13/10/2016
La tête de l’Anglaise, de Pierre d’Ovidio
Une chronique de Cassiopée.
C’est avec une écriture au scalpel, un stylo dont l’encre est trempée dans le fiel que Pierre d’Ovidio nous entraine dans un monde de folie. Un univers où le rationnel n’est plus celui qu’on connaît mais un autre, l’autre qui est ton frère, qui te ressemble, qui t’envahit, qui te « bouffe » l’esprit jusqu’à ce que tu ne saches plus qui tu es réellement… C’est ça la vie de Joël, être ou ne pas être soi….
Découpé en chapitres non linéaires, le livre nous permet, par bribes, comme un puzzle, avec un style haché, fait de phrases courtes qui se bousculent, de découvrir le personnage principal : Joël. Le phrasé est rapide, sec, pas besoin de beaucoup de mots pour dire l’essentiel. Dire de Joël qu’il n’a pas eu une enfance facile serait un euphémisme… A-t-il eu seulement le loisir de prendre le temps de grandir, d’appréhender le monde, de passer du statut de petit d’homme à celui d’homme ? Tout s’est précipité, il a « ramassé » sans comprendre pourquoi, sans forcément l’avoir « mérité ». D’abord, son père, on l’appelait « Le Criant », c’est dire la place qu’il tenait dans la famille…La mère, elle, était effacée, comme souvent dans les milieux ruraux où il est préférable de laisser le patriarche décider de ce qui est bon pour tout le monde, parce que c’est lui le maître …. Tant bien que mal, Joël a avancé dans la vie, avec de lourdes « casseroles » qu’il trainait et qu’il traîne encore…. Comment se construire lorsque seuls le silence et la violence ont répondu à vos questions, à vos attentes ? Comment tisser des rapports humains, croire en l’homme lorsque tout a été régenté par la peur ?
Bien sûr, les villageois le connaissent mais ne l’apprécient pas plus que ça…plutôt moins que plus d’ailleurs… Il est bizarre Joël….La kiné qui soigne sa pauvre mère le dit bien, elle n’aime pas trop venir chez eux…. Et voilà que des anglais sont tombés sous le charme d’une vieille bâtisse, pas très loin de chez lui et qu’ils se mettent dans l’idée de recevoir leur voisin, histoire de faire connaissance, comme ça, gentiment…. Comme si Joël comprenait le mot « gentiment »…. Et là, le drame, l’horreur….
Notre homme va se retrouver en garde à vue…A-t-il clairement assimilé ce qui lui arrive ? De sa cellule, il donne des versions différentes, analyse les articles de presse qui parlent de lui, entend des voix, crie au complot, à l’intrigue contre lui, s’invente un monde dans lequel il s’échappe…On le voit s’enfoncer au plus loin dans la folie, celle qui ne vous lâche pas, qui vous tue à petit feu….. Dans ses délires, il « interpelle » la juge, la tutoie, nous met mal à l’aise tant il décrit l’indicible, l’inacceptable avec facilité……
L’auteur nous fait descendre dans les tréfonds de l’âme humaine, là où le noir absorbe tout, envahit la plus petite parcelle d’humanité jusqu’à prendre le dessus et devenir l’essentiel……. Comme lorsque une nuit profonde et sans lune arrive, engloutissant la moindre étincelle, noyant les lumières et l’espoir dans des ténèbres absolues….
La tête de l’Anglaise
Auteur : Pierre d’Ovidio
Éditions : Jigal (Septembre 2016)
ISBN : 979-10-92016-85-7
232 pages
Quatrième de couverture
Très tôt, Joël, garçon taciturne et craintif, a été soumis à l’autorité du Père, une brute expéditive, ancien héros de la Résistance, sous-off’ « efficace » et acharné en Algérie. À sa mort, Joël, un taiseux comme le sont parfois les gens de la campagne, reprend la ferme du Vieux et va se libérer… De sa famille et de tout le reste… Avant de commettre cet horrible crime… Emprisonné et en attente du jugement, il est devenu « le Monstre », celui pour lequel « on » rétablirait bien la torture et la peine de mort…
06:22 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : la tête de l'anglaise, pierre d'ovidio | Facebook | |
Commentaires
Ce qui est inquiétant dans ce livre c'est que l'on se demande à certains moments, et quand on a quelques bases psy, si c'est le personnage principal qui dérive ou bien si c'est l'auteur lui-même qui marche au bord du précipice de la paranoïa. Car il y a beaucoup de cela (figure dévorante du père, figure dévorante des institutions) dans ce texte.
Espérons que l'auteur sera garder raison....
Bien cordialement
Écrit par : Esnault | 08/11/2016
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