11/03/2013
"Il", de Derek Van Arman (chronique 2)
Une chronique de Richard.
«Il», un autre roman mystérieux des Éditions Sonatine.
J’adore ces romans «coup de poing», auréolés d’un certain mystère, dont l’auteur, connu ou inconnu, vivant ou disparu, pose lui-même une goutte de suspense, un questionnement sur qui «Il» est ...
Et si en plus, le récit est de taille; s’il vous procure les mêmes sensations que les grosses pointures des thrillers qui vous ont déjà fait vibrer; si les personnages sont crédibles; l’histoire vraisemblable (tellement !!!!) et l’écriture de qualité, alors...
Et en ajoutant le petit rectangle noir où est écrit le mot «Sonatine», les experts découvreurs de ce genre de romans. La maison qui nous a fait connaître Shane Stevens, R. J. Ellory, Paul Cleave, Gillian Flynn, S. J. Watson, Fabrice Colin, Tim Willocks et le créateur anonyme du Bourbon Kid. Et ça continue !
Alors, en ouvrant la première page de «Il», on se dit qu’on va vivre un très bon moment de lecture. Et c’est ce qui se passe !
Je fais abstraction du mystère qui entoure l’auteur et de ses démêlés avec le FBI (vous pourrez lire à ce sujet dans les articles que j’ai mis en référence à la fin de ma chronique) pour me concentrer sur les plaisirs que j’ai eus à lire ce roman. À vous parler de l’histoire, des personnages, de l’écriture et de l’intérêt maintenu par le récit malgré les 768 pages de cet énorme pavé.
Jake Scott est un vieux policier sur le bord de la retraite. Fatigué, un peu aigri, il a tout vu, tout connu et il possède une vaste expérience du milieu criminel américain. Directeur du département fédéral des crimes violents et spécialiste des serial killers, il enseigne également aux futurs policiers, les mystères de ces personnes violentes, leurs motivations, leurs pulsions et leurs façons de faire. En bref, mieux les connaître pour plus vite les attraper. Scott travaille surtout dans une cellule de contrôle de toutes les opérations criminelles aux États-Unis, le VICAT (Violent Criminal Apprehension Team) où toutes les informations sur ces crimes violents sont traitées, analysées et synthétisées pour faciliter le travail des policiers sur le terrain.
Un crime crapuleux amène Jake Scott à retourner sur le terrain. Une femme et ses deux enfants sont assassinées. Et de façon sordide: l’assassin a placé les corps des victimes comme pour faire une présentation spéciale, un spectacle d’horreur.
Au même moment, un jeune garçon de 10 ans ( et son chien à trois pattes ...), Elmer Janson, découvre les ossements d’une toute jeune fille, enterrés près d’un bowling désaffecté. Avec le corps, l’enfant retrouve une pièce de monnaie ou peut-être une médaille, qui semble remonter à l’époque de l’esclavage. Le mystère s’épaissit. Au fil de l’enquête, on apprendra que ce terrain vague, à l’abandon, a été le théâtre d’une histoire sordide ... Le policier Frank Rivers retrouve en ce petit garçon une image qui lui reflète sa propre enfance et il voudra le protéger, lui et sa mère, des éventuelles retombées criminelles liées à la découverte de ce corps.
Ajoutons à ces enquêtes, un troisième élément ... Deux tordus sèment la mort, partout où ils passent. Un indice ? Un des deux semble éprouver un certain remords. Sera-ce suffisant pour arrêter leur carnage ? Serait-ce relié à la disparition de jeunes filles retrouvées affreusement mutilées ?
Voici donc les trois affaires qui habitent et hantent les derniers jours de travail du directeur du VICAT, Jake Scott. L’auteur nous fera découvrir graduellement les approches et les méthodes pour résoudre ces crimes violents. Et voilà où le récit devient passionnant. Sans coup d’éclat, sans rebondissements spectaculaires, avec une certaine logique et une lente progression mêlée à l’urgence de la situation, le lecteur sera aux premières loges de la construction de l’enquête pour retrouver ces «tueurs récréatifs» « ... tout à fait sains d’esprit et mentalement équilibrés. Alors qui sont-ils ? Pourquoi tuent-ils ?"
Voilà donc ce «Il» qui va hanter le récit. Ce monsieur que l’on croise dans le métro, ce charmant voisin à l’air un peu bizarre, cet homme qui boit un café à la terrasse d’un bar ... Ça pourrait être lui, ce «Il» qui commet des crimes affreux et qui en éprouve un plaisir morbide. Ce «Il», vous pourriez l’avoir rencontré. Vous pourriez même lui avoir parlé ! «Il» est peut-être même parent avec vous !
Alors, dans une danse folle et macabre, l’auteur nous convie à une poursuite intense, complexe et passionnante. En alternant les enquêtes avec les moments où Van Arman nous fait entrer dans les mondes fascinants de ces cerveaux meurtriers, où les structures complexes et tordues de ces immondes personnages, justifiant leurs actes par des motivations qui nous sont incompréhensibles. Docteur en psychologie clinique, l’auteur devient alors le guide parfait pour nous faire découvrir ces «ils» qui rôdent autour de leurs victimes passées, présentes ... et à venir !
Puis, au détour de ces enquêtes, nous découvrons l’autre versant de la montagne, celui où les enquêteurs descendent graduellement vers les bas-fonds, au détriment de leur être, de leur famille et de leur propre vie, au service des autres. On assiste comme lecteur, à des pages magnifiques d’échange entre Jake Scott et le jeune Frank Rivers; on se retrouve sur le siège arrière de la voiture, écoutant ces dialogues remplis d’humanité et de désirs de réussir et parfois même, on devient le témoin d’une montée de colère, même de violence de ces chevaliers modernes.
D’un côté, le lecteur s’immergera dans la haine, la violence et les motivations de ces «désaffectés» qui ne ressentent aucune émotion et qui ont appris à les «jouer»; de l’autre, il assistera à la complicité naissante entre les deux enquêteurs, chargés d’émotion, d’amitié, de complicité et d’affection virile. Un spectre intéressant où tous les coups sont permis et où, immanquablement, la fin sera spectaculairement frappante.
«Il» est un très bon roman et une découverte extraordinaire. Du calibre des grands auteurs de polars et de tueurs en série. Derek Van Arman vous touchera et vous transportera dans un suspense haletant même si parfois, l’enquête semble piétiner. Attention à ces moments où vous pourriez pousser un baillement, l’action arrive juste au détour de la page. Les 768 pages de ce récit ne sont pas toutes de qualité égale mais vous n’aurez pas beaucoup de moments pour reprendre votre souffle. Voici un roman qui s’intéresse surtout aux «pourquoi» des tueurs en série et moins aux «comment». Amateurs d’enquêtes complexes, passionnés par les détails, intéressés par ce monde noir, glauque et dangereux et quand même sans trop d'hémoglobine, entrez dans ce monde étrange où vous pourrez visiter le cerveau de ces T-Recs (les tueurs récréatifs) et en connaître leur moindre recoin.
Après cette lecture, une question demeure ! Pourquoi Derek Van Arman n’a-t-il écrit qu’un roman ?
Allez-y, n’hésitez plus à vous lancer dans cette aventure de «Il». Peut-être, y reconnaitrez-vous votre voisin, votre beau-frère ou ... votre mari !
Quelques extraits:
« ... le petit Elmer Janson et son chien è trois pattes étaient l’âme d’une ville qui, par ailleurs, étaient totalement impitoyable et indifférente. En vérité, le geste de générosité d’Elmer avait en partie restauré sa foi dans cette ville où il avait grandi. Pas sa foi en l’humanité: il l’avait perdue il y a bien longtemps.»
« ... un tueur éprouvant un soupçon d’émotion est un tueur que l’on peut capturer.»
Un exemple touchant de ces moments où Jake et Frank se retrouvent en pleine traque. « Et ils continuèrent de parler jusque tard dans la soirée, en s’efforçant de comprendre ce que l’un et l’autre étaient devenus dans l’existence et pourquoi.
Ils attendaient leur heure.
Ils tuaient le temps en rouvrant des blessures.»
Et une dernière citation tellement révélatrice du ton du roman ...
« - Hé, attendez une minute ! s’exclama Rivers, qui venait subitement de saisir. C’est cela que je n’avais pas compris chez vous, fit-il, en s’enflammant soudain. Vous vous servez de vos sentiments pour interpréter une scène de crime !
- Très juste, Frank, sourit-il. Cela s’appelle une lecture émotionnelle, perception et imagination, du même ordre que celles que pratiquent l’écrivain ou le peintre. J’ai appris à affiner la mienne pour en faire une sorte d’art et ce n’est pas une exagération.»
Bonne lecture !
Richard, Polar Noir et blanc
A lire : la chronique de Christophe sur ce roman.
"Il", de DerekVan Arman
Sonatine (2013)
767 pages; 22 €
16:58 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |