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16/06/2015

L’évasion, de Dominique Manotti

 manotti_l_evasion.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

 Pour celles et ceux qui aiment les voyous écrivains.

Le voyou qui voulait être écrivain.

Il n’est jamais trop tard et voilà donc que l’on se prend à vouloir rattraper le temps perdu avec quelques auteurs français de polars bien de chez nous, histoire de changer un peu des figures imposées par la déferlante nordique ou même de nos voyages plus ou moins exotiques …
Parfois cela donne quelques nuits sans lendemains avec le décevant DOA, mais il se pourrait bien que l’on assiste ici à la naissance d’une relation durable avec sa collègue et complice : Dominique Manotti.
Une auteure réputée pour ses engagements sociopolitiques (il faut dire que c’est un peu la marque de l’école française en matière de policiers).
Avec L’évasion, Dominique Manotti nous replonge à la fin des années 80, à la fin de l’épopée des Brigades Rouges italiennes, lorsque repentis et dissociés avaient délogé les attentats de la Une des journaux.
Carlo, un ex-brigadiste des années de plomb s’évade de prison (trop facilement ?) et embarque dans sa fuite (par erreur ?) un simple et vulgaire droit commun, Filippo, un petit voyou des abords de la gare de Termini.
On vous laisse découvrir les détails du hold-up manqué qui mènera Carlo sur la touche tandis que Filippo, l’évadé malgré lui, se retrouvera à Paris au cœur du milieu intellectuel des réfugiés italiens.
Le voyou apprivoisé au parfum sulfureux se met à fréquenter le beau monde et les jolies femmes d’une intelligentsia qu’il n’imaginait même pas.

« […] Les avocats des réfugiés italiens ? Rencontrés une fois. Un souvenir cuisant. Des grands seigneurs condescendants. “Prévenez-nous, si vous avez des problèmes. Nous assurons la défense des réfugiés politiques, pas des droits communs comme vous. »

Carlo n’étant plus à ses côtés pour profiter de sa gloire d’ex-brigadiste, le petit voyou se dit qu’il ne tient qu’à lui d’enjoliver, un peu au début puis beaucoup ensuite, d’enjoliver l’histoire de sa cavale et son passé.

« […] Décidément, il est charmant ce jeune type qu’elle prenait pour un illettré quasi aphasique. Auteur d’un roman plutôt flamboyant, ou petit escroc paumé qui monte un coup, à vérifier. Mais beau gosse de toute façon, et attendrissant. »

Consumé d’envie et de jalousie envers les arrogants réfugiés italiens qu’il fréquente désormais, il se met, au propre comme au figuré, à (ré-)écrire son histoire et un engrenage étonnant se met alors en branle.

« […] Une sacrée revanche. Devenir un écrivain.
[…] Mais tout au fond de lui, sans jamais en parler à personne, il sait que c’est un rôle de composition, un rôle usurpé. »

On savoure avec plaisir la reconstitution de cette époque, l’évocation des années de plomb (on se souvient encoremanotti.jpg des carabiniers romains fouillant notre voiture …).
On découvre avec étonnement la construction soignée d’une intrigue qui entremêle un thriller politique avec une surprenante histoire de création littéraire : le process de l’écriture et la recette de fabrication d’un succès de librairie sont au cœur de ce bouquin.

« […] Demain, il achètera une belle couverture cartonnée, écrira dessus L’ÉVASION, récit de Filippo Zuliani, glissera les feuillets dedans et déposera le tout dans la boîte aux lettres de Cristina Pirozzi, sans un mot d’explication.
[…] Il n’a jamais accompagné Carlo dans sa cavale, et sa source unique pour construire son récit du hold-up est un article de journal. Ce qui ne pose aucun problème, tous les romanciers travaillent de cette façon. Mais lui s’applique à entretenir l’ambiguïté, bien aidé par son éditeur, d’ailleurs. En jouant là-dessus, il se met lui-même en danger.
[…] Votre manuscrit. Nous sommes bien d’accord, il s’agit d’un roman. Soyons clairs : je ne veux rien savoir de plus. Je veux pouvoir continuer à penser et à dire que c’est un roman en toute sérénité. Sommes-nous bien d’accord ? — Oui. C’est un roman. — Très bien. Ce que nous aimons, dans ce roman, c’est l’apparente authenticité du récit, le poids du vécu à toutes les pages, et je suis convaincu que la critique nous suivra là-dessus. »

Pour tout dire on oublie souvent qu’il s’agit d’un roman tant on se croit dans une histoire vraie, un quasi reportage (il faut dire que l’auteure s’est visiblement inspirée, très librement, des aventures politico-littéraires de Cesare Battisti).

Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR