Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/12/2010

Le cauchemar de Spinoza : une critique de Faysal R.

cauchemar.jpg

Le cauchemar de Spinoza, de Jacques Teissier

L'intérêt des bons polars ne se réduit évidemment pas à ce qui définit un genre lui-même assez plaisant pour ses amateurs : certains romans investissent allègrement une série de motifs - pour le plus grand plaisir des lecteurs amateurs et amateuses d'histoires de crime et d'enquêtes, tout en suggérant parfois très finement, un propos plus global sur l'humain, le monde, la société ou la morale.

            Le Cauchemar de Spinoza en est un exemple saisissant : premier roman d'un auteur qui n'a rien d'un débutant, on y sent non seulement une incontestable maîtrise des codes du genre, mais aussi l'articulation plus discrète, à travers ce que sa construction induit, d'un discours plus personnel (disons même philosophique) exprimé - et c'est aussi l'intérêt du genre populaire - d'une manière légère et plaisante, totalement incorporée à l'histoire.

            Le roman débute magistralement : un récit sensible, en italique, de trois pages en guise de prologue. Le vif du sujet, clairement, mais aussi, paradoxalement, rempli d'interrogations : à l'image du personnage décrit, le lecteur s'interroge. Mon sentiment en lisant ces lignes, c'était d'entrer dans la tête du "Samouraï" de Melville - ce personnage vivant seul, totalement engagé dans la mort (et dont les avatars se retrouvent dans Heat ou dans Ghost Dog de Jarmush...).
            
            Puis le premier chapitre, d'une tonalité complètement différente (plus légère), avec changement de point de vue (subjectif), à la première personne, qui permet d'entrer très rapidement dans une histoire prenante, intéressante, avec une intrigue qui se déploie très habilement (notamment par un changement régulier de points de vue conférant à la lecture le sentiment - si agréable - de se faire mentalement son propre film). Et des personnages vivants, avec une profondeur certaine, dépeints avec art et surtout, ça se sent, avec humanité.

            On peut apprécier aussi cette volonté de dépeindre des êtres en réalité exceptionnels (dans leurs dispositions et leurs manières de voir), en un sens tout à fait irréalistes, dans un monde très très réaliste (des flics amateurs d'opéra, littéraires, philosophes ou chantauteurs dans des situations de polars classiques transposées dans notre monde, avec, l'évocation de problèmes tout à fait contemporains et "d'actualité").


            Paradoxalement, ce biais permet souvent en littérature de nous éclairer sur nos grandeurs et nos petitesses.
La découverte de l'issue de l'intrigue permet de saisir l'intérêt d'avoir donné de telles dispositions aux personnages: absolument rien de gratuit dans tout ça !
            Plusieurs passages peuvent toucher l'amateur du bon cinéma de genre : on se retrouve tour à tour dans du Melville, du Corneau, ou même (comme dans certaines scènes de commissariat), dans le quotidien de certaines séries populaires.

            Le passage où le personnage d'Agnès est présenté plus en détail dans sa vie quotidienne a par exemple attiré mon attention: elle peut rappeler plusieurs personnages littéraires bien sûr, dans sa solitude notamment, mais il y a quelque chose en plus qui fait penser au personnage joué par Nathalie Baye dans Le Petit Lieutenant de Beauvois. Très touchante.

            Et bien sûr, en plus du personnage principal (magistral), le grand Letripal, flic littéraire chantauteur...dont le modèle (presque identique) existe bel et bien, incarné dans la vie réelle par un chantauteur réel (et talentueux) mais pas du tout flic ! Une sorte de rêverie à la Resnais sur la virtualité de nos vies et sur ce qu'elles auraient pu être... Le chanteur-poète de Vallauris aurait effectivement pu être une sorte d'inspecteur Morse...


                                                                        Faysal R.

Infos et extrait du roman sur la page  http://un-polar.fr/lecauchemarsespinoza.html