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03/12/2012

La nuit des albinos, de Mario Bolduc

bolduc.jpgUne chronique de Richard.

 Mario Bolduc est un de mes auteurs favoris. Chacun de ses romans est l’occasion de découvrir un monde, des événements réels, des atmosphères étranges; son intrigue se place dans un contexte politique ou social, dans des pays souvent mystérieux et même dans des situations provoquées par une certaine violence. Les polars de Mario Bolduc sont des occasions d’apprentissage, des plaisirs de lecture qui font appel à la curiosité du lecteur et à son sens de la découverte. Les romans de Mario Bolduc n’ont qu’un seul défaut ! Ils se font rares !

Et à la lecture de ceux-ci, on comprend pourquoi.

«Cachemire» publié en 2004, son premier roman, nous présentait son personnage principal, Max O’Brien, un escroc de haute voltige, toujours à l’affut du coup fumant qui lui rapportera le plus. Plus Robin des Bois que criminel notoire, il s’attaque aux riches et par une certaine forme de morale très personnelle, il est épris d’un sentiment de justice qui le place au centre d’enquêtes dans lesquelles il se mouille avec passion. Spécialiste du prête-nom, de la fausse identité, recherché par la police, il enquête sans moyen autre que son intelligence et sa perspicacité.
Cette première intrigue place Max au centre d’une Inde en pleine «guerre froide» avec le Pakistan, dans un climat explosif d’armes nucléaires ... Passionnant !

Dans son deuxième roman, «Tsiganes», l’auteur nous plonge dans la Roumanie d’après Ceaucescu. Max O’Brien est à la recherche de son ami, accusé des meurtres de Romanichels dans un squat où il aurait mis le feu. Ce roman est un des meilleurs que j'ai lu au cours des dernières années.

Et enfin, Max nous revient dans ce troisième roman «La nuit des Albinos», au coeur de la Tanzanie, de Dar es-Salaam à Bukoba, sur les bords du lac Victoria. Toujours amoureux de Valéria Michieka, l’avocate tanzanienne, il apprend son assassinat et celui de Sophie, la fille de Valéria. Il n’en faut pas moins pour que Max se mette à la recherche de l’assassin de celle qu’il aime encore, malgré leur séparation.

Sa quête de la vérité lui fait découvrir une Afrique résolument tournée vers la modernité mais encore marquée par ses croyances et ses superstitions. La Tanzanie (un fait véritable découvert en 2007) tente de mettre fin à un commerce inhumain, le massacre des Albinos, ces Noirs à la peau blanche à qui l’on prête des pouvoirs surnaturels. Partout au pays, les Albinos sont victimes de meurtres, d’enlèvements, de mutilations, dans le seul but d’en faire des objets de culte ou des amulettes.


Valeria défendait ardemment le droit des Albinos, participait à leur protection. Et en même temps, elle militait pour le rétablissement de la peine de mort pour les personnes trouvées coupables de ces horreurs. Sa mort était-elle la conséquence de ce combat ? Pourquoi, juste avant ce double assassinat, sa fille Sophie était-elle venue demander de l’aide à Max ? Qui a profité du million de dollars "durement gagné" par Max pour renflouer la caisse du centre d'aide de Valeria ?


Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, dans une petite ville du Texas, Albert Kerensky, bourreau à la retraite, («Un bourreau qui n’a jamais fait de mal à une mouche ...») expert de l’injection létale, a disparu de son centre pour personnes âgées. Dès sa retraite amorcée, il a quitté sa femme pour habiter cette maison de Huntsville, dans une chambre dont la fenêtre donne directement sur Walls Unit, la prison où il a travaillé durant toute sa vie.

Aujourd’hui, il a disparu ! Roselyn, sa femme, part à sa recherche à travers le Texas, jusqu’à Chicago, en découvrant une facette cachée de son mari, une zone obscure, une découverte macabre qui bouleverse Roselyne. Mais qui était véritablement Albert, son mari ?
Mario Bolduc nous sert un très bon roman alliant une intrigue prenante, une atmosphère angoissante et horrifiante et des personnages crédibles. Cette chasse à la vérité, enfouie sous l’horreur du massacre des Albinos, nous fait découvrir une Tanzanie habitée par certains personnages formés (ou déformés ...) par la guerre faite à Idi Amin Dada, l’ancien dictateur de l’Ouganda. Et tout cela dans un décor fascinant où on se demande comment on peut perpétrer des actes aussi sordides, où on imagine mal les horreurs, résultats de cette terrible «kandoya», un supplice terrible inventé par le corps d’élite de l’armée ougandaise !
Ces allers-retours entre le Texas et la Tanzanie vont évidemment nous transporter quelque part sur la planète, pour nous déliver une finale toute en finesse, en sensibilité mais aussi marquée par la violence et la cupidité.
Dans un style franc et direct, Mario Bolduc nous raconte cette histoire sans ménagement et avec une précision chirurgicale. Il nous montre l’Afrique dans ce qu’elle a de plus laid, de plus inhumain, étouffée entre sa modernité et ses croyances. Mais aussi, dans toute sa beauté ! Et l’Amérique, il ne l’épargne pas ! Mais comme dans ses deux premiers romans, ses personnages nageant dans une certaine ambiguïté, font quand même preuve d’une certaine humanité. Tantôt coupables, tantôt innocents, escroc sympathique ou femme de vengeance, le lecteur est toujours confronté à ces personnages complexes, mais tellement humains.
On ressort d’une lecture comme celle-ci, un peu secoué. Se félicitant d’avoir choisi et lu un auteur qui s’adresse à notre intelligence et à notre sensibilité. Je dirais même qu’on en ressort plus intelligent, du moins moins ignorant. Je vous mets au défi de lire «La nuit des Albinos» sans que vous ayez le goût de consulter un dictionnaire ou une encyclopédie virtuelle. Et peut-être que comme moi, vous consulterez les journaux de l’époque pour confirmer la véritable existence de l’horreur que Mario Bolduc nous fait découvrir.
«La nuit des Albinos» est un excellent polar, d’une justesse incroyable, d’une humanité sensible et réelle. Je vous le recommande sans aucune réserve. Et comme moi, vous deviendrez un «fan» de Max O’Brien ... et de son créateur.

Quelques extraits:
Premièrement, rencontrez donc M

ax O’Brien:
« - Je suis un escroc. Ma spécialité: des milliardaires comme vous, Harris, imbus de leur importance, et dont l’argent brûle les doigts. Les types de votre espèce, je les ai toujours méprisés. Vos discours ronflants, votre générosité de pacotille, vos bonnes intentions dégoulinantes d’hypocrisie, je n’ai jamais pu supporter. Contentez-vous de faire de l’argent, Harris, sans vouloir imposer votre morale de merde à qui que ce soit
«Ils n’avaient rien à se dire, comme si l’importance de ce qu’ils allaient accomplir les laissait sans voix, tout à coup
«La superstition existait sans mode d’emploi
« Ce jour-là, comme d’habitude, Max avait eu envie de se précipiter sur la plage et de crier son nom, de serrer Valéria bien fort dans ses bras, pour effacer les erreurs et les drames, pour l’obliger à le regarder lui, plutôt que de regarder à travers lui, ce qu’elle avait toujours fait.»
"Il s’en voulait de ne pas avoir pris les devants, de ne pas avoir agi quand il en avait l’occasion. D’avoir tenté de jouer au plus malin avec la vie, le destin ignorant volontairement qu’à ce petit jeu nous sommes de vulgaires amateurs, des pions qui se croient les maîtres du damier."

Bonne lecture !


Richard, Polar Noir et blanc

La nuit des Albinos
Mario Bolduc
Expression Noire
2012
414 pages

La page de l’auteur sur le site de Libre Expression

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