03/01/2016
Un arrière goût de rouille, de Philipp Meyer
Une chronique de Bruno
Pour celles et ceux qui aiment les villes au passé industriel.
[...] De son plein gré au-devant des ennuis.
Vallée de la Monongahela - la Mon' - banlieue de Pittsburgh, Pennsylvanie.
Depuis près de vingt ans, les usines sidérurgiques qui faisaient battre le cœur d'acier de l'Amérique ont été démantelées.
« [...] Certains quartiers maintenaient les apparences, on y ramassaient encore les poubelles, mais d'autres avaient été complètement abandonnés.
[...] La moitié des gens se sont tournés vers les services sociaux, les autres sont retournés chasser et cueillir. »
Dans cette Lorraine des États-Unis où tout a pris Un arrière-goût de rouille, où les anciens sidérurgistes en sont réduits à braconner pour remplir le congèl' et nourrir leur famille, le jeune Isaac et son ami Billy Poe traînent leur désespoir.
Isaac aurait bien voulu faire des études d'astrophysique, il en avait les capacités. Alors il décide de prendre la route vers l'ouest et ses radiotélescopes. Réaliser son rêve.
Les deux jeunes gens n'iront pas bien loin et le rêve s'arrêtera page 35, lorsque Billy et Isaac trébucheront sur le cadavre d'un sdf qu'ils viennent de trucider un peu par accident.
« [...] Pas le premier clodo qu'on trouverait mort cette année. Il y avait eu cet autre dans une vieille maison, en janvier. Mort de froid. Sauf que celui-ci n'était pas mort - on l'avait tué. Pas pareil. Pour celui-ci, ça se passerait pas comme ça. »
Philipp Meyer fait parler de lui en ce moment avec un second roman, Le fils, lauréat de plusieurs prix littéraires. Mais on a préféré découvrir d'abord son premier bouquin, sorti il y a déjà six ans.
Et dès 2009, la renommée de cet auteur n'était pas usurpée : on est rapidement happé par une écriture forte, faite de petites phrases sèches et dures. Une plume faite pour décrire les âmes en peine qui errent dans la vallée abandonnée.
Un rythme original, presque poétique, aussi lancinant qu'une sourde douleur, auquel il faut s'habituer mais qui finit par vous imprégner de la sombre ambiance de cet ancien pays industriel aujourd'hui déserté. Des paysages très prégnants presque obsédants où l'on constate à nouveau la proximité des américains avec leur 'nature'.
On passe de chapitre en chapitre de l'un à l'autre, Isaac, Billy Poe, la sœur de l'un, la mère de l'autre, le shérif, le père enfin, ... Une partition à plusieurs voix menée par un chef d'orchestre qui maîtrise parfaitement sa chorale.
Tous sont englués entre des passés que l'on regrette et des avenirs qui n'arriveront jamais. Noir c'est noir. Un p'tit noir serré, plein d'amertume.
Les plus chanceux ont réussi à quitter la vallée de la Mon', comme ils le pouvaient.
Lee, la sœur, en épousant un riche dépressif.
La mère, en se lestant les poches avec des cailloux avant de traverser la rivière gelée.
Nous voici avec ceux qui n'ont pas pu partir et qui sont restés.
« [...] Peut-être aussi qu'elle voulait que ce mariage se termine au plus vite, qu'elle essayait d'accélérer les choses. Non, ce n'est pas ce qu'elle voulait, mais tout de même, mariée à vingt-trois ans, c'était un peu ridicule.
[...] Parce que c'est bien de ça qu'il s'agissait, elle avait deux vies et celle-ci, sa vie dans sa ville natale, c'était celle dont elle cherchait à se débarrasser. »
Ça commence comme un roman social, une histoire d'une banalité à faire peur, mais dont on sent bien qu'elle n'aurait pas pu se dérouler ailleurs que dans cette vallée.
Et puis peu à peu, tout cela vire au roman noir, de ceux où l'on voit très vite que ça va très mal finir, parce que chacun des personnages est celui qu'il ne fallait pas, là où il ne fallait pas, quand il ne fallait pas. Et qu'il a fait ce qu'il ne fallait pas faire.
« [...] Il savait que ça risquait de mal tourner mais il était allé de son plein gré au-devant des ennuis. »
Mieux vaut ne pas être dépressif avant d'ouvrir un roman de Philipp Meyer !
Mais il ne faut surtout pas passer à côté de cette belle et originale plume.
Rendez-vous donc prochainement avec Le fils !
Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR
10:25 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : un arrière goût de rouille, philipp meyer | Facebook | |
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