19/05/2013
Noir Linceul, de Mikhaïl W. Ramseier (chronique 2)
Une chronique de Paul.
Tout comme les trois mousquetaires ils sont quatre…
A Langlade, l’une des îles de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, Hyacinthe se remet progressivement du syndrome d’épuisement professionnel (certains préfèrent l’appellation de Burn out, pensant peut-être démontrer qu’ils maitrisent une certaine culture anglo-saxonne oubliant que nous vivons en France. Quant aux dames, je leur précise que ce terme de Burn out ne veut pas dire que les gonades sont de sortie). Il est là depuis un mois, se rend parfois à Miquelon ou à Saint-Pierre, pour le ravitaillement, et il en profite pour trainer dans les rares endroits où il peut côtoyer la civilisation : les cafés. A Saint-Pierre, son port d’attache, c’est Txurio, où il retrouve Mauge, le patron-pêcheur propriétaire d’une usine de traitement du poisson. Il a fait aussi connaissance de Kikoïne, un Sibérien égaré, ou encore Félix, le gendre du patron du Consul, un hôtel restaurant. Félix est barman, serveur, groom, homme à tout faire, et il boit pour oublier ses démêlés avec Jean-Charles son beau-père de patron. Avec Françoise, sa femme, c’est souvent la soupe à la grimace, la digne fille de son père. Quant à Rolande, la femme de Jean-Charles, elle plie l’échine, elle ne dit rien, laisse faire. C’est une falote. Il n’est bien qu’avec Marie, sa fille, mais il ne la voit pas souvent, car elle est la plupart du temps chez sa nourrice.
Auguste, qui possède un permis temporaire de travail au Québec, doit penser à le renouveler ou à changer de lieu de résidence. Il tient un magasin de vêtements à Québec, un magasin spécialisé dans les habits gothiques, celtiques, mythologiques ou même de pirates, avec des accessoires du même acabit. Mais il n’est plus vraiment attiré par le Nouveau Monde. Trop Ricain à son goût. Auguste est un grand voyageur, ayant surtout parcouru l’Asie en tous sens. Alors il cherche, éliminant peu à peu les diverses possibilités qui s’offrent à lui, mais également les inconvénients. Finalement il porte son choix sur Saint-Pierre et Miquelon. Il n’aura pas besoin de la carte verte de travail, et il parle la langue, le Français puisqu’il est franco-suisse. Aussitôt dit, aussitôt fait, il prend l’avion et s’installe à son arrivée au Consul, en attendant mieux.
Zelda pense avoir enfin trouvé le travail qui lui convient grâce à une petite annonce. Elle était conceptrice graphique à Genève, son boulot lui plaisait bien mais son patron ne possédait qu’un portefeuille en peau retournée de hérisson. Il était bien gentil, mais il ne savait pas gérer ses affaires, aussi il ne la payait pas ou ne lui refilait que des clopinettes tout en lui promettant de régulariser un jour. Or ce jour se fait attendre. En sortant un soir du bureau en compagnie de Max, son patron, elle entend comme des pleurs, des lamentations dans le local à poubelles. Une femme s’y est réfugiée et Zelda s’apitoie devant ce qui n’est plus qu’un tas de chiffons en larmes. Elle l’emmène chez elle, la soigne et recueille ses confidences. La jeune fille se prénomme Victorine et elle a été violée. Elle avait un peu bu et s’était laissé faire au début. Au tout début, mais elle avait mis le holà rapidement, en pure perte. Et puis porter plainte, elle n’y pense pas. Cela ne servirait à rien. A part les traces de coups, de maltraitance. Son violeur était une femme, bien sous tout rapport, sauf le soir, après quelques verres.
Zelda à force d’éplucher les petites annonces pense avoir déniché la place idéale. C’est loin, mais elle n’a aucune attache. Alors direction Saint-Pierre et Miquelon où après avoir fait ses preuves elle sera embauchée définitivement.
