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03/03/2013

Le voleur de regards, de Sebastian Fitzek

voleur_de_regards.jpgUne chronique de Jacques.

Le nombre de romans à suspense qui sortent chaque année dans le monde est si important qu’il devient de plus en plus difficile de trouver des tueurs en série capables de faire preuve d’originalité dans l’horreur. Sebastian Fitzek y parvient pourtant, de belle façon, avec son « voleur de regards», un tueur qui s’attaque à des familles et dont l’obsession est de mettre en évidence la qualité du lien (ou parfois l’absence de lien) qui unit le père de famille à ses enfants !

 Par trois fois, avant le début de l’histoire, notre tueur a assassiné une mère de famille, puis séquestré son enfant, ne donnant au père que quelques heures pour le retrouver (précisément 45 heures et 7 minutes, la précision n’étant pas innocente), avant qu’il ne périsse étouffé dans une cachette prévue à cet effet. Et par trois fois, lorsque l’enfant est mort, il enlève au petit cadavre son œil gauche.

 Pour couronner le tout, la mort programmée est strictement chronométrée : le tueur donne des indices qui pourraient permettre au père d’arriver à temps pour sauver l’enfant. Il met donc dans cette mise en scène macabre une dimension de jeu, qui n’est pas sans rappeler celle des jeux de l’enfance, lui-même refusant l’appellation de voleur de regards et préférant se définir comme un joueur.

 L’autre originalité du roman porte sur le narrateur : Alexander Zorbach. Celui-ci, ancien flic négociateur spécialisé dans les prises d’otages, a quitté la police après un drame professionnel dont nous sommes les témoins au début de l’histoire. Son dernier acte de policier a consisté à tuer une femme pour sauver un bébé, sans être persuadé que cet acte était nécessaire à la survie de l’enfant, et cette possible erreur l’a moralement brisé. 

Devenu journaliste, après sa démission il suit de près l’affaire du « voleur de regards ». Séparé de son épouse, père d’un enfant dont il s’occupe assez peu, étant trop préoccupé par son travail, il est suspecté par la police – dont certains de ses anciens collègues – d’être le tueur. Naturellement, l’originalité n’est pas là, mais dans le fait que dès le début du roman (qui commence par... l’épilogue !) nous savons que Zorbach perdra avec cette affaire tout ce qui donnait du sens à sa vie, et qu’il finira brisé, anéanti : « car l’homme qui, au paroxysme de son calvaire, comprend qu’il commence seulement à mourir, c’est moi », nous dit-il à la fin de cet épilogue (page 12).

 L’histoire est donc celle de cet anéantissement progressif de Zorbach, liée à l’émergence, habilement mise en scène, de la personnalité et des motivations complexes du tueur, qui naturellement (et ceci est plus classique) remontent à sa propre enfance.

 La troisième originalité porte sur un autre personnage, essentiel à l’intrigue : Alina Gregoriev. Thérapeute aveugle, spécialiste du shiatsu, mise en contact avec Zorbach par l’intermédiaire du meurtrier, elle va jouer un rôle essentiel dans le récit puisqu’elle prétend être capable de ressentir les actes commis par ses patients lorsqu’elle entre en contact physique avec eux. Or, elle a été en contact avec l’assassin pendant le cours d’une séance, et à « vu » ainsi le déroulement du crime. Alina est une aveugle qui tente de vivre exactement comme les voyants, ne supporte pas d’être considérée comme une handicapée, et dont la forte personnalité fait pendant aux difficultés diverses que rencontre Zorbach au fil des chapitres. Une aveugle qui suscite parfois chez le lecteur de très fortes interrogations sur la crédibilité de ses propos...

 Le nœud du suspense se situe dans la recherche de Lea et Tobias, les deux jeunes enfants qui ont été enlevés par le voleur de regards au début du livre et pour lesquels le temps restant à vivre s’écoule inexorablement au fil des chapitres, jusqu’au dénouement. L’auteur applique avec habileté un des codes du thriller : le lecteur doit être surpris dans les toutes dernières pages. Or, si l’identité du tueur était prévisible dès la moitié du livre, j’ai tout de même été « bousculé » par le final, particulièrement réussi et émotionnellement très fort.

 Auteur de sept romans, dont quatre sont publiés en France chez l’Archipel, Sebastian Fitezk confirme avec le voleur de regards son talent de conteur, sa grande technique dans l’art de créer le suspense, ainsi que la fertilité de son imagination. C’est un livre que les amateurs de thrillers ne doivent pas manquer : une vraie réussite !

  Jacques, (lectures et chroniques)

Le voleur de regards
Sebastian Fitzek
Editions L’Archipel ( 6 mars 2013)
350 pages ; 22 €