08/05/2013
George PELECANOS présente : Washington Noir.
Une chronique de Paul.
Dans leur excellente collection Asphalte Noir, consacrée à une ville (sauf Haïti qui représente la moitié d’une île), deux cités états-uniennes ont déjà eu les faveurs d’une anthologie : New-York avec Brooklyn Noir et Los Angeles. Omettre la capitale des USA eut été impensable ! Et il ne restera plus qu’à attendre la publication, si elle est prévue, de La Nouvelle-Orléans Noir et de Chicago Noir. Il existe une telle diversité que chaque ville abordée possède son propre thème, son propre univers, sa propre ambiance, des atmosphères qui lui sont singulières.
Aux commandes de ce nouveau recueil George Pelecanos, qui en tant que natif de Washington connait bien sa ville et ses dessous, et sait en parler dans ses romans. Dans sa présentation il nous donne à voir les deux faces de la capitale. L’une brillante, celle des rupins, des Washingtoniennes, qui s’inquiètent de l’ordonnancement des réceptions et du nombre d’invités à déguster les petits fours, ou du nouveau prof de musique de leurs bambins. L’autre terne, celle des petites gens, ceux qui vivent misérablement dans des quartiers atteints de décrépitude. Un peu comme si pour les touristes, il n’y avait que les quartiers parisiens du VIIIème et du XVIème arrondissement, les XIVème, XVIIIème ou XIXème étant occultés.
Et il entame les débats avec L’indic de confiance, l’histoire de Verdon, fils d’un vétéran du Vietnam, qui pour gagner un peu d’argent sert d’indic, principalement auprès de l’agent Barnes. Et lorsque Barnes lui demande des renseignements sur Jenkins, un petit malfrat qui vient de se faire abattre, Verdon pense pouvoir centupler et plus la mise. Car s’il n’était pas aux premières loges, Flora, la copine de Jenkins et Leticia, la tante du défunt, connaissent l’identité du tueur. Mais le résultat n’est pas à la hauteur de ses espérances, loin de là.
Kenji Jasper, que les lecteurs français ont découvert avec le roman Noir paru aux éditions du Serpent à plumes en février 2002, nous délivre un texte dur et attendrissant, mettant en scène des ados dans Première fois. Difficile de rester insensible à cette première fois dans la vie d’une petite bande de jeunes loubards, principalement du narrateur qui s’exprime à la deuxième personne du singulier, comme si le lecteur était le héros malheureux d’une arnaque. Car lorsque Butchie lui propose de récupérer pour lui argent et drogue au domicile de quelqu’un qui l’a floué, notre héros malgré lui ne sait pas qu’il est le jouet d’un individu qui a fait exprès de perdre au billard pour lui confier une mission.
Jennifer Howard, ou plutôt sa narratrice, décrit le quartier, A l’est du soleil, où elle vit en compagnie de son mari Dave et de ses deux jeunes enfants, Dani et Jack le bébé. Hill East, non loin du Capitol est en déliquescence. Pourtant les prix immobiliers grimpent, tandis que les bars et restaurants ne sont guère présents. Le New Dragon, sensé servir à manger mais plus réputé pour fournir de l’alcool même en dehors des heures régulières, et surtout refuge des toxicos. Le patron est un cas à part. Handicapé moteur il se déplace en chaise roulante tirée par un pitbull. Non loin de chez eux se tient une résidence pour jeunes handicapés mentaux qui chinent des cigarettes lorsqu’ils rentrent de leurs activités. Parmi ces résidents Juanita, une gamine qui fait peine à voir. Lorsque la narratrice trouve une vieille poupée démantibulée logée dans le trou d’un mur, elle aurait mieux fait de la laisser où elle était, plutôt que de la ramener chez elle et d’écrire son adresse sur un bout de papier au cas où.
Peu de noms connus, à par James Grady célèbre pour son roman Les six jours du Condor (devenu au cinéma Les trois jours du condor, mais on sait que l’industrie cinématographique aime les raccourcis), et Laura Lipmann qui commence à se faire une place en France.
Restons en compagnie de Laura Lippman justement et intéressons nous à son texte : La Femme et l’Hypothèque. Sally Holt possède un don, celui de savoir écouter son interlocuteur, quel que soit l’âge ou la condition de celui-ci. Ce qui l’a profondément aidée dans son avenir familial et relationnel. Ses capacités, elle ne les exerce pas sous les ors diplomatiques ou politiques, mais dans son quartier petit-bourgeois. Et elle est toujours prête à emmener ses enfants et ceux des autres aux activités indispensables au bon développement des chérubins. Mais tout se dégrade lorsque Peter son mari lui annonce qu’il va divorcer au bout de dix-sept ans de mariage, et que son avocat lui annonce que le prix de leur maison a plus que quadruplé. Elle désire garder la maison, et il va lui falloir mettre la main à la poche, sérieusement. Si elle entend ce qu’on lui dit, elle n’écoute pas vraiment, sa tête est ailleurs, et quelques années plus tard, elle apprend par son comptable que la sur-hypothèque lui coute les yeux de la tête, et plus. Il ne lui reste plus qu’à trouver quelqu’un qui va l’aider à sortir de l’ornière dans laquelle elle est embourbée. Elle se découvre une âme de femme rouée et roublarde.
Changeons de quartier avec Lester Irby, qui pour la petite anecdote a passé trente ans en prison pour braquages de banques et deux évasions. Dans Dieu n’aime pas les trucs moches, en 1970, le corps plantureux de Sarah Ward est retrouvé la tête plongée dans la cuvette des toilettes du Fantasy Night-club, un lieu fréquenté par les représentants de la lie de la société ainsi que par une poignée d’avocats et de politiciens. Sarah a d’abord été violemment battue puis étranglée. Felicia « Fee-Fee » Taylor, née dans une famille presque aisée, dont le père accumulait les heures de travail, raconte comment elle est a dégringolé la pente et son frère Junior avant elle. Comment à quatorze ans elle a perdu sa mère et sa grand-mère, de maladie, et son pucelage, de façon naturelle. Puis son entichement avec Zack, chef de bande, amateur de femmes et dont l’amie principale était justement Sarah Ward. Junior aussi est devenu un caïd et l’amant de Sarah. Mais entre le frère et la sœur, les liens qui autrefois étaient fusionnels se sont relâchés, détériorés, car la haine s’est installée entre eux.
Loin des clichés sur la ville de Washington, peuplée de fonctionnaires de l’état, Georges Pellecanos et son équipe nous entrainent dans les beaux quartiers et ceux moins reluisants de la pègre et de la drogue. Les relations interraciales y sont comme partout aux USA, souvent synonymes d’affrontements. Pour mieux vous y retrouver un plan de la cité figure en début de l’ouvrage, découpé en trois parties mais c’est le quart Nord Ouest qui remporte la palme. Et tous les auteurs, seize dont Pelecanos, de cette anthologie ne possèdent en commun que le fait de figurer au sommaire. Quelques auteurs confirmés, mais également un policier, des journalistes, un acteur, un vétéran de la police métropolitaine, un ancien prisonnier ayant purgé sa peine, un ancien béret vert, et des écrivains qui n’attendent qu’un passeport littéraire pour débarquer en France sur les étals des libraires.
Comme à leur habitudes, une playlist figure sur le rabat de la quatrième de couverture, et les curieux ou les mélomanes pourront se rendre sur le site des éditions Asphalte afin d’écouter, entre autres, Salt-N-Pepa, Martha Reeves, The Temptations, Nancy Wilson, Smokey Robinson ou encore James Brown.
Un ouvrage qui est nettement plus intéressant et instructif qu’un guide touristique aseptisé.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
George PELECANOS présente : Washington Noir.
Traduction de Sébastien Doubinsky.
Editions Asphalte.
288 pages. 21€.
11:44 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |