20/12/2012
Les visages de l'humanité, de Jean-Jacques Pelletier
Une chronique de Richard.
«L’exploitation de la bêtise n’est pas à la portée du premier imbécile venu.» (Yvan Audouard)
Fascinant !
Diaboliquement contemporain !
Inquiétant, même, par ses possibles vérités !
«Les visages de l’humanité» de Jean-Jacques Pelletier est un véritable «tourne-pages». Un thriller haletant dans lequel le lecteur s’engage à ses risques et périls ... Risques de nuits de sommeil plus courtes, périls sournois de son imaginaire à la lecture de ses journaux préférés.
Oui ! Car lire du Jean-Jacques Pelletier, c’est se retrouver devant ses quotidiens préférés et se faire plonger entre l’encre et le papier, au coeur même des actions, au centre de la pensée de ces acteurs. Lire du Pelletier, c’est dépasser le premier niveau de l’information et se retrouver dans un deuxième ou même un troisième niveau où nous avons accès à ce que les politiciens, décideurs, agents économiques et autres leaders d’opinion ne disent pas mais pensent réellement. Lire du Jean-Jacques Pelletier nous immerge dans un monde d’inférences et de possibles, de fausses vérités et de vrais mensonges. Et l’imaginaire de l’auteur est fertile. Son talent est grand pour nous faire douter ... jusqu’au moment où on se dit ... Et si c’était vrai ?
Et lire du Jean-Jacques Pelletier demeure un défi pour le blogueur, devant son ordinateur, à se poser la question: «Mais comment je fais pour résumer ce roman ?» Et comme j’ai le goût du risque et sans vouloir trop révéler «les» intrigues, je me lance donc sur la corde raide et je traverse le ravin ...
Une série de meurtres crapuleux ont lieu dans différents pays du monde. Tous les morts sont retrouvés dans des «body bags», le visage des victimes est arraché et tous, ont un sachet de thé dans la main. Ces meurtres sont revendiqués par un groupe anti-musulman qui se fait appeler les «Tea-Baggies», référence à peine cachée à la philosophie politique du «Tea Party» américain. Leur objectif, implanter une certaine Loi du Talion ! Pour chaque attentat terroriste, pour chaque mort due à une action terroriste islamiste, les «Tea Baggies» tueront un musulman. N’importe lequel, au gré du hasard !
Au même moment, à Montréal, un membre influent du groupe «Gaz de Shit» est assassiné. Cette association, luttant contre l’exploitation des gaz de schiste, regroupe différents intervenants écologistes: journalistes, scientifiques, militants écologistes et Victor Prose, écrivain de son état, personnage principal des romans de Pelletier et possiblement, son alter ego. Victor Prose est vite soupçonné par le nouveau chef de la police Dallaire et son directeur du bureau des enquêtes, l’incompétent Francis Huntell. Victor Prose sera appuyé par sa nouvelle amante, la très mystérieuse Natalya, spécialiste de la fabrication d’images et aussi, par extension, tueuse professionnelle.
Victor Prose reçoit rapidement l’aide de son ami Gonzague Théberge (l’autre personnage récurrent de Pelletier), ex-inspecteur de police, à la retraite et lui aussi, soupçonné de quelques méfaits. Et pour compliquer les choses, la femme de Théberge est victime d’un attentat à l’entrée d’une maison d’accueil pour femmes musulmanes en difficulté où elle fait du bénévolat. Théberge l’accompagnera dans ce coma profond, en étant près d’elle et en lui racontant toutes les péripéties de l’enquête ... et de l’actualité. Ces quelques moments d’intimité entre l’ex-policier et sa femme profondément endormie donneront lieu à quelques scènes vraiment touchantes.
Parallèlement à ces deux histoires, le récit nous amène un peu plus loin dans notre visite du monde contemporain des grands décideurs, des leaders d’opinion et aussi, des architectes, metteurs en scène d’événements qui peuvent changer la face du monde. Une galerie de personnages assez particulière où vous ferez la connaissance d’un collectionneur de visages, d’une sénatrice américaine candidate à la présidence, d’un chirurgien maniant le bistouri avec habileté, des décideurs influents qui conseillent les politiciens et les grands de ce monde et un propriétaire d’une chaine de journaux et de télévision qui manipule l’information.
Et vous retrouvez toutes ces personnes, au-dessus d’un gigantesque castelet mondial, manipulant les cordes des marionnettes pour jouer une pièce de théâtre dont la seule motivation est l’avidité, le pouvoir et la possession. Sur la petite scène, se démêlant dans les fils, les Arlequin, Scaramouche et Matamore jouent le jeu diabolique de ces penseurs du monde. Volontairement ou non.
Comment Victor Prose et Gonzague Théberge, aidés par Natalya, réussiront-ils à démêler cet écheveau dans lequel ils se font ficeléer? Entre leurs séjours en prison et les interrogatoires, entre la logique loufoque et tordue des dirigeants de la Police montréalaise, ils sauront, comme à leur habitude, trouver les hypothèses de solution autour d’un bon repas et de quelques bouteilles de grand cru. In vino veritas !
Voilà donc, par la petite lorgnette de la lunette d’approche, une infime partie du complexe récit de ce roman foisonnant. Le lecteur sera avisé de se faire un petit tableau des personnages présents. Dans sa générosité proverbiale, tant en personnages qu’en nombre de pages, l’auteur peut parfois nous perdre dans cette galerie de personnages un peu semblables par leur cupidité mais tellement différents dans leurs passions.
L’écriture de Jean-Jacques Pelletier séduit par sa force et sa complexité; dialogues percutants, articles de journaux, topos télévisuels, SMS, courriers électroniques, tous les éléments modernes trouvent leur place dans le développement de l’histoire.
Le lecteur attentif sera parfois désorienté, un peu perdu dans les différentes intrigues. Heureusement, quelques pages plus loin, rassuré, il retrouvera son chemin grâce aux petites roches semées par l’auteur qui le guide et le ramène dans sa compréhension du récit. Le monde de Jean-Jacques Pelletier est complexe, parsemé d’embûches mais tellement passionnant.
On ressort de cette lecture, un peu sonné ! On ne lit plus les journaux avec la même innocence. Qu’est-ce qui nous dit qu’il ne se cache pas un Jean-Jacques Pelletier démoniaque derrière ces articles et ces informations ?
Alors, n’hésitez pas à vous embarquer dans «Les visages de l’humanité» pour un voyage aux pays de la manipulation, de la vengeance et de la corruption. Washington, Montréal, Paris, Québec et Brossard, vous retrouverez sur cette route le presque quotidien de nos journaux actuels. Mais en mieux ? Est-ce que le monde de Jean-Jacques Pelletier serait plus réel que la réalité ?
En lisant les remerciements de l’auteur à la fin du roman, on se le demande bien. «La bêtise jacassante et militante» demeurera toujours une source inépuisable.
Quelques extraits:
Une théorie sur le pouvoir des médias:
« - Pour neutraliser la capacité de nuisance des gens, il faut deux choses. La première est de les laisser s’exprimer, pour qu’ils puissent défouler. Ils appellent ça se sentir libre.
- Et la deuxième ?
- Leur fournir des opinions simples et amusantes qu’ils peuvent répéter sans même sans rendre compte. C’est ce qu’ils appellent dire ce qu’ils pensent.»
«La première balle acheva l’explication.
Les cinq qui suivirent n’apportèrent rien de plus. Il se trouvait que l’arracheur de visages était profondément pédagogue. Il savait que, pour qu’une explication pénètre l’esprit de son interlocuteur et qu’elle soit assimilée en profondeur, il était préférable qu’elle soit répétée.»
« Écrire, c’était pour lui comme tirer sur un fil qui dépasse. Plus il tirait, plus le fils s’allongeait, entraînant avec lui d’autres fils.»
« Coma profond ... Ça ne peut pas être bien grave. Il y a des hommes politiques qui sont dans un coma profond depuis des dizaines d’années et ça ne les a pas empêchés d’être régulièrement réélus ... Pourquoi est-ce que toi, il fallait que tu tombes sur une sorte de coma qui te cloue au lit ? Remarque, coma pour coma, à choisir ... Toi au moins, tu as la chance de pouvoir en sortir.»
Bonne lecture !
Richard, Polar Noir et blanc
Les visages de l’humanité
Jean-Jacques Pelletier
Editions Alire
2012
556 pages
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Le site de l’auteur: http://jeanjacquespelletier.com/
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