Tout ce petit monde se retrouve donc à Saint-Pierre, fait connaissance, s’apprécie mutuellement, trouve sa place, se forge une petite vie tranquille, loin des soucis de la métropole dont ils sont tous plus ou moins originaires. Ils ont même des projets d’associations avec le nouveau patron de Zelda. Mais la tuile provient du ciel lorsque Victorine débarque, ayant abandonné sa violeuse dont elle était devenue l’amie-amante. On dirait qu’elle est programmée pour semer la zizanie, et elle ne comprend pas. Elle est si gentille, si aimable, si timide, si craintive, si anxieuse, si plaintive… Et puis il y a ceux qui laissent planer des sous-entendus, comme Félix qui parle mais ne dit rien. Il se comprend. Même lorsque Jean-Charles ne réapparait pas durant plusieurs jours. Mais Jean-Charles est connu pour courir allègrement le guilledou.
De début janvier jusqu’au milieu du mois de mars, nous suivons ces trois personnages plus une, avec en arrière-plan quelques protagonistes qui ne manquent pas de saveur, de réparties et de secrets. Le froid règne sur cet archipel, qui est pourtant sur la même latitude environ de Nantes.
Ce roman pourrait sembler trainer en longueur et pourtant on ne peut s’en détacher tellement les avatars des personnages sont attachants, malgré ou à cause de leurs défauts, et surtout grâce aux nombreuses digressions qui le composent, en forme de brèves de comptoirs, et reflètent les préoccupations actuelles de bon nombre d’entre nous. Des parenthèses comme des professions de foi, des réflexions et des coups de gueule de l’auteur, par le truchement des différents dialogues entre consommateurs, envers la cuisine américaine qui n’accepte que de l’aseptisé mais se nourrit d’OGM ; sur l’amabilité des douaniers canadiens, ce qui tranche avec les fonctionnaires excités français ; sur justement l’imbécilité des fouilles comme si les voyageurs transportent de la nitroglycérine dans leur shampoing et que leurs coupe-ongles sont des armes de terroristes ; sur la mondialisation ; sur les incohérences de la départementalisation qui obligent de posséder les mêmes structures qu’un département de la métropole alors que l’archipel ne compte que six mille habitants ; sur les quotas de la pêche au crabe afin de faire grimper artificiellement les prix ; sur le souhait de la privatisation des retraites par Nabo 1er, ce qui aurait pu profiter à son frère Guillaume qui est à la tête du plus gros assureur ; sur la littérature, prônant des romans courts et dynamiques, de l’action et du rentre-dedans, loin de ces éternels thrillers amerloques ou des logorrhées pseudo-philosophiques à la française. J’en passe et des meilleures.
Bref un roman réjouissant et rafraichissant, qui est en même temps un espoir de monde meilleur et un constat d’échec de l’être humain envers la libération, le désir de se sortir du carcan de la servitude.
Il est évident que certaines de ces digressions, prises au pied de la lettre, peuvent parfois irriter. Mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas l’auteur qui s’exprime mais quelques personnages venus d’horizons différents. Ces phrases ne reflètent pas les sentiments, les prises de position de l’auteur. Il a entendu et recueilli ces discussions, ces conversations, qui émanent de protagonistes assemblés derrière un ou plusieurs verres. La nature se lâche et si on écoute bien les entretiens, les débats entre personnes de sensibilité contraire dans des cafés ou autre lieux comme les plateaux télévisés ou à la radio, on enregistrerait les mêmes divergences et parfois les propos tenus avec aplomb mais qui ne nous conviennent pas.
Rendez-vous si vous le souhaitez, sur le site des Editions Coups de tête.
A lire dans la même collection : Contre Dieu de Patrick Sénécal; La grande morille de Pascal Leclercq et Zone 5 de Michel Vézina.
Paul (Les lectures de l'oncle Paul)
Mikhaïl W. Ramseier
Noir linceul
éditions Coups de tête
466 pages ; 20 €
11:28 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |