03/05/2011
La librairie des ombres, de Mikkel Birkegaard
Une chronique de Jacques
Voici un polar versant dans le fantastique, qui est une ode à la lecture et aux livres ! Inutile de dire que les grands lecteurs que sont la plupart d’entre vous vont l’apprécier, même si, dans ce roman, la lecture s’y révèle aussi comme un instrument de torture potentiel, même si on apprend qu’elle peut provoquer d’effroyables dégâts matériels et qu’elle peut, dans certains cas… tuer ! (ben oui, on est quand même dans un polar).
Si vous êtes non seulement un « grand lecteur » mais aussi un « bon lecteur », si vous êtes doué pour lire des histoires à haute voix, si vous êtes capable d’émouvoir ceux qui vous écoutent : méfiez-vous, vous avez peut-être un pouvoir qui peut s’avérer redoutable et qui ne demande qu’à s’exprimer pleinement avec un entraînement adéquat et le soutien actif de vos pairs, les lettore, qui peuvent être aussi bien « émetteurs » que « récepteurs ».
Le héros du roman, le jeune avocat Jon Campelli, vient d’hériter de la librairie de son père Luca, qui vient de mourir de mort naturelle selon la police… mais a-t-elle raison ?
Il s’agit d’une librairie comme on n’en voit plus : remplie de livres rares et anciens enchâssées dans de splendides bibliothèques boisées, un lieu possédant des coins et des recoins multiples propres à la lecture de textes précieux. Ce père, avec qui il n’avait plus de rapports depuis son enfance, qui s’était débarrassé de lui après la mort de son épouse, avait un talent de lettore dont Jon va découvrir la puissance avec l’aide de deux amis et collaborateurs du libraire disparu : le vieil Iversen et la rousse et sémillante Katherina.
Il va rapidement comprendre que certains individus (les récepteurs) peuvent influencer la lecture de ceux qu’ils côtoient, pendant que d’autres (les émetteurs) peuvent exercer une influence sur autrui en lisant à haute voix un livre. Ces qualités remonteraient à la nuit des temps (sans doute à l’époque de la grande bibliothèque d’Alexandrie), mais seraient restées soigneusement cachées jusqu’à nos jours, apprenons-nous dans la suite de notre lecture. Plus le livre est ancien et plus il a été lu, plus le pouvoir d’influence du lettore est grand. Jusqu’où peut-il aller, ce pouvoir des livres et des lecteurs ? Peut-il servir à des fins criminelles ?
Birkeggard est donc parti de ce postulat amusant (la lecture et les livres peuvent donner des pouvoirs) et a inséré dans le cours de son roman un suspense dont les ressorts sont, somme toute, assez classiques : il s’agit pour une organisation de malfaiteurs d’utiliser les pouvoirs du héros à des fins peu recommandables. En réalité, les véritables héros du livre, ce sont les livres, la lecture et les lecteurs (y compris ceux qui lisent ce livre).
Birkeggard est malin : les lecteurs de son livre étant avant tout des lecteurs, l’identification est ainsi poussée au maximum. Les descriptions que l’auteur fait de la puissance évocatoire d’une lecture chez un lecteur doué de pouvoirs exceptionnels, chaque lecteur aura eu le sentiment de l’avoir plus ou moins vécue, même si c’est de façon moins excessive : « Il hocha la tête et ouvrit le livre. Brusquement, les nombreux signes sur la page bondirent vers lui, et il détourna le regard. Il sentit la transpiration perler sur son front. Puis il fit face et commença à lire. Immédiatement, le texte lui apparut différemment. À présent, ce n’était plus comme un grand désordre de phrases, mais comme si les lettres se rangeaient sagement, attendant leur tour d’être lus. […] Cette fois, il sentit dès le départ qu’il avait à sa disposition une masse de manettes invisibles dont il pouvait se servir pour donner vie à l’histoire. Il commença lentement à donner plus de caractère aux personnages et à colorer plus précisément les descriptions. […] Les images étaient suscitées par ses impressions et son interprétation du texte, et elles émanaient de ses propres expériences, mais également de la tonalité qu’il donnait à la scène grâce à ses propres aptitudes ».
