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14/07/2012

Alex, de Pierre Lemaitre (chronique 5)

alex2.jpgUne chronique d'oncle Paul.

Adolescente Alex était une gamine insignifiante, pas franchement laide mais loin d’attirer les regards sauf peut-être à cause de sa maigreur, comme on regarde une bête curieuse mais dont on n’aurait pas envie de s’approprier. Puis d’un seul coup elle est devenue une jeune fille sur laquelle les hommes se retournent avec un petit air concupiscent. Elle est coquette et aime porter des perruques qu’elle choisit soigneusement. C’est en sortant d’un magasin où elle vient d’effectuer une nouvelle emplette qu’elle est abordée sur le chemin qui la conduit chez elle, par un homme qui la brutalise et la kidnappe à bord d’une fourgonnette.

L’individu ne se montre pas tendre envers elle, ce n’est pas un amoureux éconduit, car après l’avoir dénudée, il ne la touche pas. Il se contente de l’enfermer dans une cage en bois, une sorte de fillette dont Louis XI utilisa à profusion dit la légende et notamment envers le cardinal de La Balue, lequel avait inventé son propre engin de torture. La cage est levée à l’aide d’une poulie et heureusement qu’Alex n’est pas sujette au mal de mer car un mouvement de tangage se produit lorsque l’enfermée bouge. Comme nourriture son ravisseur lui offre royalement des croquettes pour chiens. Et il la photographie. Au bout de quelques jours un nouveau supplice raffiné vient embellir ses journées. Âmes sensibles s’abstenir. Le tortionnaire s’avise à lâcher des rats qui viennent chatouiller les doigts de pieds d’Alex.

Un homme qui a vu le manège, c’est-à-dire l’enlèvement d’Alex, prévient les policiers et le commissaire Camille Verhoeven est chargé de l’enquête, malgré ses vitupérations. Quatre ou cinq ans auparavant il a perdu sa femme victime d’un enlèvement elle-aussi. Un épisode de sa vie qui reste douloureux. Longtemps il a végété avant d’essayer de se reconstruire et donc il n’apprécie pas que son ami le divisionnaire Le Guen lui confie cette mission. Seulement par manque d’effectif, Verhoeven est le seul à pouvoir prendre cette enquête, même si ce ne sera que provisoirement. Du moins c’est ce qu’affirme Le Guen. A contrecœur Verhoeven, assisté de ses deux adjoints et complices, Armand et Louis, aussi dissemblables l’un de l’autre que peuvent l’être par exemple des personnages de Dubout, Verhoeven donc se rend sur place et travaille au corps le témoin qui a tout vu mais placé trop loin n’a que peu d’informations à fournir. Juste l’emplacement. Le Dieu des policiers dans sa grande bonté a eu l’heureuse idée de placer une caméra-vidéo au dessus de la pharmacie où a eu lieu le kidnapping. Et grâce à l’enregistrement, après bien des recherches toutefois, le propriétaire de la camionnette utilisée est localisé. Trarieux, c’est son nom, dispose d’un petit logement dans un ancien hôpital de jour promis à la démolition. Le coupable est déniché mais il s’enfuit et se jette d’un pont enjambant le périphérique. Fin de parcours pour l’homme dont le portable est récupéré. Portable sur lequel figurent des photos de la jeune femme dans sa cage. L’affaire n’est pas close pour autant.

Après quelques épisodes qui constituent la recherche d’autres éléments concrets permettant de cerner le problème, les policiers découvre le cadavre de son fils dans le jardin du ravisseur défunté, assassiné à l’aide d’acide sulfurique. Quant à Alex, identité que le lecteur connait mais pas les policiers, lorsqu’ils arrivent sur le lieu de détention c’est pour se rendre compte que celle-ci a réussi à se faire la belle. Or de nouveaux cadavres viennent encombrer le bureau déjà chargé du commissaire Verhoeven. Des meurtres pratiqués selon la même procédure. Tous ont ingéré, malgré eux vraisemblablement, de l’acide sulfurique.

Découpé en trois parties qui se suivent dans une progression constante en narrant le parcours d’Alex, ou plus exactement les parcours, ce roman est un petit joyau de perversité. On peut, si on le désire, associer le talent de l’auteur à tel ou tel romancier ou cinéaste, spécialiste de l’angoisse, de l’horreur, de la terreur, mais Pierre Lemaitre possède son propre univers qui laisse le lecteur pantelant. L’intérêt est toujours soutenu, mais comme il faut parfois aménager quelques pauses afin de reprendre son souffle, Pierre Lemaitre ne se contente pas de décrire des scènes toutes plus sulfureuses (normal lorsqu’il est question d’acide sulfurique) les unes que les autres, mais également de présenter des personnages haut en couleurs. Louis est un homme riche, toujours habillé en gentleman, un intellectuel, un Pic de la Mirandole qui ne fait pas étalage de ses connaissances, de sa culture. Armand est un cas. Il s’arrange toujours pour taper ses jeunes collègues en cigarettes, stylos et dans les bars et autres lieux où il est amené à enquêter il s’empiffre de croissants, d’œufs durs, d’aliments divers et liquides propices à faciliter sa digestion, sans payer bien évidemment. Quant à Verhoeven, il est obnubilé par la perte de sa femme Irène et ne sait que faire de la collection de tableaux hérités de sa mère peintre reconnue. Il voudrait couper les ponts avec son passé, et il se demande ce qu’il fera de l’argent qu’il pourrait récolter de la vente aux enchères des peintures fort prisées. Enfin, il questionne ses témoins comme s’il participait à une partie de jeux d’échecs, menant ses interrogatoires avec l’art consommé de la manipulation.

Un roman que l’on ne peut lâcher avant la fin tant les scènes sont puissamment décrites alors que les émotions submergent le lecteur.

Paul (Les lectures de l'oncle Paul)

A lire, les trois autres chroniques que nous avons publiées sur ce remarquable roman :

- celle de Liliba

- celle de Paco

- celle de Christophe 

- celle d'Astrid

Alex.
Pierre Lemaitre
Le Livre de Poche Thriller N° 32580.
404 pages. 7,10€. (Réédition des éditions Albin Michel – 2011).