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09/04/2012

Shangaï connexion, de Romain Slocombe

shangai_connexion.jpgUne chronique de Catherine/Velda

Romain Slocombe est un créateur prolifique. Photo, BD, dessin, roman : il a laissé sa patte dans tous ces domaines, avec talent toujours, de façon inoubliable parfois. Shanghaï Connexion, qui vient de sortir chez Fayard noir, fait assurément partie de la dernière catégorie. Troisième volet d'une trilogie baptisée "L'océan de la stérilité", ce roman extrêmement singulier sait jouer sur plusieurs registres, du quasiment burlesque au profondément tragique, et laisse son lecteur pantelant à force de changements de narrateur, de tons et de points de vue, de coups de théâtre et surtout après une progression dramatique qui aboutit à une gravité profonde et à une émotion intense.
 

Shanghai connexion démarre à Londres en janvier 2003. Amanda vient de tomber amoureuse d'un vieux briscard de la photographie qu'elle est venue interviewer - elle est journaliste. C'est le début de l'idylle, le couple prend le train pour regagner Londres après avoir passé la nuit chez Amanda, en proche banlieue. Et c'est le drame, une bombe terroriste tue l'amant et blesse grièvement Amanda. Amanda, qui n'est autre que la sœur de Gilbert Woodbrooke, le héros récurrent de la série de Slocombe. Quadra, versant avancé, divorcé, père de deux enfants, Gilbert n'est pas encore tout à fait sorti de l'adolescence. Il vit en colloc à Hampstead Heath, quartier hyper bobo de Londres, dans un appartement où il se cache de ses créanciers. Il apprend la nouvelle, et c'est la panique... et le début d'une folie narratrice formidablement maîtrisée par Romain Slocombe.
 On retrouve bientôt Gilbert à Lyon, où il joue les jurés pour un festival de films underground qui va donner à l'auteur l'occasion de s'offrir quelques pages hilarantes qui sentent le vécu. Mais c'est quand le passé fait irruption dans l'histoire que l'atmosphère s'épaissit et se dramatise. Deux résurgences de l'histoire, la grande histoire et l'histoire personnelle de Gilbert, vont tour à tour donner à ce roman toute sa force. On fait la connaissance d'un certain Gordon Woodbrooke, grand-père de Gilbert, à travers son journal de bord tenu en 1941, où il raconte le sort réservé aux 6000 juifs polonais réfugiés au Japon pour fuir l'oppression nazie, puis forcés à continuer jusqu'à Shanghaï pour échapper aux Japonais... C'est ensuite la jeune Gabrielle, résistante à Lyon, qui prend la parole pour raconter sa terrible histoire, qui la conduira jusqu'à Ravensbrück. Un texte qui fait preuve d'un rigoureux travail de documentation, mêlant avec élégance et virtuosité fiction et histoire sans que jamais la première n'enlève à la seconde son poids, ce poids qui pèse encore si lourd sur notre monde... Le romancier crée des liens subtils d'une époque à l'autre, d'un monde à l'autre.

L'histoire familiale du héros, celle de l'auteur aussi, lui permet de ramener au sein de notre monde contemporain ce monde finalement pas si lointain, d'aller chercher dans le passé des points de passage qui nous touchent directement, et de ramener de nos jours, par le biais d'une péripétie particulièrement éprouvante que je vous laisse le soin de découvrir, les vestiges d'un passé porteur de mort.

Un vrai tour de force que ce roman qui sait mêler légèreté, humour noir, dérision, tout en nous entraînant vers les profondeurs... On dit souvent de certains romans qu'on a aimés qu'ils ne vous quittent plus une fois la dernière page tournée. Avec Shanghai Connexion, la formule est pleinement justifiée.

Catherine/Velda (le blog du polar)


 Shanghai Connexion,
Romain Slocombe,
Fayard noir
544 p
22,30 €

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