02/10/2019
Le jardin,de Hye-Young Pyun ( 홀 The Hole)
Une chronique de Cassiopée
Parce qu’il est temps…
C’est la première fois que je lis Hye-Young Pyun et j’ai été séduite ! Son écriture et son style sont presque indéfinissables. Un mélange de détachement et de froideur ajouté à un petit côté irrévérencieux, un tantinet moqueur. C’est un régal parce que ça sort des sentiers battus et que l’atmosphère particulière qui se dégage est captivante.
Ogui est enseignant en faculté avec un doctorat de géographie. Sa femme, après plusieurs tentatives d’activités professionnelles, ne travaille plus. Elle s’occupe du jardin de la maison qu’ils ont acheté. Enfin, elle s’occupait parce que lorsque ce roman commence, Ogui est sur son lit d’hôpital, défiguré, paralysé, incapable de communiquer à part avec une paupière et sa femme est décédée… C’est par l’intermédiaire de ses ressentis, énoncés par le narrateur, que nous allons découvrir ce qu’était sa vie. Ogui était marié et son épouse passait tout son temps à l’extérieur, plantant, déplantant, sarclant, bêchant, ratissant, …. Des fleurs, d’autres semences, des arbres, des plantes grimpantes…. Elle ne vivait que pour son lopin de terre ….. Elle essayait de transmettre son intérêt pour la verdure à Ogui mais cela ne le fascinait en rien…
Ce jardin a pris de plus en plus de place dans leur vie, il les a envahis comme le liseron, les lianes ….Alors les époux se sont peu à peu éloignés l’un de l’autre, à cause d’une incompréhension et d’une difficulté récurrente à communiquer (de plus Madame avait tendance à interpréter les faits, les gestes, les paroles…). Et puis, un jour l’accident, elle meurt. Ogui est alors totalement dépendant et sa belle-mère, veuve, va venir régulièrement à l’hôpital avant de prendre les choses en main pour un retour à domicile avec des soins appropriés. Pourquoi gère-t-elle tout ça ? Veut-elle garder son gendre sous sa coupe ? A-t-elle une réelle affection pour lui ? Ou manigance-t-elle quelque chose ? Ogui va-t-il progresser, devenir un peu plus autonome ?
Au fil des pages, nous découvrons l’improbable quotidien de Ogui et comment un être en totale détresse se retrouve à ne plus être maître de rien. Ce sont des petits riens qui mis bout à bout vont déstabiliser le peu d’équilibre de cet homme. Une lente toile d’araignée se tisse autour de lui, pernicieuse, insidieuse. On s’aperçoit que Ogui n’était peut-être pas un saint homme. On pourrait s‘apitoyer sur son sort mais l’auteur (et c’est tout à fait jubilatoire) par petites touches dresse son portrait et finalement l’empathie qu’on devrait éprouver s’amenuise (j’ai pensé à La Métamorphose de Kafka) … C’est vraiment très fort de sa part parce qu’on se pose la question de savoir si elle nous dit la vérité ou si elle nous manipule pour que l’image de Ogui se déforme petit à petit ….
Plusieurs aspects sont très intéressants dans ce recueil. Il y a l’évolution des personnages, surtout celle de Ogui mais aussi de sa femme et de sa belle-mère. Toutes les deux n’existent que par leur fonction, leur prénom n’est pas dit (leur rôle dans la vie de Ogui a prévalu sur ce qu’elle sont lorsqu’elles ne sont pas avec lui ?)… et on voit combien l’air de rien tout ce qu’elles ont mis en place peut influencer le cours du destin, les rapports qu’Ogui entretenaient avec l’extérieur avant et après l’accident …. L’ambiance de ce récit est tout à fait jubilatoire alors que le propos est triste. C’est sans aucun doute parce que l’auteur nous présente les différentes situations avec une forme d’effronterie comme si elle ironisait sur le devenir de chacun.
J’ai vraiment énormément apprécié cette lecture tout à fait atypique ! Et la couverture est magnifiquement bien pensée !!!
Traduit du coréen par Lim Yeong-Hee avec la collaboration de Lucie Modde
Éditions : Rivages (2 octobre 2019)
160 pages
Quatrième de couverture
Ogui, paralysé et défiguré après un accident de voiture ayant causé la mort de sa femme, se retrouve enfermé chez lui sous la tutelle d'une belle-mère étrange. Cette dernière, une veuve respectable, le néglige peu à peu, le laissant affronter seul sa rééducation et le deuil de son épouse. Plus étrange encore, elle s'obstine à creuser un immense trou dans le jardin entretenu autrefois par sa fille.
21:31 Publié dans 04. autres polars | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |