03/11/2011
Le chuchoteur, de Donato Carrisi
Une chronique de Christophe.
"Il n'y a que le souffleur qui sait toute la pièce" (Jean Anouilh).
Bon, j'ai un tout petit peu aménagé la citation d'Anouilh (qui évoque le théâtre et le rôle qu'y tient le souffleur), mais, ainsi tournée, elle correspond parfaitement au livre dont nous allons parler ce matin puisque la traduction de son titre original ("Il suggeritore", en italien) signifie "le souffleur". En français, on l'a traduit par "le Chuchoteur", le premier roman d'un criminologue italien, Donato Carrisi. Après une jolie carrière en grand format, "le chuchoteur" est désormais disponible au Livre de Poche, édition dans laquelle je l'ai lu. Et nous avons là un thriller avec des imperfections, certes, mais d'excellente facture pour un premier roman.
La police enquête sur la disparition de 5 petites filles et soupçonne la présence dans la région d'un prédateur sexuel redoutable. Mais l'enquête piétine jusqu'à ce que, par hasard, le chien de deux garçons mette au jour dans une forêt un étrange site : des trous y ont été creusés selon une disposition précise. Dans ce qu'il faut bien appeler des tombes, pas de corps, juste des bras, 5 bras, appartenant probablement chacun à l'une des petites disparues.
Mais un rebondissement inattendu vient rendre cette situation plus déroutante encore : les enquêteurs découvrent en effet sur les lieux un sixième bras, appartenant vraisemblablement à une sixième petite victime, dont on ignorait l'existence...
C'est une équipe du département des sciences du comportement qui est en charge de l'affaire. A sa tête, un criminologue, Goran Gavila, sous ses ordres, une équipe de flics aguerris (Boris, Stern et Sarah Rosa) mais dépassés, qui ne sait pas où chercher pour trouver la piste de l'insaisissable kidnappeur (qui a agit parfois en pleine lumière, sans jamais être repéré). A croire que ces indices découverts ont été laissés là exprès pour narguer les enquêteurs...
La présence d'un 6ème bras change toutefois la donne : il s'agit maintenant de découvrir l'identité de cette petite inconnue. Pour cela, l'équipe fait appel à une aide extérieure en la personne de Mila Vasquez, jeune flic au palmarès impressionnant, dont la "spécialité" est justement de retrouver les victimes d'enlèvement vivantes.
Mais Mila est une jeune femme terriblement indépendante, individualiste, même, ses méthodes ne s'embarrassent pas de protocole et elle agit bien souvent comme une tête brûlée. Un comportement déjà difficile à gérer pour ses supérieurs quand elle agit en solo, mais qui peut s'avérer problématique lorsqu'on doit travailler en groupe.
Résultat, Mila a bien du mal à s'intégrer et, malgré ses qualités et son intuition indéniables, les autres membres de l'équipe, à l'exception de Gavila, ne voient pas forcément d'un bon oeil l'arrivée de ce franc-tireur...
Pourtant, il va falloir que tous allient leur compétence et leur motivation pour déjouer le plan d'un adversaire invisible et insaisissable qui, effectivement, tient les rênes de l'affaire et distille les indices, plus macabres les uns que les autres, pour mieux mener les enquêteurs par le bout du nez.
Je n'en dis pas plus, pour ne rien déflorer de cette histoire qui, pour moi, a un énorme mérite : conserver une tension sans temps mort pendant 560 pages. Jamais le lecteur n'a, tout comme les personnages, un temps de répit. Chaque élément proposé par Carrisi finit par trouver sa place dans le machiavélique puzzle final qu'il nous propose. Car, ne vous y trompez pas, aucun fait relaté dans le cours du récit n'est inutile, tous viennent s'assembler comme les rouages d'un engrenage parfaitement huilé.
Alors, certes, il y a quelques rebondissements un peu prévisibles, il y a quelques situations auxquelles on a le droit de ne pas complètement adhérer, mais c'est un premier roman, rappelons-le, et l'ensemble, lui, tient bien debout, jusqu'à une fin qui n'apaisera guère les tensions accumulées au long de la lecture.
Et puis, ne l'oublions pas, Carrisi est un criminologue de formation. Ca se ressent dans la construction du livre, au cours duquel l'auteur utilise la construction du roman et les tournants de l'enquête pour passer en revue toutes les catégories de tueurs en série actuellement recensées, en espérant enfin trouver le profil de l'assassin après qui ils courent sans réussite.
