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23/11/2015

Entretien avec Morgan Caine

complainte.jpgCassiopée. Dans votre roman  La complainte des filles de Lot, vous avez choisi de parler d’un sujet grave : la pédophilie en donnant un regard sur les victimes mais aussi sur les bourreaux , pourquoi  cette double approche ?

Morgan Caine. Comme tout le monde, je n’éprouvais de compassion, voire de compréhension, que pour les victimes. Et même pour ces dernières, c’était un sentiment de surface, sans connaissance réelle du sujet. Une nuit d’insomnie, je suis tombée sur un documentaire sur l’action de l’association l’Ange Bleu. Sa fondatrice, Latifa Bennari, elle-même une ancienne victime de pédophile, assure une sorte de SOS détresse indifféremment pour les pédophiles et leurs victimes. Elle considère, très sagement, que c’est trop facile de détourner les yeux, de ne pas aider ceux qui luttent contre leurs terribles pulsions, autant que les victimes, condamnées à la honte et la solitude. Cela m’a fait un électrochoc. Question d’honnêteté intellectuelle, en quelque sorte.

Cassiopée. Vos personnages sont-ils inspirés de gens que vous connaissez, de gens évoqués dans des faits divers ?

Morgan Caine. En effet, en tout cas dans la réflexion, Meredith Walsh est inspirée de Latifa Bennari. Le personnage de Ryan Webber est hélas directement calqué sur Sir Jimmy Savile, une ancienne star de la BBC, qui animait notamment Top of the pops, et profitait de son action caritative dans les hôpitaux pour enfants pour s’adonner à ses monstrueux instincts, en toute impunité, pendant plus de quarante ans. Le scandale ne fut révélé qu’après sa mort. C’est le côté cathartique du roman. Je peux quant à moi, rendre une justice, hélas virtuelle, puisqu’on suppose, à la fin du roman, que Ryan Webber va être poursuivi, en fin de compte.

Cassiopée. Depuis quand, comment et à quel moment écrivez-vous ? Avez-vous des rituels ? Si vous deviez définir l’acte d’écrire en un mot, lequel choisiriez-vous ?

Morgan Caine. J’écris vraiment depuis l’adolescence. Mais quand j’étais enfant, dès six ou sept ans, à la question « que veux-tu faire plus tard ? » je répondais déjà avec beaucoup de certitude « écrivain ». C’est un souvenir très précis dans ma mémoire, avoir eu le désir d’écrire, avant même d’en avoir été capable ! Longtemps, je n’étais capable d’écrire que la nuit, avec une sorte d’illusion que la nuit m’apportait une qualité de silence propice. Maintenant que j’ai la chance de pouvoir en vivre, je m’astreins à une discipline d’écriture quotidienne, et mon temps d’écriture a glissé vers la journée, me laissant la nuit pour « rêver », concocter, méditer, infuser mes histoires. Mais c’est très intéressant de voir que dans tous les arts, la danse, la peinture, la musique, la pratique quotidienne est la condition de l’excellence, et que dans l’écriture, il y a une sorte de mythe, très français, d’une sorte de jaillissement divin, sans nécessité de travail. Je n’ai pas de rituel particulier, sauf peut-être mon thermos de thé vert, que je sirote toute la journée ? Enfin l’acte d’écrire en un mot ? Il n’est pas très joli, mais je dirais « restituer ». Restituer les âmes, les situations, les émotions, mais aussi plus simplement des paysages, des couleurs, des odeurs.

Cassiopée. Quels sont vos auteurs de prédilection ? Vous inspirez-vous de leur style ?

Morgan Caine. Mes goûts sont assez classiques. Très longtemps, mon auteur préféré a été Victor Hugo. Pour le souffle, l’engagement, l’humanité. Maintenant, avec le recul, je pense que Balzac est bien plus puissant, car plus subtil dans l’analyse sociétale. Et bien sûr, Camus, sans réserve. Je sais, je ne suis pas très moderne ! J’aime beaucoup la langue d’une Françoise Chandernagor, ou d’une Eve de Castro. « Nous serons comme des dieux », extraordinaire ! Rayon polar, je suis une inconditionnelle de Vargas, qui a aussi sa musique bien à elle, une façon très personnelle de construire des récits. C’est un peu ce que je me reproche. Je trouve mon style trop impersonnel, je n’ai pas le sentiment qu’on peut me reconnaître dès les premières lignes. J’imagine que cela s’affirmera avec le temps, ou bien avec d’autres personnages. J’envisage d’écrire une nouvelle série, de créer un nouvel univers, sans pour autant abandonner Red et Jordan, bien sûr ! Un jour, quelqu’un m’a fait remarquer qu’avant tout, « Les Misérables », c’est un polar… Je rêve donc d’un jour être capable d’écrire une œuvre qui sache allier le meilleur du fond et de la forme. On a le droit de rêver, non ?