En réalité, l’essentiel du plaisir de la lecture de ce roman vient de là : la perception que l’auteur donne des différents effets de la lecture par ces lecteurs exceptionnels, est tout simplement, d’une façon poussée à l’extrême, celle que nous pouvons posséder quand un livre stimule notre imagination, notre sensibilité, notre réflexion. L’intrigue semble n’être ici qu’un prétexte pour faire passer cette idée : la lecture peut nous entraîner vers d’autres univers et nous donner des capacités (des pouvoirs diraient les lettore ») que nous n’avions pas encore.
Comment s'en sort l'auteur pour développer l'intrigue et campert les personnages ? Certes, le héros de l’histoire, Jon Campelli, fait un peu super-héros, invincible et sans reproche. Certes, les bons sont très gentils et les méchants vraiment très méchants, tout ça est un peu manichéen pour tout dire. Mais l’ensemble est plaisant quand on garde au fond de soi un soupçon de naïveté (c’est mon cas) et qu’on apprécie le travail plutôt sérieux d’un bon artisan du roman. Il y aurait sans doute des passages à élaguer, des moments où la lecture se fait plus pesante et où l'envie nous prend de trourner les pages un peu plus vite. Mais l'impression d'ensemble reste tout de même positive.
Ce roman est sorti au Danemark en 2007 et il a eu un joli succès dans son pays. Il est arrivé en France en 2010, sous l’effet de la déferlante nordique que les éditeurs ne veulent pas rater. Depuis cette date, l’auteur a sorti en 2009 un second roman, traduit en anglais sous le titre « Over My Dead Body » : nul doute que nous devrions le voir très bientôt dans les librairies françaises.
Une autre critique de notre chroniqueuse Albertine portant sur ce roman a été publiée sur le blog. Vous pouvez le lire ici.
La librairie des ombres
Mikkel Birkegaard
Editions 10/18
Domaine policier
8,60 €
Présentation de l'éditeur
A Copenhague, Luca, propriétaire d'une librairie, décède brusquement. Son fils, Jon, avec qui il a rompu tout contact depuis vingt ans, en hérite. Il découvre alors que son père était à la tête d'une société secrète de lettore, des personnes dotées de pouvoirs exceptionnels permettant d'influencer la lecture des autres mais aussi de les manipuler jusqu'au meurtre. Très vite, l'évidence s'impose : la mort de Luca n'a rien de naturel. Y a-t-il un traître parmi les membres de cette mystérieuse communauté ? Déterminé à venger son père, Jon se lance dans une quête à haut risque, dans un monde où les livres ont le pouvoir de vie et de mort.
16:59 Publié dans 03. polars nordiques | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook | |
Commentaires
Personnellement ce livre, dont j'attendais beaucoup, trop sans doute, m'a déçue. Le hang up à la fin de chaque chapitre, les personnages trop caricaturés, les pouvoirs des Lettore pas assez exploités à mon goût .... n'ont pas suffi à me tenir en haleine ...
L'idée de base est très bonne, le premier chapitre excellent et emballant et après; il m'a semblé que tout cela se déiltait ...
Écrit par : Cassiopée | 03/05/2011
Oui, peut-être lauteur aurait-il pu alléger d'une centaine de pages ce long roman, ça luiaurait donné un rythme plus soutenu. Et puis, comme je le signale dans ma chronique, c'est un peu manichéen la vision du monde. Mais bon, le thème est sympathique.
Écrit par : Jacques | 03/05/2011
je n'ose répéter ce qu'a écrit Cassiopée...
et pourtant, j'ai un a priori positif pour les polars scandinaves et plus encore pour le Danemark (voir mon pseudo et et mon e mail)
Écrit par : Lystig | 04/05/2011
Personnellement, j'ai bien apprécié ce livre. Je dirais même qu'il faudrait une suite....
Écrit par : Véronique | 11/02/2012
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