Mais, et il est délicat d'évoquer certains aspects du "Chuchoteur" si l'on ne veut pas trop en dévoiler. Pourtant, il me faut bien évoquer un des thèmes majeurs de ce thriller, un thème paradoxal et effrayant : du mal peut-il sortir un bien ? Et quand j'évoque un mal, c'est un mal absolu, sadique, sordide, prêt à toutes les horreurs dans un plan infernal au sein duquel le tueur fait mouvoir tous les acteurs comme un marionnettiste.
Je ne veux pas trop expliquer cet aspect pour ne pas risquer de dévoiler certains éléments, mais il y a dans ce personnage du chuchoteur une perversité inouïe, très originale dans ce type de récit, loin des tueurs en série classiques qu'on croise à foison ces dernières années dans les thrillers du monde entier.
Arrêtons-nous sur le personnage central du récit, Mila Vasquez. Comme je le disais, cette jeune femme est très individualiste dans sa façon de mener ses enquêtes. Elle est très impétueuse, n'hésitant pas à se mettre en danger dans ses interventions. on sent, dès qu'on la rencontre, qu'elle n'a rien à perdre, que c'est une femme blessée.
Jamais vraiment intégrée à sa nouvelle équipe (qu'elle ne voulait pas rejoindre et qui ne l'accueille pas à bras ouverts), elle continue à suivre ses intuitions, à prendre des initiatives sans en référer ni à ses supérieurs ni à ses coéquipiers, se fourrant dans des situations périlleuses mais faisant, malgré tout progresser les choses.
Alors, oui, elle commet des erreurs, mais elle est la seule à s'agiter pour essayer de se défaire du contrôle qu'exerce sur ses poursuivants le chuchoteur. Elle met des coups de pied dans la fourmilière, ne cédant jamais au découragement et c'est sa ténacité qui va permettre de remonter la piste, de rattraper le retard des policiers sur le tueur qu'ils poursuivent.
Carrisi, juriste, criminologue, ajoute une dimension politique à son récit qui est très intéressante. Devant une telle affaire, horrible, capable de bouleverser l'opinion publique, les responsables policiers doivent compter avec les médias d'un côté et les pressions des responsables politiques de l'autre. Pendant que les hommes de terrain doivent se dépatouiller avec des pistes très minces, on leur savonne la planche pour être bien vus, ne pas affoler le bon peuple, ne pas perdre la face (et son poste par la même occasion).
Gavila fait le lien entre ces deux facettes de l'affaire. A la fois impliqué dans l'enquête de terrain, il sert aussi d'interface avec ses supérieurs et les conseille dans les aspects communication. Un micmac politique qui vient parfois entraver la progression de l'enquête, lorsqu'on va jusqu'à cacher à une partie de l'équipe, des éléments fondamentaux.
Bref, il y a fort à faire, en plus d'un adversaire redoutable qui possède toujours un ou plusieurs coups d'avance, avec un contexte extérieur compliqué qui n'arrange rien. Comme si, de toute part, on cherchait à savonner la planche à Mila et ses collègues...
Pour finir, je vais évoquer un des éléments qui m'a le plus troublé dans ce roman, une technique qui m'a d'abord un peu dérangé, puis désorienté puis qui, au final, a contribué au malaise ressenti tout au long de la lecture et à la tension qui donne envie d'avancer, de tourner les pages, de comprendre...
Cet élément, c'est le flou... Oui, je sais, dit comme ça, c'est un peu spécial, alors, je m'explique : si Carrisi est parfaitement clair dans le fil du récit, n'utilise peu ou pas d'ellipse pour nous conter l'enquête, en revanche, il nous laisse perdu au milieu de nulle part. Jamais on ne sait où se passe l'action, on ne connaît pas le pays où se déroule l'enquête, les villes ne sont présentés que par des initiales, les lieux sont toujours flous tout comme les distances et la géographie.
Enfin, les personnages eux-mêmes contribuent à ce flou : on ne sait rien de leurs origines mais enquêteurs, victimes, témoins, des premiers rôles aux figurants, ont tous des noms qui gomment tout repère par des origines très variées, sans point commun apparent entre eux : Mila Vasquez, Goran Gavila, Stern, Klaus Boris, Alphonse Bérenger, J.B. Marin, etc.
Le lecteur se retrouve donc comme enfermé dans une pièce hermétique, sans les repères habituels qui permettent de s'orienter. Perdu dans une enquête complexe, manipulé comme les personnages, le lecteur n'a rien pour se raccrocher et ça, c'est très fort.
Christophe
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