Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/02/2011

La Rigole du diable, de Sylvie Granotier

sylvie,granotier,rigole,diable,suspenseUne chronique de Jacques

Mon premier contact avec le nouveau roman de Sylvie Granotier la Rigole du Diable ne fut pas positif.

En flânant dans la librairie, mon regard se posa sur le livre et ma première réaction fut de trouver le titre plutôt racoleur. Initiative d’un éditeur expérimenté à la recherche d’un titre choc ? me dis-je. C’était en effet possible. Mais après tout, rectifiai-je in petto, le titre n’est pas le plus important d’un livre : si Voyage au bout de la nuit s’était appelé Les ricanements de Satan, ça ne l’aurait pas empêché d’être un grand roman !

Puis je me souvins de « Double Je », un précédent roman de Sylvie Granotier lu quelques années plus tôt, que j’avais trouvé bien construit et inventif, et cela me décida de tenter le coup avec celui-ci.

Je venais de terminer « Zulu » de Caryl Férey, qui avait produit en moi un tel choc que je craignais de trouver une saveur fadasse à n’importe quel autre livre. Après avoir lu quelques pages, quand je compris que la Rigole du diable était entièrement écrite au présent de l’indicatif  je crus que mes craintes allaient être confirmées : c’est un temps qui demande à un auteur une grande maîtrise de son art, et beaucoup s’y cassent les dents. Or, en poursuivant ma lecture, j’appréciai la façon dont Sylvie Granotier surmontait avec une maestria tranquille les difficultés que le présent impose à la narration ; elle parvenait à donner à son récit du rythme, de la souplesse et surtout un suspense  qui croissait au fil des pages.

La narratrice, Catherine, jeune avocate parisienne débutante, est prise dans le réseau d’une double intrigue où les mensonges, les faux semblants et les ambiguïtés des différents personnages qui l’entourent sont décrits avec justesse et profondeur. Trois personnages gravitent autour d’elle et l’auteur nous permet de voir sporadiquement les événements à travers leurs yeux.  Catherine est chargée de sa première grosse affaire : la défense d’une jeune femme d’origine africaine, Myriam, accusée d’avoir empoisonné son mari, un paysan  ayant trente ans de plus qu’elle. L’affaire est jugée dans la Creuse, à Guéret, région où Violet, la mère de Catherine est morte assassinée vingt ans plus tôt. Catherine était présente sur les lieux au moment du drame, sans rien en voir.

Avant même la recherche de la vérité sur le meurtre de Violet, Catherine est à la recherche désespérée de l’identité réelle de sa mère. Qui est cette inconnue ? Pourquoi a-t-elle épousé un homme ayant vingt-cinq ans de plus qu’elle ? Avait-elle un amant, plus jeune ? Violet se préparait-elle à quitter son mari ? Des plongées dans ce passé permettent au lecteur de se faire une idée plus précise de l’identité réelle des protagonistes et de comprendre, avec un temps d’avance sur Catherine le déroulement possible des événements. Ce temps d’avance, crée chez le lecteur un effet d’attente propice au suspense, jusqu’à la scène finale où Catherine découvre enfin l’identité du meurtrier.

La deuxième histoire entrelacée avec celle-ci, celle de Myriam, est également racontée avec habileté. Elle aurait pu être l’objet unique d’un roman, mais le décalage entre les deux récits, en montrant l’insertion de Catherine dans sa vie professionnelle, donne du relief et de l’originalité à l’ensemble. La découverte de la vérité sur l’assassinat du mari de Myriam survient presque en même temps que la découverte de la vérité sur l’assassinat de la mère de Catherine : les deux récits s’imbriquent parfaitement, jusqu’au bout.

Les deux intrigues, prises de façon isolée, seraient plutôt banales, mais le point fort du roman porte sur l’articulation entre les deux récits. Le suspense est situé dans la psychologie et l’évolution des personnages, ainsi que le dévoilement progressif de leur personnalité. De ce point de vue, la réussite est totale. Entre Paris et la Creuse, l’histoire déroule ses méandres dans des descriptions fines et précises, des dialogues sobres autant qu’efficaces.  Sylvie Granotier s’accorde, sans en abuser,  un plaisir d’écriture dans des paragraphes  ayant une tonalité poétique, ce qui  augmente encore le plaisir du lecteur. Ainsi de cette description d’une petite route de la Creuse, en automne :

« En ce dimanche froid et sec, la voûte est de brocart, un somptueux tissu éclairé à contre-jour, aucun dessin visible, un réseau minutieux de fines broderies suivant le désordre d’une inspiration débridée, du vieil or aux reflets noisettes au rouge grenade, de l’argent vieilli à l’ocre, le rouille de plus en plus intense jusqu’à l’orange vif, les sous bois restent opportunément dans l’ombre, baissant le vert et le brun, un fond simple et modeste posé pour mettre en valeur la splendeur du plafond céleste. »

 

Au final, La Rigole du Diable est un bon roman de suspense français, plaisant à lire, bien  construit, dont l’écriture est fine, précise, ciselée. Un beau travail d’artisan.