16/03/2011
Je suis un terroriste, de Pierre Brasseur
La France des années Sarkozy
Comment des paumés ordinaires peuvent-ils basculer, en 2 009, dans un terrorisme qui ne s’en prend pas seulement à des caténaires de TGV, mais à des individus de chair et d’os ? Le roman de Pierre Brasseur est une tentative de réponse à cette question.
La question du terrorisme ne se pose aujourd'hui que marginalement, en France. Elle est en tout cas moins centrale que ce que le pouvoir a tenté de nous faire croire, via les grands médias qu’il manipule avec brio. L’emprisonnement de Julien Coupat et de ses amis, accusés sans preuves ni aveux « d’association de malfaiteurs et dégradations en relation avec une entreprise terroriste » est à cet égard révélateur. Il fallait, dans cette période de crise économique menaçante, inquiéter le pays en lui laissant croire qu’un danger intérieur extrême le menaçait : on sait que l’histoire a fait pschitt, pour reprendre l’expression de Jacques Chirac dans une autre affaire.
Mais même si le terrorisme n’est plus au cœur des débats politiques, le thème du roman est tout de même passionnant : comment des jeunes gens (la trentaine) vont-ils glisser de leur marginalité politisée, alcoolique et souvent défoncée vers un terrorisme dirigé non contre un État honni, mais vers des individus qui symbolisent, pour eux cet État, à savoir quelques représentants de seconde zone du MEDEF et un journaliste banalement et platement sarkozyste ? Comment vont-ils alors justifier la nécessité (selon leur conviction) de tuer des êtres humains dont ils ne savent rien, et qu’ils haïssent d’une façon abstraite ?
Cette question peut sembler gratuite dans un pays qui ne connaît plus ce genre d’action violente depuis les derniers soubresauts d’Action Directe. Mais ne serait-elle pas prémonitoire d’une réalité que nous allons connaître bientôt, comme une odeur qui flotte autour de nous et que seul un écrivain peut humer et exprimer lorsqu’elle est dans l’air du temps ?
En fait, prémonitoire ou non, cela n’a guère d’importance, car on peut aussi considérer ce livre comme un exercice de style et le juger à l’aune de son efficacité littéraire : l’auteur a-t-il réussi son coup en nous présentant des personnages de notre époque et en rendant crédible leur dérive violente ? Ou bien son essai romanesque tombe-t-il à plat ?
S’il m’a fallu une trentaine de pages pour entrer dans ce roman d’une noirceur désespérée et désespérante, j’ai ensuite été accroché jusqu’à la dernière ligne. Une trentaine de pages, c’est ce qu’il m’a fallu pour m’habituer aux partis pris narratifs de l’auteur , à savoir une précision maniaque dans les détails ajoutée au souci permanent de l’objectivité dans la description du comportement des personnages.
Ces personnages, ils n’ont d’ailleurs rien d’extraordinaire, et c’est même ce qui fait la force du livre. Dans notre entourage, nous en connaissons tous qui leur ressemblent, peu ou prou.
Une Maude qui aurait bien voulu devenir photographe mais qui a glissé insensiblement, de stages mal payés en emplois précaires, vers une détestation d’un système qui la rejetait, comme si elle ne valait rien, comme si elle était un rouage inutile ou même pire : un grain de sable dans le rouage : « Maude rencontra l’assistante sociale pour sa demande de R.M.I. La femme tenta d’abord de la rassurer, comme si Maude avait besoin d’être consolée, comme si elle avait honte d’être pauvre. Mais elle fut magnanime et ne répliqua rien. D’une voix très mielleuse, pour se mettre au niveau de cette catho de gauche, Maude expliqua son grand projet – intégrer une école de photographie afin d’obtenir le diplôme qui lui ouvrirait les portes des agences de presse. L’assistante sociale regarda Maude, puis son CV, puis Maude, et déclara que oui bien sûr, c’était un projet très intéressant, mais il fallait le financer, et les débouchés étaient rares. Mademoiselle Meyer n’aimerait-elle pas devenir aide-soignante, pour s’occuper des gens qui soufrent ? »
Un Guillaume musicien raté employé dans un restau dont il déteste le patron et qui s’est noyé et détruit dans l’alcool de façon systématique : « Comme Maude, Guillaume se réveilla à 8 heures et hurla aussitôt : son pied nu venait de heurter une bouteille vide de whisky placée au pied du lit. A cela s’ajoutait un terrible mal de crâne. Il alla donc à son frigo, prit une bière à 8 degrés, et l’avala en cinq gorgées ; c’était un parfait petit-déjeuner pour débuter une longue journée dans ce monde pourri. ».
Un Raoul intello qui s’accroche comme à une bouée à ses livres, ses jeux vidéos et son site Internet Catharsis ? qui lui confère une certaine notoriété dans le milieu des anars les plus politisés, et qui explique ainsi à Maude sa vie : « Je ne tiens pas le coup, même si je m’y efforce. Une fois par semaine, je m’angoisse tellement que je prends une cuite, et le demain je cuve. Puis je recommence mes altères, mes pompes, Dostoïevski et « Catharsis ? ». Deux ou trois jours passent, et je dois avaler des médicaments pour retrouver un peu de calme. »
Sur un coup de tête de Maude, ils décident de passer à l’acte. Le moment où la décision est prise de mener une « action terroriste » n’est que peu développé dans le récit. Il y a « l’avant », la découverte des personnages, de leurs relations, de leurs actes les plus quotidiens, et « l’après », le moment où le processus est lancé, qui va les amener à l’irrémédiable en bouleversant tant de vies.
L’auteur ne juge pas, ne prend pas partie, il se contente de décrire avec objectivité les actes, les comportements, les paroles prononcées. Son but n’est pas d’être « au dessus de la mêlée » mais de placer le lecteur dans une situation ou il sera capable de porter un jugement objectif et analytique sur les situations que le roman développe. Après Bret Easton Ellis aux Etats-Unis ou plus récemment Jean-Patrick Manchette en France, il utilise pour cela une partie des techniques du roman béhavioriste ou comportementaliste : le personnage doit être entièrement compris et saisi à travers les actes de sa vie quotidienne, ses réactions diverses aux stimuli extérieurs, son comportement face aux différentes situations qu’il rencontre. L’introspection est bannie. Les verbes d’action et les dialogues sont privilégiés.
Mais l’auteur ne va pas au bout de cette logique. C’est sans doute ce que veut dire l’éditeur en quatrième de couverture lorsqu’il parle de « dynamiter les codes du roman comportementaliste ». En effet, alors que pour le comportementalisme traditionnel, rien de ce qui est dans la tête d’un personnage ne doit être révélé, ici des flashs fréquents nous permettent d’entrevoir ce qu’ils pensent :
- « en raccrochant, Raoul éprouva une amertume noire »
- « Maude (…) éprouva une sensation d’étrangeté qu’elle n’identifia pas immédiatement ».
- Guillaume « imaginait Maude à 45 ans, toujours mince mais très endurcie, en désespérée pleine d’autorité. Il faudrait vraiment qu’elle se casse de la France pensa-t-il alors ».
Si ce choix délibéré n’ajoute rien au roman, il ne constitue pas non plus une gêne. En réalité, l’auteur ne dynamite rien, il utilise une technique littéraire comme bon lui semble, pour les besoins de son histoire, sans se soucier de rester dans les clous de cette technique ou d’en sortir. Le résultat lui donne raison, le live est convaincant et fort. L’histoire dira s’il est aussi prémonitoire. Mais même dans le cas contraire le lecteur reste accroché aux personnages, aux situations, à une description acide et précise d’une certaine réalité sociale de la France d’aujourd’hui. A ce titre, ce roman est une réussite, et c’est bien l’essentiel.
J.T.
Je suis un terroriste
Editions Après la Lune ( 24 février 2011)
10 €
08:23 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
Commentaires
Je suis un terroriste
Pierre Brasseur ( Lunes Blafardes,2011)
A bien des égards, ce livre m’a révolté, agacé (notamment dans sa première partie volontairement manichéenne) « tourneboulé » mais surtout passionné. Comment en effet des jeunes gens marginalisés par une situation précaire, une volonté artistique de se confronter à l’existence ou de se positionner intellectuellement face à elle-(l’un par la musique (Stéphane /Guillaume)-, la deuxième (Maud) par la photographie, le troisième (Raoul) par la réflexion intellectuelle et théorique en arrivent à commettre l’irréparable en préméditant leurs actes afin de tuer des personnages extrémement secondaires bien que symboliques de la scène publique française ? Quatre patrons du M.E.D.F, un journaliste de « l’est républicain « » ,thierry Di Lucca appartenant à l’UMP sont ainsi assassinés parce que porteur des racines du « malaise démocratique libéral »de la France Sarkosyste du tout sécuritaire et policier mais surtout du vide social et familial, bref de ce qui cimente le lien social nécessaire qui doit nous unir. De vastes questions que nous nous posons tous sans osez vraiment les aborder frontalement mais que l’auteur- Pierre Brasseur prend à bras le corps, sans langue de bois, en se coltinant avec un réel réellement glauque mais tellement vrai et déprimant. Il faut bien en effet que les écrivains affrontent le monde tel qu’il est (carrément moche quoi !) pour nous sortir de notre fauteuil et de notre torpeur afin que la lecture ne soit pas un art confortable et distrayant mais nous bouscule, nous questionne et nous arrache à notre bien- pensance .Le titre est un effet une revendication* ,mais l’auteur la cerne plus qu’il n’y adhère. Dans la lignée de Manchette, Fajardie et consorts il observe dans un premier temps des comportements en action puis il s’investit dans une réflexion plus psychologique des personnages avec leurs caractères bien trempés, leurs faiblesses surtout et cet acharnement à ne pas succomber à la tentation d’être un quidam sans relief mais à toujours révéler leur part singulière quitte à jouer à pile ou face avec la vie et la mort .
r
Cependant la réponse qu’ils donnent au conformisme de tout poil, le mépris qu’ils portent à l’encontre de « cette ère du vide » dont nous sommes les responsables bien involontaires, m’apparaît bien insatisfaisante et bien peut crédible .Même si on doit toujours en être des contempteurs obstinés et résolus.
Car le libéralisme est un totalitarisme que l’on aurait tort de mépriser par des réponses simplistes. Certes il tue à haute dose et avec un cynisme inégalé (cf. : les suicidés de France-Télecom , les licenciés lessivés, les laisser pour compte de la prospérité et la souffrance imperceptible etc…et d’ailleurs à quand le livre noir du libéralisme !). Mais il est adroit dans la façon de protéger les responsables , où se cachent-ils, ne sont-ils pas le produit de leur production ou le fruit de leur infortune ? A cet égard, le film que Maud va voir un soir de désespérance « Louise Michel »en dit long sur cette difficulté à dégoter les responsables toujours planqués derrière un concept tout à la fois opaque et toujours vague parce qu’indiscernable. Ces adorateurs auront toujours des croyants pour poursuivre leur quête de pouvoir insatisfaite.
A ce égard tuer ne répond à rien et ne suffit plus** .Eric Furter
*cf la lecture de l’article sur pierre Brasseur dans son blog polar ;
** voire la solution proposée par Flore Vasseur dans son roman « Comment j’ai liquidé le siècle » édition de l’ Equateurs, février 2010) « liquider le monde des chiffres (alors que l’on est trader n’est-il pas le seul moyen de recouvrer sa vie d’homme ?».
Écrit par : Furter Eric | 21/03/2011
Les commentaires sont fermés.