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15/06/2014

Le paradoxe du cerf-volant, de Philippe Georget

 paradoxe2.jpgUne chronique de Jacques. 

Le paradoxe du cerf-volant bénéficie d’une publication en livre de poche qui va permettre à ceux qui auraient raté sa sortie en 2011 de découvrir ce roman, aussi prenant que surprenant.

Polar, roman noir, thriller, roman psychologique, il est tout cela à la fois, et il révèle une méticulosité dans le déroulement de l’intrigue – qui mêle l’histoire personnelle du héros à des événements historiques réels – que l’on retrouve rarement dans les polars français.  

La partie « recherche de la vérité », qui n’est pas la  caractéristique des seuls  polars, mais constitue tout de même l’épine dorsale de ce genre littéraire, est d’une grande subtilité, elle  nous prend à contre-pied et  s’achève par une « chute » (dans tous les sens du terme) qui restera accrochée longtemps à la mémoire du lecteur.

 Pierre   est un boxeur professionnel de 27 ans, qui a vécu un drame pendant son enfance : ses parents, ainsi que sa sœur, seraient morts dans un accident de voiture.  Son père  était diplomate et sa dernière mission se passait dans une  Yougoslavie  perdue dans ses conflits nationaux et ethniques des années 1990.  La toile de fond du roman sera cette Yougoslavie-là, ses crimes de guerre entre Serbes et Croates et en particulier les tueries perpétrées par le général  de l’armée croate Ante Gotovina, qui va être jugé par le T.P.I.  pour le  meurtre de 150 civils serbes pendant l’opération « Tempête ».   

Quels rapports  Pierre entretient-il avec cette période trouble et agitée de l’histoire européenne récente ?  Ils sont indirects et concernent son père ainsi que son ami Sergueï.  Le meurtre de Lazlo, un autre ex-yougoslave que connaît  Sergueï et pour qui Pierre  travaille depuis quelques jours, déclenche la machine policière autour de lui.  L’épisode douloureux vécu par le narrateur dans son enfance se trouve  mêlé au conflit yougoslave d’une façon subtile, le récit monte en puissance tandis que les tensions psychologiques tiennent le lecteur en haleine jusqu’au dénouement.

 Pendant qu’il tente de comprendre les mécanismes d’une possible machination,  Pierre essaie de reprendre goût à la boxe, en voulant prouver  à son entraîneur,  comme à lui-même,  que sa carrière n’est pas finie.  Le monde de la boxe est décrit avec précision et les dix pages décrivant le combat de Pierre contre un adversaire irlandais coriace auraient leur place dans une anthologie, tant elles sont convaincantes et fortes dans leur dramaturgie.

 C’est le personnage de Sergueï  qui donne au lecteur, en quelques mots, la clé du livre et le sens du titre étrange de celui-ci. « Les hommes sont des cerfs-volants (…) nous pestons souvent contre les liens d’amour et d’amitié qui nous entravent, et qui croit-on, nous gênent pour réaliser nos  rêves. (…) Mais quand le vent souffle, ce sont ces liens qui nous sauvent. Toujours. Eux seuls nous empêchent de nous écraser. »

 Ainsi, l’ami en qui le narrateur croyait, cet ami  qui  l’a (peut-être ?) trahi, est celui qui  lui révèle son destin au cours de leur ultime rencontre, alors que les liens d’amitié ou d’amour que le narrateur avait tissé s’effilochent  les uns après les autres.  Le lien avec sa mère, celui qui aurait dû être le plus solide,  qui aurait pu l’arrimer à la vie quand les vents devenaient contraires, va lâcher  le premier.  Le drame que Pierre  s’efforçait d’oublier  va resurgir au fil de l’histoire, quand le lecteur ne s’y attend pas,  et donner  au roman une grande densité.

 La fin du roman évite la mièvrerie des fins heureuses et convenues, trop fréquentes dans la majorité des polars traditionnels. Elle laisse au lecteur le goût âcre et puissant des tragédies antiques. Le paradoxe du cerf-volant  est un roman efficace et intelligent, qui pulvérise les frontières entre  la « littérature blanche » et le polar.

 Jacques (blog : lectures et chroniques)

 

Le paradoxe du cerf-volant
Philippe Georget
Editeur : Jigal (15 mai 2014)
Collection : Polar
416 pages ; 9,80 €