Cassiopée. Pensez-vous qu’au rayon polar, les auteurs ont un type d’écriture particulier selon leur pays ?

Morgan Caine. Sans doute, mais hélas, le souci, c’est que pour le goûter véritablement, il faudrait être capable de lire dans la langue originale, chaque fois. Certains traducteurs font un travail formidable pour essayer de restituer le caractère « impressionniste » d’une écriture, mais chaque langue a une petite musique qui ne résonne que pour celui qui la comprend.

Cassiopée. Lorsque vous écrivez, qu’avez-vous envie de susciter chez le lecteur ?

Morgan Caine. Ne vous moquez pas, mais j’ai envie de le faire pleurer comme une madeleine ! J’ai tellement de souvenirs, enfant, d’avoir pleuré à chaudes larmes en lisant que je voudrais y parvenir avec mes propres écrits. Faire sourire, aussi, et provoquer une réflexion derrière l’émotion. Quand les commentaires de mes lecteurs évoquent cela, cela me fait infiniment plaisir. Je me dis : « Bon boulot ».

Cassiopée. Etre éditée uniquement en numérique, n’est-ce pas un peu frustrant ? On ne peut pas aller à la rencontre de ses lecteurs comme dans les salons du livre….

Morgan Caine. Un peu, certes, mais en même temps, le lectorat que j’ai réussi a touché, plus de 27 000 lecteurs en un an et demi est une chose que je n’aurais sans doute pas réussi par le biais du papier, dont la distribution est beaucoup plus lourde. Et j’avoue qu’en tant que lectrice, je n’éprouve pas le besoin de rencontrer un auteur dont j’ai aimé le livre. C’est une chose assez unique, en art, que cette distance, qui n’empêche pas le sentiment d’intimité. L’auteur, contrairement au chanteur, ou au comédien, n’a pas besoin de se brûler au contact de son public, de son lectorat. Je reconnais que c’est confortable, et que cela va bien à mon caractère, qui est plutôt solitaire.

Cassiopée. Comment avez-vous connu Rokh éditions ?

Morgan Caine. Le plus simplement du monde. Ce sont des amis. J’avais plusieurs manuscrits dans mes tiroirs, qui trainaient depuis des années. Un jour Laure, Lisa et Marie, me disent : « Laisse-nous faire, après tout, qu’est-ce qu’on risque ? ». C’est aussi l’avantage du numérique, à part du temps, il n’y a pas d’investissement financier lourd. C’est comme ça qu’a été publié « Quiconque te fera du mal », et que Rokh Editions a été créé, un peu sur un coup de tête. Après, comme cela a marché, Rokh Editions a pu continuer, et publier d’autres auteurs. J’ai donc contribué à la création d’une nouvelle maison d’éditions, autant qu’elle a contribué, par son travail de marketing et de communication, au succès grandissant de mes autres publications. Il y a un côté presqu’associatif dans la relation que j’ai avec mon éditeur, et avec les autres auteurs de la maison. Nous sommes tous amis. Il n’y a jamais de conflits, et le maître-mot, c’est « pas de prise de tête ». C’est peut-être pour cela que ça marche ?

Cassiopée. Avez-vous d’autres romans en cours ?

Morgan Caine. J’ai plusieurs nouvelles aventures de Red et Jordan déjà en tiroir, qu’il faut cependant que je retravaille, comme je l’ai fait pour « La complainte des Filles de Lot ». Autant « Quiconque » et « Ce qu’on fait sans plaisir » sont pratiquement restés tels quels, autant « La Complainte » a nécessité une réécriture complète, qui a abouti au fait que « Les Filles de Lot » feront au moins deux, voire trois opus. Je suis en train de terminer d’écrire « Et le Châtiment sera de vivre », mais j’ai l’impression qu’à la fin de ce second tome, il y aura encore nécessité d’un troisième, pour boucler définitivement l’histoire. C’est très agréable, pour un auteur, quand votre propre histoire vous échappe, et vous oblige à l’explorer encore davantage.

Cassiopée. Avez-vous un message à transmettre à vos lecteurs ?

Morgan Caine. Merci pour tout. Pour leur fidélité, pour leur finesse d’analyse, pour la compréhension profonde qu’ils ont de ce qu’il y a entre les lignes. Je suppose que c’est rare de se sentir aussi bien comprise par ses lecteurs, dès ses premiers ouvrages. J’espère rester digne d’eux dans les années à venir, et pouvoir continuer à les divertir, tout en les faisant s’émouvoir, s’indigner, réfléchir, et garder les yeux ouverts, toujours.

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