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08/05/2015

Entretien avec David Lecomte

Après avoir chroniqué L’œuvre de sang, Cassiopée a souhaité s’entretenir avec David Lecomte.

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Cassiopée.  Pouvez-vous donner une couleur et un lieu pour vous définir?

David Lecomte. Vous commencez par une colle, car j'ai beaucoup de mal à me définir via une seule couleur. Chacune d'elles m’intéresse et me paraît essentielle. Le bleu pour son côté paisible (eau, ciel), le rouge pour sa chaleur et/ou sa hargne, le vert pour son côté « nature », le marron pour la terre, le blanc pour sa zénitude, le noir pour ses mystères et sa profondeur... Plutôt qu'une couleur, je préfère répondre par une palette de couleurs.

Concernant un lieu, par contre, j'ai plus de facilité, songeant immédiatement à Berguette, le village de mon enfance. C'est d'ailleurs pour cela que Frédéric Lutgen, personnage qui représente beaucoup pour moi, y vit encore... Même s'il doit déménager, pour grandir lui aussi.

C. Comment avez-vous eu l'idée de la trilogie "L’œuvre de sang"? Saviez-vous dès le départ qu'il y aurait trois tomes et aviez vous en tête tout le synopsis?

D.L. L'idée de départ remonte à une dizaine d'années. A l'époque, j'envisageais la chose comme un scénario de bande dessinée. Une trilogie, déjà, mais différente car se concentrant sur ce qui se passe dans l'actuel premier tome. Une première mouture avait été écrite sous le nom de « Calice » mais le résultat final ne me convainquait que très moyennement. La faute, certainement, à un manque de maturité. J'ai donc laissé tout ça de côté jusqu'à ce que je me sente suffisamment en confiance, d'un point de vue littéraire, pour écrire mon premier roman, « Peintures de guerre ». Fort de cette nouvelle expérience d'écriture, j'ai pu me remettre à l'ouvrage sur ce projet qui me tenait tant à cœur. L'idée d'une trilogie restait dans ma tête mais elle se présentait autrement. Le premier tome posait des bases mais se devait d'avoir un début, un milieu et une fin. Quant aux deux suites, si elles devaient voir le jour, ce devait être d'une manière quasi-indépendante par rapport au premier volume. D'où un nouveau travail de mise en place dans Echoes et la recherche d'une autre tonalité. En fait, Echoes et Solitudes sont un peu comme une variation de jazz.

C.  Bertrand Binois (? je n'arrive pas bien à lire son nom) est le créateur des couvertures (au demeurant magnifiques). C'est un ami à vous? A-t-il dessiné en suivant vos idées ou les siennes? A-t-il lu les trois livres?

D.L.. Bertrand est effectivement un superbe créateur, et son travail ne cesse de me surprendre. J'ai la chance de l'avoir eu comme ami avant cette aventure éditoriale, et c'est par pure amitié qu'il m'a proposé ses services, aussi rigoureux qu'inspirés. Il lit toujours les ouvrages, ou du moins une grande partie, avant de se mettre au travail. À partir de là, les idées lui viennent, il me les propose et je fais mon choix. On en discute, souvent longuement... Rien n'est laissé au hasard. Et il fait ça avec chaque auteur de la maison d'édition. Un grand homme, je vous dis.

C.  Dans chacun des tomes, l'art est création mais également douleur et danger. Est-ce que pour vous créer est synonyme de souffrance?

D.L.. Je vois plutôt la création comme une délivrance. Toute forme d'art est un langage, une forme de communication, nous permettant de dire ce qui ne peut l'être par les mots. Mais je sais que, lors de cet acte créatif, l'individu est en constante remise en question et il peut devenir distant, narcissique, voire carrément odieux. Cela peut faire souffrir, provoquer des drames... quel paradoxe vu qu'au départ, le but est de s'approcher de l'autre, lui parler. Mais n'est-ce pas un peu comme un accouchement ? La mère ne se défendrait-elle pas jusqu'à l'excès pour que son bébé puisse venir au monde ?

C.  L'art a-t-il ses limites ou peut-on tout se permettre au nom de l'art?

D.L. Il y a bien sûr la question de la liberté d'expression. A mon sens, tout peut être dit, et particulièrement grâce à l'art car il y a toujours plusieurs niveaux de lecture, d'interprétation.

Par contre, je ne saurais admettre que l'on puisse tout se permettre au nom de l'art. Il y a d'abord le respect de l'autre et surtout, le respect de la vie, qu'elle soit humaine ou animale. La tauromachie, par exemple, est une abjection.

C. D'ailleurs, pour vous, c'est quoi l'art?

D.L. Un moyen d'avancer... tous ensemble.

C.  On vous compare à Stephen King, avez vous lu ses œuvres et aviez vous dans l'idée d'écrire dans le style qu'il affectionne (dans certains de ses livres) ?

D.L. J'en ai lu, en ai aimé, voire adoré certains, ai eu du mal avec d'autres. Il est clair que la trilogie de L’œuvre de sang peut être assimilée au genre développé par King. Le fantastique y a sa place naturellement, l'histoire est ancrée dans le quotidien et tout l'intérêt réside dans la psychologie des personnages. Ce qui fait plus de Stephen King un véritable romancier qu'un simple auteur de genre.

Le style d'écriture, lui, a été pensé différemment. Chez King, la mise en place est très longue. C'est un parti pris qui contribue à faire de lui un écrivain merveilleux mais cela ne me correspond pas car, de mon côté, chaque première scène doit mettre une claque. Et j'apprécie plus que tout les narrations brèves. Ayant écrit de nombreux textes de chansons, j'ai pris pour habitude de raconter une histoire, une situation, en un minimum de mots. Ça peut avoir ses limites, mais s'il y a du rythme, une musicalité, le choix du mot juste, la contrainte devient intéressante.

C.  Jérémie, votre personnage principal, est à la fois fasciné, tourmenté et terrifié par ses pouvoirs, pensez-vous que c'est parce qu'il n'arrive pas à savoir ce qui va se passer quand il agit (l'inconnu lui fait peur) ou que sa différence le gêne? Aviez-vous envisagé d'autres exploitations de sa "force"?

D.L. Jérémie est un enfant qui entre en phase d'adolescence, tout simplement. Il se cherche, se retrouve partagé entre ce que lui inculque sa famille et ce que proposent ces nouvelles personnes que l'existence lui présente. De chaque côté, il y a du bon comme du mauvais. Il découvre aussi cet art dont nous avons parlé. Il se sait capable de choses, les pires comme les meilleures, et il doit faire des choix... Ajoutez à cela sa sexualité naissante... Pas surprenant qu'il soit tourmenté.

Concernant une éventuelle autre exploitation de sa « force »... non. Jérémie s'est présenté à moi comme ça et je ne voulais nullement forcer le trait, aller dans la caricature ou le déjà-vu.

C.  Pourquoi pas un autre tome? Vous avez volontairement laissé le lecteur dans le flou quant au devenir de certains personnages?

D.L. Une fois le premier tome écrit, relu, corrigé, j'ai failli m'arrêter là, me disant qu'il serait de bon goût de laisser aller l'imagination du lecteur. J'ai horreur du mot « fin » et, pour moi, une bonne histoire n'arrive à prendre vie que dans la tête de celui qui l'a découverte. Mais ç’aurait été trop tôt car pour que pour cette histoire vive au mieux, il fallait encore d'autres éléments. Ces éléments, je les avais en moi. C'étaient d'autres points de vues, des développements qui me paraissaient essentiels...

Par contre, au final de cette trilogie, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter sans entrer dans la redite. Il y a une fin, une fin ouverte, si inquiétante soit-elle. D'ailleurs, l'effroi vient de ce que l'on ne sait pas, de ce que l'on suppose être ou devenir.

Ceci dit, peut-être qu'avec le temps me viendront des envies, et je sais déjà que, pour certains personnages, il y aura un lendemain littéraire.

C.  Vous êtes également éditeur (éditions fleur sauvage), comment choisissez vous ceux que vous publiez?
Pourquoi "fleur sauvage"?

D.L. Les fleurs sauvages sont une des composantes essentielles de ma trilogie, et lorsque j'ai dû trouver un nom pour ma maison d'édition, celui-ci m'est venu tout naturellement car j'étais en pleine phase d'écriture. A croire qu'elles se sont glissées en moi et m'ont dictées leur loi !

Mais cela correspond à ce que je cherche à éditer. Des textes qui savent être surprenants tout en restant naturels. Ni trop lisses ni forcément graveleux et qui, souvent, peuvent être piquants. A part les biographies, les notices de montage ou les livres d'images, je suis ouvert à tous les genres, mais je me vois mal publier un roman à l'eau de rose, de la fantasy ou du polar traditionnel... à moins d'un polar à la Nadine Monfils, d'une romance à la Bukowski...

Disons que j'aime quand il y a de l'audace, de l'originalité, un mélange de genres. Ajoutez à cela une sacro-sainte exigence, de ma part comme de mon comité de lecture.

C.  Avez-vous un autre livre en route? Vous voulez bien nous en parler? Après une œuvre magistrale comme "L’œuvre de sang", est ce difficile de se remettre à écrire et de se renouveler?

D.L. Merci pour le terme « œuvre magistrale »... Cela me touche beaucoup.

Ce n'est effectivement pas si simple, après tout ça, de se remettre en selle. J'ai dit ou suggéré beaucoup de choses grâce à cette trilogie et, comme vous avez pu le comprendre, je n'aime pas me répéter. Aussi, ce qui suivra devra être différent, à même titre qu'il y a un fossé entre « Peintures de guerre » et « L’œuvre de sang ».

J'ai un récit, que j'ai à cœur depuis près de deux ans, avec des personnages auxquels je tiens déjà énormément.

Je peux vous dire qu'il y aura, encore, une base de thriller, mais pas de fantastique. Ce ne sera pas non plus aussi noir que « Peintures de guerre ». J'espère même pouvoir vous faire sourire grâce à cette histoire d'ennemi public.

On en reparlera...

Début 2016, ça vous ira ?