06/04/2012
Le mur, le Kabyle et le Marin, d'Antonin Varenne (chronique 2)
Une chronique d'oncle Paul.
A quarante ans, Georges Crozat monte toujours sur le ring, affrontant de jeunes boxeurs plein d’allant et de fougue mais manquant d’un peu d’expérience. Georges, surnommé le Mur, ne va pas au tapis si facilement, il ne se couche pas. En jeu, quelques centaines d’euros dont une partie revient à Paolo, son manager soigneur. Accessoirement il est policier municipal et vit seul. Ce qui l’amène à fréquenter des péripatéticiennes, une surtout, Mireille, une Noire opulente. Ce soir là, il a laissé son adversaire s’essouffler puis a gagné son match à l’endurance, dans une salle quasi déserte. Alors qu’il se fait soigner par Paolo, Kravine, un organisateur de combats, puis le Pakistanais, boxeur frimeur et videur, servant éventuellement d’indic viennent le voir. Paki propose une petite affaire rémunérée cinq cents euros. Pas grand-chose, juste tabasser un mec pour une histoire de cocufiage. Malgré son dégoût Georges accepte, quoique la proximité de Roman, un flic de la Criminelle, l’indispose. Il reçoit dans sa boite aux lettres une enveloppe qui contient les billets ainsi que la photo du gars à corriger. Ce sera la première et dernière fois se promet-il, mais une deuxième affaire se présente à lui puis une troisième. Là il ne peut pas. Il s’agit d’un vieil Arabe avec lequel il a une discussion. Son commanditaire a l’air de bien prendre cette défection et lui soumet deux autres contrats. Georges est sur les nerfs et il dépasse la mesure. Il manque d’ailleurs se faire prendre sur le fait par un témoin qui se pointe à l’improviste. Seulement les coups ont porté, trop, car l’une des victimes est retrouvée plongée dans le coma. Et là, stupeur, il apprend que les deux hommes sont des journalistes qui étaient en train d’écrire un livre ayant pour sujet une vieille affaire criminelle remontant à 1974 et mettant en cause un affilié au Front National. Alors que les autres tabassages n’avaient pas eu les honneurs d’être relatés dans les journaux. Il reprend l’entrainement qu’il avait délaissé, à sa manière, en dilettante, afin d’honorer un nouveau combat. Mais il sait sciemment ce qu’il fait, et Roman qui est dans la salle peut sourire, il ne pourra se contenter que d’esquisser un rictus lors du gong final.
1957. Pascal Vérini, vingt ans, employé au service technique d’une fonderie de Nanterre, va bientôt partir à l’armée. Il veut s’engager pour devenir marin et échapper à la traversée de la Méditerranée pour rejoindre l’Algérie qui est en proie à l’insurrection. Son père, émigré italien et communiste n’apprécie pas du tout que son fils entre à l’armée, pour lui la guerre d’Algérie n’a pas lieu d’être. Pascal a une petite amie, Christine, dont le beau-père ne goûte guère cette relation. Durant ses classes, Pascal se montre un peu trop agressif, et ce qu’il redoutait se produit. Il embarque pour l’Algérie et est affecté au secteur Rabelais, non loin d’Orléansville. Dans une DOP, détachement opérationnel de protection. La Ferme, comme a été surnommé l’ensemble de bâtiments qui sert de prison aux prisonniers rebelles. Ce n’est pas pour cela que Pascal va se faire mousser. Au contraire. Tout comme ses copains Chapel et Casta, il ne veut pas participer à ces petits amusements électriques dont se délectent quelques militaires dont Rubio, qui est né dans ce pays en rébellion. Ils sont considérés comme réfractaires, surnommés les Nons. Des supplétifs participent aux travaux d’extérieur dont Ahmed puis le Kabyle. Des Algériens dont l’attachement à la France est parfois mis en doute.
Si les Algériens rebelles, le FLN principalement et l’ALN, ceux qui étaient appelés les Fellaghas, ont été souvent montrés comme des terroristes et les militaires français comme des défenseurs de la nation, le manichéisme affiché se lézarde de plus en plus. La torture n’était pas l’apanage d’un camp, pourtant très longtemps, les journalistes ne jetaient l’opprobre que du côté de ceux qui désiraient acquérir leur indépendance. Il faut avouer que la Grande Muette et les hommes politiques ne pouvaient admettre que dans les rangs des militaires français, certains s’amusassent à de telles exactions. Mais depuis quelques années, les auteurs de romans noirs tentent de réhabiliter les vérités historiques. Antonin Varenne a puisé dans la mémoire paternelle, et s’il s’agit d’un roman, on peut affirmer que certains passages sont véridiques. Le talent de l’auteur faisant le reste. Entre 1957 et 2009 (je ne sais pas pourquoi le premier chapitre indique 2008, surement une coquille, puisque les autres sont tous datés de 2009), le destin de deux hommes, qui va se catapulter, s’entrecroiser, se réunir autour d’un troisième homme, est décrit parfois d’une façon poignante. Antonin Varenne utilise une écriture saccadée, des phrases qui giclent en rafales, comme sorties d’une mitrailleuse, qui s’avère efficace et procure une émotion trouble, surtout pour ceux qui ont connu cette époque. De près ou de loin.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
A lire : une autre chronique sur ce livre, celle d’Eric.
Le mur, le Kabyle et le Marin.
Antonin VARENNE
Collections Chemins Nocturnes.
Editions Viviane Hamy.
286 pages.
18€.
04:38 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |