09/04/2012
Close-Up, de Michel Quint
Une chronique de Liliba.
Pensiez-vous que je réussirais à ne pas craquer quand est sorti un roman policier dont l’intrigue se déroule à Lille, et qui plus est commis par Michel Quint ?
Je me suis plongée avec délices dans cette histoire, que j’ai adorée de la première à la dernière ligne…
Tout d’abord, chacun des protagonistes de cette histoire a ce qu’on appelle une sacrée personnalité. Octavie est une belle quarantenaire aux yeux violets et à la voix profonde « avec du brouillard dedans, du sanglot et du sang versé » qui en fait chavirer plus d’un, qui devient Miranda dès qu’elle monte sur la scène du Quolibet, une sorte de bar un peu miteux dans le vieux Lille, pour y faire ses tours de cartes et embobiner le public, féminin comme masculin. On découvre son passé au fil de l’intrigue, qu’elle garde assez secret vis-à-vis de ses collègues de travail, et on sent chez cette femme magnifique et au fort caractère, des blessures intimes pas encore refermées, et l’envie d’en découdre, de ne pas se laisser marcher sur les pieds, manipuler.
« Le Quolibet, cabaret-bar, musique, attractions diverses, vedettes internationales de la télévision. Derrière le battant, on se tape le nez dans une sorte de grande muleta de velours cramoisi qui pend là, juste contre, pour museler le froid au bord d'un court couloir éclairé faible par les photos sous cadres luminescents des artistes présents ou passés dont le génie relève le magnétisme du lieu. Puis on donne encore du front dans un autre chiffon doux, comme ces bêtes taureaux des dimanches, et nous y voilà.»
Quant elle va se retrouver face à face avec Bruno, PDG d’une grosse société immobilière de la région, mais qui fait des affaires à l’étranger également, sa décision sera vite prise, une fois qu’elle l’aura reconnu. Car cet homme est lié à son passé, à une histoire noire qu’elle ne peut pas oublier bien qu’elle ait tenté de changer de vie, à la vie d’un homme qu’elle a aimé, à une période où elle a été heureuse… Miranda la belle va tenter de prendre sa revanche.
« Ce soir, pas long après la Toussaint, quand les larmes écloses au bord des tombes n'ont pas encore séché aux joues mais que le parfum des fêtes allume déjà l'œil, marché de Noël, grande roue sur la place de la Déesse et tout le tralala, elle glisse de son tabouret, et tend le bras, paume ouverte, pour accueillir cinq hommes et une jeune femme blonde qui entrent en secouant la brume de leurs épaules.»
Lui, le bourgeois nanti et sûr de lui, va cependant être subjugué par Miranda et voudra impressionner les gens de son monde. Il l’invite donc chez lui à une soirée, lui proposant de pratiquer dans l’assemblée ses tours de close-up, et de s’adonner à une petite blague… Il est, malgré sa position sociale et professionnelle, obnubilé par les cartes et par ce qu’elles peuvent révéler, et croit dur comme fer à leur pouvoir de divination. Miranda va se lancer dans son numéro de close-up en faisant le grand jeu et en médusant l’assemblée, et ayant découvert cette faiblesse de son hôte d’un soir faire parler les cartes, et lui annoncer sa mort, avant le prochain vendredi 13… qui tombe justement très bientôt.
« Pour lui, l’existence d’un truc ne prouve pas que l’oracle n’existe pas, que le destin est opaque, elle indique qu’on ne maîtrise rien et que le sort a déjà réuni des éléments, y compris la prédiction, qui rendent plausible l’issue fatale. »
Quand Bruno sera attaqué, il repensera bien sûr à la prophétie de Miranda, et c’est vers elle qu’il viendra chercher de l’aide, n’ayant aucune confiance dans ses proches, famille ou amis, elle qui fomentait une juste vengeance...
« Miranda n’en revient pas, qu’il réagisse en paysanne du fond du Moyen Age, en obscurantiste bas-breton, alors oui inutile de le soigner, il est condamné, monsieur se prend pour Jeanne d’Arc, il écoute la voix des cartes, lui un chevalier d’industrie, un cynique qui décide de la vie de centaines d’hommes qui travaillent dans ses sociétés, et tout ce qui va avec, il est là, superstitieux comme plus personne aujourd’hui, et pourtant, elle doit se rendre à l’évidence, il a des motifs de craindre le pire, et sa blessure, même complètement en dehors de ce qui se trame dans le clan Vailland, sa blessure cristallise le danger réel, le matérialise, là, d’un coup. »
J’ai adoré le mélange des milieux, que pourtant tout oppose. Celui de la nuit et de la vie quotidienne un peu pesante, pas gaie, que connaissent Octavie et ses amis du cabaret, et celui de la grande bourgeoise locale dont est issu Bruno, ce fameux clan Vailland, sûr de son pouvoir et de la suprématie de son argent, de sa supériorité et de son autorité à faire que les choses aillent dans le sens qu’ils décident. La scène de la soirée bonduoise est absolument exquise tant on y retrouve tous les codes de ce milieu et de cette banlieue chic de Lille (le Neuilly du coin, si vous voulez). L’intervention de Miranda chamboule toutes les habitudes de ce petit monde, qui ne sait plus vraiment ce qu’il se passe dans cette soirée. Dernière le vernis des bonnes manières, des bijoux de valeur, des robes de couturiers et des vins de prestige, on devine les rancœurs, les haines même, le mal être de bon nombre de ces hôtes pour qui le paraitre est bien plus important que le fond, mais dont la vacuité de la vie (à part faire du fric), parfois, ressort.
