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29/12/2011

Miséricorde, de Jussi Adler Olsen

 misericorde.jpg  Une chronique de Jacques                                            

Lorsque j’ai lu sur quelques gazettes  que l’auteur danois Jussi Adler Olsen, que je ne connaissais pas,  débarquait en France avec un roman dont le titre était Miséricorde  et que le talent du dit n’avait rien à envier aux Mankell, Indridasson et autres Larsonn, j’avoue avoir éprouvé un léger sentiment de méfiance. L’effet de mode est un phénomène  pénible,  même quand il touche le domaine du polar, et l’admiration  systématique de certains critiques devant tout ce qui vient du Nord de l’Europe  justifiait à mes yeux qu’on y regardât  à deux fois avant de tomber à genoux.  Malgré (ou à cause de) l’effet d’annonce de l’éditeur, qui nous expliquait qu’Adler Olsen était numéro un du polar au Danemark et qu’il avait vendu trois millions d’exemplaires  dans le monde, j’étais plutôt dubitatif  et décidais  donc « d’attendre et voir », ou plutôt « lire et juger  sur pièce ».

La lecture terminée,   je dois le reconnaître : Miséricorde est une vraie réussite romanesque, un polar remarquablement bien construit et écrit,  et son auteur, s’il continue sur cette lancée, est bien parti pour être un des « grands » du polar !

Le thème du roman n’a pourtant rien d’original. Un flic est chargé d’enquêter sur la disparition,  jamais élucidé depuis cinq ans, d’une jeune et talentueuse politicienne. Ce point de départ, plutôt banal, aurait pu susciter une histoire soporifique. Or si ce roman a une telle force, c’est que le traitement du récit, les personnages, la construction,  l’écriture, l’inscrivent dans une double tradition du polar remarquablement maitrisée.

En premier lieu,  une tradition d’enquête policière classique  où les indices, les rencontres avec des témoins, les pistes nouvelles faisant progresser l’enquête comme celles qui mènent  à une impasse… sont conçues pour placer le lecteur dans un état de réflexion intense et de supputations diverses : elles tiennent ici une place centrale.

L’enquête est menée ici  par deux personnages originaux,  Carl MØrck  et… Hafez El Assad(!).  
Le premier est  un flic habilement mis sur la touche par sa hiérarchie qui lui a confié  la direction d’un département spécial de recherche des crimes non élucidés, baptisé département V.  S’il a été jadis un excellent enquêteur,  le ressort est maintenant cassé après une affaire dans laquelle son coéquipier et ami s’est retrouvé définitivement paralysé.  Son  seul objectif  au niveau de son boulot est d’en faire le moins possible, de passer son temps « de travail » sur son ordinateur  pour faire des jeux vidéos et  de rentrer chez lui le plus tôt possible.

Le deuxième enquêteur… n’en est pas un ! Homme à tout faire embauché pour faire le ménage et rendre de menus service, Assad,   réfugié  d’origine syrienne, se révèle plein de ressources, astucieux,  pourvu des toutes les qualités qui font un bon flic, et il va  fournir une aide précieuse à Carl dans son enquête.

Car même si Carl a décidé d’en faire le moins possible, il va peu à peu (en partie grâce à Assad) se piquer au jeu et chercher ce qu’est devenue Merete Lyyngaard,  jeune femme politique talentueuse, étoile montante du parti démocrate, élue au parlement, qui a mystérieusement disparue depuis cinq ans. Suicide ou accident en mer ? Personne ne le sait… sauf le lecteur, qui dès le début du roman apprend qu’elle a été enlevée et séquestrée par des  geôliers qu’elle ne voit jamais, pour une raison qu’elle ne comprend pas.  Enfermée dans une pièce  pressurisée, dans laquelle la pression augment régulièrement, elle sait qu’elle va mourir dans des conditions atroces quand  ses ravisseurs  vont  dépressuriser la pièce, ce qui doit, lui ont-ils dit, se produire bientôt.  

Et c’est là que l’auteur fait  habilement basculer un polar de facture plutôt classique vers le thriller.  Impossible, dans les séquences où apparaît le personnage de Merete de ne pas faire le rapprochement avec l’excellent Séquestrée de Chevy Stevens. 

Comme dans Séquestrée,  nous assistons aux  interrogations de Merete, ses angoisses, sa révolte impuissante… La  découverte progressive des aspects douloureux de sa vie passée ainsi que les souffrances que lui infligent ses ravisseurs nous la rendent  attachante, ce qui augmente encore le suspense puisque nous la savons condamnée à mort par ses geôliers.  Mais alors que dans Séquestrée le  cœur  de l’histoire portait sur l’analyse psychologique de la jeune femme enlevée, ses rapports avec son ravisseur  et les difficultés qu’elle avait pour retrouver une vie normale, ici l’enquête policière prend le pas sur tout le reste, et cela d’une double façon. D’une part le lecteur comprend au fil des chapitres  pourquoi Merete a été enlevée et ce que veulent les ravisseurs. D’autre part nous suivons, parallèlement au calvaire de la jeune femme, à la mise en place de toutes les ressources policières qui finiront par conduire Carl et Assad jusqu’à la solution de l’énigme.

Si  j’ai parlé d’un possible rapprochement avec le livre de Chevy Stevens, nous retrouvons aussi dans ce roman les influences de quelques grands classiques contemporains, de Mankell à  Indridason en passant par Connelly. D’une part, le personnage de Carl  MØrck, flic amené  au bord de la rupture par les difficultés de son travail, a des points communs évidents avec Wallander et Erlandur.  D’autre part  l’inscription du récit  dans une réalité sociale et politique  décrite  avec précision et talent, qui nous permet de découvrir  au détour d’un paragraphe quelques problèmes du Danemark contemporain, se retrouve également dans les meilleurs des polars actuels dont elle constitue souvent un des principaux attraits.

Miséricorde  est donc un roman qui ne bouleversera pas l’histoire du polar : ses références sont classiques et il n’innove pas. Mais il est remarquablement bien ficelé, astucieux, bien écrit, et il maintient d’un bout à l’autre du livre un suspense auquel peu de lecteurs pourront résister.  Un très beau travail que nous présente là Jussi Adler Olsen : je ne raterai pas son prochains roman !

 Jacques

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