa population, les Samis, dernière population aborigène d'Europe, sont au coeur du roman du journaliste Olivier Truc (correspondant à Stockholm du Monde et du Point) "le Dernier Lapon", publié en grand format aux éditions Métailié. Un polar qui nous en apprend beaucoup sur ce peuple écartelé entre traditions et modernité, entre nomadisme et sédentarisation, un peuple malmené aussi par la géopolitique de la région, qui les a considéré comme la cinquième roue du carrosse.
C'est le début de l'année et la fin d'une nuit qui a duré 40 jours, à Kautokeino, commune de l'extrême-nord de la Norvège, dans le comté de Finnmark. La ville se prépare à accueillir une réunion consacrée à la situation des peuples autochtones, sous l'égide de l'ONU. A cette occasion, le musée local doit exposer un objet tout à fait remarquable : un tambour de chaman sami. Un pièce extrêmement rare, puisqu'on en recense 71 à travers le monde et qu'aucun d'entre eux ne se trouve sur le sol lapon.
Ce tambour même vient d'ailleurs seulement de retrouver son sol natal après 70 ans passés en France. Il avait en effet été offert par un guide sami à Henry Mons, un des compagnons de Paul-Emile Victor lors de son expédition polaire, en 1939. Aujourd'hui très âgé, Mons a choisi, après d'insistantes sollicitations anonymes, de rendre gratuitement le tambour à son peuple d'origine en en faisant don au musée de Kautokeino.
Mais, catastrophe, dans ces dernières heures de nuit arctique, alors qu'on attend le retour du soleil pour quelques instants le lendemain, la porte du musée est brisée et le tambour volé... La police locale est aussitôt contactée et, avec elle, la "Police des Rennes", cette unité assez particulière, dont la juridiction est transnationale et qui est chargée de gérer les contentieux entre éleveurs de rennes lapons. Car, en Laponie, cet élevage est la principale activité de la communauté sami, dont les éleveurs sont un peu les aristocrates.
Toutes les forces possibles sont donc mobilisées car ce vol tombe très mal, non seulement parce que le tambour devait être le clou de la réunion de l'ONU, mais aussi parce que la situation est très sensible dans la ville entre membres de la communauté sami et le reste de la population locale, de souche scandinave. Ajoutez à cela la colère de la communauté luthérienne locale, qui voit d'un mauvais oeil le retour de ce tambour, synonyme, à ses yeux, d'un possible retour à des pratiques païennes, diaboliques, même.
Il faut, à ce stade, expliquer que Kautokeino est une ville particulière : c'est une commune norvégienne comme toutes les autres, mais c'est aussi une ville sami, avec des droits particuliers, comme celui de pratiquer la langue sami y compris dans les démarches administratives. Les Lapons y sont majoritaires, mais les postes de pouvoir sont tenus par des Scandinaves.
Et les tensions politiques sont de plus en plus fortes. Les droits particuliers attribués à la communauté sami sont de plus en plus contestés, en particulier par un courant populiste qui, comme dans une grande partie de l'Europe, a le vent en poupe en Suède comme en Norvège... Appelons un chat, un chat, le racisme visant les Lapons, considérés, bien souvent, comme primitive, au sens le plus péjoratif du terme, est en plein essor, y compris à Kautokeino.
Idéologie, religion... Cocktail détonant qui ne dit rien qui vaille... L'enquête sur le vol de tambour piétine, peu d'indices tangibles, peu de témoignages viables et même pas la moindre description de l'objet, qui n'avait pas encore été sorti de sa caisse et donc pas même photographié... La piste la plus logique est celle d'un Lapon qui aurait pu vouloir redonner vie à ce tambour, au cours de pratiques chamaniques clandestines...
Alors, voilà pourquoi le chef de la police de Kautokeino a fait appel aussi à l'équipe P9 de la "Police des Rennes". Un duo constitue cette patrouille : Nango Klemet, la cinquantaine, issu de la communauté sami mais formé aux techniques policières en Suède, où il a travaillé pour le groupe Palme, constitué pour enquêter sur l'assassinat de l'ancien premier ministre suédois, Olof Palme ; à ses côtés, Nina Nansen, jeune suédoise, débutante dans la police et mutée dans le grand nord et dans la "Police des Rennes" en vertu du "quota suédois" qui la compose en partie. Précisons que Klemet est méprisé par les Scandinaves pour ses origines et considéré comme un collabo par les Samis, c'est dire que sa tâche est ardue...
Pour Klemet, s'il y a un homme à Kautokeino qui pourrait avoir imaginé ressusciter les pratiques chamaniques d'antan, ce ne peut être que Mattis, un des éleveurs de rennes du coin, dont le père et le grand-père avant eux, se prétendaient justement chamans. Mattis est un petit éleveur qui tire le diable par la queue et a très mauvaise réputation aux alentours. On lui reproche de ne pas surveiller suffisamment son troupeau, qui franchit les limites de son territoire et se mêle régulièrement à ceux de ses voisins, entraînant des palabres et des démarches administratives interminables.
C'est d'ailleurs à ce sujet que Klemet et Nina ont rencontré Mattis le jour de la découverte du vol du tambour. Ils sont venus le voir dans son "gumpi", sorte de tipi traditionnel sami, dans lequel règne un désordre inouï... Mattis, lui, comme le plus souvent, est en état d'ébriété avancée et pas franchement préoccupé par la plainte de son puissant voisin, Johan Henrik... Ce que ne savent pas encore les deux policiers, c'est que c'est la dernière fois qu'ils verront Mattis vivant.
En effet, le lendemain, le corps de l'éleveur est découvert sans vie devant son gumpi. Mattis a été poignardé, mais l'état de son cadavre laisse à penser qu'il a été torturé. Pire encore : on lui a coupé les oreilles et elles ont disparu... Des actes très inhabituels dans une région où les crimes et délits se limitent la plupart du temps à des débordements entre éleveurs mécontents ou à des bagarres consécutives à des abus d'alcool, le fléau local.
Alors, qui a pu ainsi assassiner Mattis ? Et pourquoi ? Et si le ou les tueurs avaient essayé de faire parler l'éleveur avant de le tuer, par exemple pour lui faire avouer où se trouve le tambour volé ? Une hypothèse qui plaît bien à Nina et Klemet, qui sont tentés, même sans élément clair attestant cette piste, de relier la mort de l'éleveur et le vol du tambour sami.
Une thèse qui convient beaucoup moins aux autres policiers. Leur chef, surnommé le Shérif, voudrait leur faire confiance, mais pas sans élément tangible, tandis que Brattsen, flic raciste, proche des mouvances populistes locales, et qui se verrait bien chef de la police à la place du chef de la police, refuse cela, considérant les membres de la patrouilles P9 comme des flics d'opérette.
Pourtant, consciencieusement, Nina et Klemet poursuivent leur enquête. Doublement, auprès des éleveurs, d'abord, les plus en vue, comme Henrik, évoqué plus haut, ou comme le vieil Olsen, maire de Kautokeino et pas le plus sympathique des éleveurs locaux... Ils vont aussi entrer en contact avec Aslak, un éleveur qui a choisit de rejeter la modernité pour conserver le mode de vie traditionnel des éleveurs sami. Aslak se déplace encore à skis, pas en scooter des neiges ou en hélicoptère, comme certains éleveurs les plus riches, se guidant grâce à son incroyable connaissance du terrain et non grâce à un GPS, etc.
Aslak, considéré par les détracteurs des Sami comme un sauvage, est un homme quasi légendaire à Kautokeino. On dit qu'il aurait même un jour tué un loup qui allait l'attaquer en se jetant sur lui et en enfonçant son bras dans sa gueule... Une légende, je vous dis ! Mais pas le plus bavard des interlocuteurs. Une aura mystérieuse l'entoure même, presque dérangeante, pour la jeune Nina, pas habituée à se confronter à de tels personnages...
A côté de cela, les deux policiers essayent de retracer l'histoire du tambour volé, que personne ne semble connaître... Il ne fait pas partie des instruments traditionnels recensés dans le monde, alors, sa provenance pose question. Est-il authentique ? Son retour au Finnmark peut-il justifier un assassinat sordide ? Pour essayer de comprendre, Klemet va faire appel à son oncle, Nils Ante, une des mémoires de la communauté sami, qui a une connaissance encyclopédique des fameux joïks, ces chants traditionnels sami. Nina, elle, va aller rencontrer à Paris Henry Mons pour que le vieil homme lui donne le plus de renseignements possibles sur le tambour lui-même et sur l'expédition de 1939 au cours de laquelle l'objet lui a été offert...
Mais cela ne suffit pas encore à trouver des indices fiables, et la situation politique rend la position de la patrouille P9 bien précaire... Klemet et Nina risque même de se voir retirer l'enquête dans les jours qui viennent, alors qu'ils sont les policiers les plus motivés sur le coup... Le temps presse, car les pouvoirs politiques nationaux comme locaux voudraient voir l'affaire réglée avant l'ouverture de la réunion de l'ONU à Kautokeino...
Pendant ce temps, d'autres évènements à prendre au sérieux se déroulent dans la région. L'inquiétant Racagnal, un géologue français aux méthodes assez violentes et aux tendances pédophiles à peine voilées, a débarqué à Kautokeino. Et le voilà en quête d'un des plus puissants mythes locaux qui fait depuis des siècles l'objet d'une terrible malédiction, selon la culture locale...
Emmenant, de force, Aslak avec lui, le Sami étant le meilleur guide local, Racagnal va prospecter dans la région, malgré les interdictions internationales protégeant ce territoire qui doit rester vierge... La cupidité, la soif de pouvoir aussi, vont alimenter son caractère violent et déterminé... Le Français, et les ambitions de ses commanditaires, ont de quoi ajouter à la confusion ambiante à Kautokeino, où l'on peine vraiment à mettre au jour la vérité sur les évènements, tandis que, petit à petit, le jour grignote l'interminable nuit...
Même si "le dernier Lapon" est présenté comme un thriller, on est plus dans un rythme et une trame de polar, pas forcément hyper originale dans le fond mais qui vaut la lecture par son cadre, ses décors et la culture ancestrale qu'ils nous permet de découvrir. Et puis, il faut imaginer une enquête qui se déroule sur un territoire immense, à cheval sur 3 pays (la partie russe est à part). Rien que la commune de Kautokeino a une superficie équivalent à celle du Liban tout entier ! Forcément, ça peut sembler diluer l'action, mais ce temps, ces distances, cette atmosphère bizarre de ces journées presque totalement nocturnes, tout cela contribue à l'ambiance très spéciale de ce roman.
Le duo Klemet/Nina fonctionne bien, l'expérimenté taciturne et blasé, avec la jeune plus expansive et encore idéaliste. Leur tandem qui vient de se former, va s'accorder au cours de leur enquête pour aboutir à une forme de complicité professionnelle qui va les aider considérablement dans leur enquête. Malgré leurs différences, malgré la méfiance initiale qu'ils ressentent l'un pour l'autre, malgré l'impression que Klemet cahce des choses à Nina, ils vont s'accorder. Lui va initier la jeune femme à la fois à la vie au sein de "la Police des Rennes" et à cette culture sami dont elle ignore tout.
En bon journaliste qu'il est, Olivier Truc nous offre un roman très documenté qui nous emmène au coeur de l'histoire, de la géographie, de la culture, de la sociologie de cette civilisation que l'on connaît finalement très mal, voire qu'on caricature. Le passé va jour aussi un rôle important dans cette histoire, à commencer par cette fameuse expédition de 1939, qui rappelle que la Laponie est un territoire qui a été exploré très récemment, bien que colonisé depuis plusieurs siècles.
Peut-être certains reprocheront-ils un certain manichéisme à ce polar, mais je pense que le clivage gentils/méchants, pour faire simple, était nécessaire, car il s'agit de bien expliquer les enjeux actuels qui pèsent sur ce territoire immense et sur la population qui y vit encore selon des codes qui lui appartiennent et qu'on voudrait acculturer sans doute contre leur volonté.
Un dernier point, c'est ce personnage d'Aslak, fondamental dans ce récit bien qu'il y soit au final assez peu présent. C'est lui, "le dernier Lapon", ce n'est pas révéler quoi que ce soit de l'intrigue de dire cela. Aslak a conservé contre vents et tempêtes de neige le mode de vie de ses ancêtres, ce lien puissant, tant charnel que spirituel avec une nature tellement hostile à la vie humaine et un incroyable respect pour elle. Il vit au rythme de cette nature, se plie à ses règles, alors que la grande majorité de ses congénères ont choisi de se sédentariser et ont fait entrer la modernité dans leur vie, tout comme, auparavant, ils avaient accepté (certes, sous la contrainte et la force) la religion des colons.
Aslak n'a pas l'éducation, la science, les moyens du monde qui l'entoure, dont il est encore déconnecté, mais il fait corps avec ce territoire, ressent les choses d'instinct, s'adapte à toutes les situations. Son ennemi, ce n'est ni le froid, omniprésent, ni les intempéries, ni le relief et ses pièges, crevasses, pentes, ni les distances à parcourir aux côtés des troupeaux, parfois insensés, surtout pour un homme à skis... L'homme de la toundra est rude, dur au mal et sa mémoire, elle, est intacte !
Amateurs de thrillers à sensations fortes et rythmes de folie, vous risquez de ne pas vous y retrouver. Mais moi, j'ai énormément apprécié ce roman qui m'a donné envie d'approfondir mes connaissances sur la civilisation Sami, pour utiliser le terme précis. Et, si ce billet a également titillé votre curiosité, je vais l'achever avec un bonus, en quelque sorte : une longue et très intéressante interview d'Olivier Truc, qui apportera quelques éléments supplémentaires à ce que j'ai pu dire, ce qui devrait finir de vous convaincre de lire "le Dernier Lapon".

 Christophe
(http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/
)

Le dernier lapon
Olivier Truc
Editeur : Editions Métailié (13 septembre 2012)
Collection : Noir
430 pages ; 22 €


Olivier TRUC est journaliste : Libération, Le Point, le Monde. Spécialiste des pays nordiques et baltes, il vit à Stockholm. C’est son premier roman.
«Il savait ce qu’il devait faire. Et ce que, après lui, son fils devrait faire. Et le fils de son fils.»