« Elle s’arrête au passage dire deux mots à un vieux monsieur, tout blanc de poil, une tête de percheron sournois, les dents aussi et la carrure, les paluches comme des pâturons. [...] Miranda passe ainsi en revue, Henri Vailland, frère aîné d’Éléonore, autre cheval, plus grand que son père, les attaches plus fines, mais la gueule, la gueule, il est carnassier ce bourrin-là, et pas à son aise, mou de partout, sauf du râtelier… »
« Jeanne aussi, la cadette, moins jument, quand même de la race, costaud, en robe longue, vraisemblablement d’un jeune créateur audacieux du froufrou et belge, belge comme son mari, Charles Dierickx, « dans les affaires », exactement du négoce par ci par là, un peu de tout, un maigrelet qui respire peu pour bomber le torse, une tête de jockey de trot, avec écrit margoulin partout sur lui, même dans l’accent à la Brel qu’il n’a pas. »
Cette différence de milieu permet à l’auteur de nous offrir des descriptions de personnages plus que croustillantes et offrant une palette très large de caractère. Aux gens de « la haute », prétentieux, fiers et, disons-le, tous plutôt des sales types ou bonnes-femmes, s’opposent ceux des milieux simples, le verbe haut, le parler rude mais le cœur sur la main. Un rien caricatural peut-être, mais pour ma part, j’ai trouvé ces personnages vraiment attachants, et même souvent touchants.
Ensuite, l’écriture de ce roman est un vrai régal ! L’auteur possède une verve hallucinante, et certains passages reproduisent la gouaille du parler du Nord, mais aussi la chaleur des gens d’ici, leur générosité, leur accueil toujours bienveillant de l’étranger, du nouveau, de celui qui a besoin d’un coup de main. J’ai vraiment retrouvé dans les dialogues, mais aussi dans les descriptions des lieux ou des atmosphères, la région dans laquelle je vis avec bonheur depuis plus de 10 ans. A cela s’ajoute une langue vraiment maitrisée à la perfection. L’auteur joue avec les mots et les phrases, fait chanter son texte et certains passages sont extrêmement poétiques, de toute beauté. Bruno parsème ses phrases de citations latines qui m’ont beaucoup amusée, tandis que les amis d’Octavie parlent patois ou tout du moins une langue un peu argotique. La confrontation des deux est un délice…
« Il fait un temps de crime belge, de noyé repêché dans un canal par un marinier aux cheveux collés de brune. Un temps à boire des fines à l’eau ou des grogs. Un temps d’autrefois. Quand l’interphone bourdonne, oui, qui est là, elle répond c’est moi, elle l’entend rire, l’ouverture à distance se déclenche, elle pousse la lourde porte blindée et entre. »
J’ai adoré de plus cette histoire assez abracadabrante, mais malgré tout vraiment bien construite, avec son lot de rebondissements et de surprises, jusqu’au dénouement final qui m’a beaucoup plu. On ne s’ennuie pas une seconde, j’ai même beaucoup ri à certaines scènes, et été émue à d’autres. Bref, sous le charme, totalement, et je ne peux que vous recommander de vous précipiter sur ce roman policier qui vous fera passer un très bon moment.
Close-Up
Michel Quint
Editions La Branche
Collection Vendredi 13
208 p
15 €
Présentation de l'éditeur
Au Quolibet, un cabaret miteux de Lille, Miranda fait un numéro humoristique de voyance. Un soir, elle reconnaît dans le public un important promoteur qui lui a causé du tort autrefois. Décidée à se venger, elle lui prédit sa mort avant le vendredi 13. L'homme est très vite victime d'une tentative de meurtre. Poursuivi, il se réfugie auprès de Miranda pour qu'elle lui prédise le danger à tout instant. Elle se retrouve à le protéger, à risquer sa vie pour ce type qu'elle hait et dont elle souhaite la ruine.
11:24 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |