14/03/2012
Le chasseur de lucioles, de Janis Otsiemi
Une chronique d'oncle Paul.
Il me semble que, en premier lieu, je dois vous préciser ce qu’est une luciole. Contrairement à ce que vous pourriez penser, la luciole n’est pas un insecte, de son nom latin Lampyridae. Ce n’est pas non plus une chanteuse française, un personnage de manga ou encore le nom du service de transport circulant uniquement de nuit dans l’agglomération nantaise.
La luciole est une tuée-tuée, une katangaise, en parler imaginé local gabonais. En France, on dirait, si l’on veut faire montre de courtoisie, une respectueuse, une hétaïre, une courtisane, une fille de joie, une belle-de-nuit ou une belle-de-jour, une péripatéticienne, si on emprunte à la langue verte, une gagneuse, une tapineuse, une morue, une greluche, une pétasse, une horizontale, une catin, en un mot une prostituée. Le résultat est le même mais le prix diffère selon les appellations, c’est comme tout, le haut de gamme et le bas de gamme, le produit de marque, le produit distributeur et l’économique.
La découverte du corps d’une prostituée dans un motel de Libreville ne pourrait être qu’un incident mais la façon dont elle a été tuée pose de sérieux problèmes au capitaine Koumba et à son adjoint Owoula. La fille a été salement amochée et une bouteille sectionnée enfoncée dans son vagin. C’était, selon les informations recueillies auprès de ses consœurs, une free-lance, c’est-à-dire qu’elle n’avait aucun compte à rendre à un maquereau quelconque. Mais il est difficile de découvrir son identité car toutes se font appeler par des prénoms d’emprunt. Les deux hommes et les policiers affectés à l’enquête n’ont pas le bout d’un commencement de début de fragment d’embryon de petit peu de pas grand-chose de morceau de piste sur les motivations du tueur et par la même d’en définir le profil. D’autant que quelques jours plus tard, un deuxième meurtre est perpétré dans les mêmes conditions, dans un autre motel, puis un troisième. Ils établissent des recoupements et réussissent à mettre en évidence que toutes ces défuntes sont d’origine camerounaise. S’agirait-il d’une vengeance ethnique ? Ils ne sont pas loin d’envisager cette hypothèse. Toutefois cette avalanche de meurtres instille un début de panique, de psychose générale parmi la population locale.
Pendant ce temps, suite à la découverte d’un corps masculin sur la plage, la Direction Générale des Recherches est elle aussi confrontée à un autre problème. L’homme faisait partie de l’armée, il était en retraite, mais il trainait derrière lui une casserole, une affaire de vols d’armes dans laquelle il pourrait être impliqué. Un peu plus tard, un fourgon de transport de fonds est braqué, et une grosse somme d’argent est subtilisée. Boukinda et Envame, les enquêteurs, n’ont eux aussi guère de grain à moudre, sauf peut-être lorsque le corps d’un nommé Sisko est retrouvé quelques balles dans le corps, balles provenant d’une des armes volées. Il leur faut mettre quelques indics sur le coup, afin de retrouver les voleurs et surtout le butin.
Janis Otsiemi se plonge avec délices dans cette double enquête qui nous renvoie aux bons vieux polars français qui maniaient l’argot avec bonheur, mais également dans certains romans noirs américains écrits par les petits maîtres du genre. Mais il apporte sa touche personnelle en incluant maximes et aphorismes imagés en tête de chapitre ou dans le corps même du récit. Ainsi Si des chèvres lient amitié avec une panthère, tant pis pour elles. Mais Otsiemi ne se contente pas de narrer une histoire. Il montre du doigt des problèmes qui ne sont pas réservés au Gabon, mais à une grande partie des pays africains et que l’on pourrait étendre à l’Europe. Le Sida (Syndrome inventé pour décourager les amoureux) est présent. Autre thème encore plus réaliste qui suinte dans tous les esprits et se trouve à l’origine de bien des homicides : les rivalités ethniques. Le tribalisme doublé du népotisme, du clientélisme et de l’allégeance politique est ici un sport national, tout comme le football l’est au Brésil. Plus qu’une chasse aux sorcières, l’épuration ethnique est légion dans toute l’administration gabonaise. Certains ministères étaient même réputés être la propriété d’une certaine ethnie. Vive la république tribaliste !
Comment voulez-vous qu’un pays qui connait des divisions internes à cause de l’appartenance de certains à des peuplades différentes connaisse la paix intérieure et extérieure ? Et on pourrait étendre ces réflexions à des partis politiques qui placent leurs hommes liges aux postes clés indépendamment de leurs qualités. Sans oublier les dissensions religieuses qui pourrissent les relations entre les hommes.
A lire, du même auteur : La vie est un sale boulot et La bouche qui mange ne parle pas chez le même éditeur.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Une autre chronique a été publiée sur ce roman. Celle-ci est de Christine.
Le chasseur de lucioles
Janis OTSIEMI
Editions Jigal (Polar)
(et quelle très jolie première de couverture!!)
204 pages ; 16 euros
Présentation de l'éditeur
À Libreville, une prostituée est découverte sauvagement assassinée dans un motel de la périphérie. Les agents de la PJ - de fidèles abonnés des bordels de la capitale - pensent tout d'abord à un crime de rôdeur... Quand une seconde fille est retrouvée égorgée dans un autre hôtel du quartier, les policiers sont encore loin d'imaginer qu'ils ont affaire à un client bien décidé à nettoyer la ville de toutes ses lucioles... Celui qui te veut du mal la nuit a commencé à t'en vouloir le jour. C'est dans ce climat de psychose générale que les gendarmes de la DGR enquêtent de leur côté sur le braquage d'un fourgon de la Société Gabonaise de Sécurité dont le butin de plusieurs millions de francs CFA attise bien des appétits...
08:51 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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