03/02/2012
Doux comme la mort, de Laurent Guillaume
Une chronique de Jacques.
Ce roman, le quatrième de Laurent Guillaume, présente, sous une facture classique de thriller, des aspects originaux et forts. Très politique, il aborde les relations entre les plus hauts responsables du pouvoir (ici un ancien ministre de la défense corrompu), les services de renseignements magouilleurs, les trafiquants de drogue permettant à certains politiciens de financer leur campagne électorale et parfois de s’enrichir par la même occasion, des flics bien ripoux. L’ensemble de ces ingrédients compose un cocktail explosif qui permet à l’auteur de faire monter la mayonnaise du suspense de main de maitre, servi par une écriture efficace, simple, directe, sans digressions, correspondant exactement à son sujet.
Gabriel Milan, alias le Messager, a travaillé pour les services secrets français dans la lutte contre le terrorisme. Après avoir démissionné, il s’est mis à son compte en proposant ses services de tueur en freelance a de grands groupe industriels ou à des états qui veulent faire un « sale travail » en toute discrétion, sans mouiller leurs services.
Les services français lui ont donc demandé d’exécuter un contrat dans le Nord Mali, une zone particulièrement troublée. Jibril Bel Jibril, le chef du groupe terroriste AQMI au Nord Mali doit être liquidé. Au dernier moment, pour sauver la vie d’un otage, on lui demande de sursoir à l’exécution… trop tard. Le Messager exécute non seulement Jibril, mais aussi ses principaux lieutenants. L’otage français est alors tué, le ministre poursuivi en Haute-Cour de justice : c’est l’engrenage. Après plusieurs mois de prison au Mali et la mort suspecte de son compagnon, propriétaire d’une galerie d’art à Paris, Gabriel Milan s’évade et décide de régler ses comptes.
De nombreux personnages, décrits avec finesse et habileté, vont jouer un rôle marquant dans cette histoire un rien alambiquée : un flic de la DST idéaliste, qui tente de s’opposer au ministre, sa fille qui disparait mystérieusement, une jeune femme flic que qui va aider Milan dans sa quête, des bikers-tueurs à gages… et quelques autres encore.
L’auteur travaille au Mali où il est un des responsable de la lutte contre le trafic de stupéfiants entre l’Amérique latine et l’Afrique de l’Ouest. Il connait donc bien cette région du Nord Mali dans laquelle se déroule une partie de l’histoire, en particulier la région de Kidal, agitée aujourd’hui encore par des soubresauts politiques bien réels, qui font intervenir des touaregs indépendantistes, d’anciens militaires Khadafistes et des terroristes liés à AQMI, filiale d’Al Qaeda. Cette connaissance du pays lui permet de fournir au lecteur des pages aussi réalistes que passionnantes et remarquablement documentées, qui donnent de la crédibilité au récit.
Coïncidence : le jour où j’écris cette chronique, je reçois une information d’une ONG travaillant dans cette région, info qui rappelle un élément du roman de Laurent Guillaume : « Parmi les « Hommes Bleus », (…) un personnage symbolique, Ibrahim Ag Bahanga. Lui aussi s'était uni aux « Kadhafi » pour, ensuite, s'enfuir après la prise de Tripoli : le 26 août il est mort dans un étrange accident d'automobile. On a parlé d'une vengeance liée au trafic d'armes mais les rebelles suspectent qu'il ait été éliminé par quelque service secret. (…) Le gouvernement du Mali a remis en liberté un narcotrafiquant impliqué dans une histoire digne d'un film : celle d'un Boeing, arrivé d' Amérique du Sud avec un chargement de cocaïne, atterri dans la zone de Gao et puis incendié. Il aurait été relâché à la demande de quelques grandes familles du Nord. En échange elles ont promis une aide pour lutter contre les touaregs. »
L’article a bien entendu été écrit après la sortie du livre, mais la ressemblance avec le monde malien décrit par Laurent Guillaume est troublante.
L’histoire, justement… sa tonalité est d’une noirceur qui rappelle celle de Caryl Ferey : on y trouve des personnages impitoyables, capables de tuer sans aucun état d’âmes, des êtres corrompus et vils dont le seul souci est le pouvoir ou l’argent, des individus capables des pires atrocités pour assouvir leurs pulsions. Chez les hommes de pouvoir décrits par Laurent Guillaume, le cynisme est de rigueur, comme le confirme la citation en exergue du livre, signée par Machiavel. En bref : si vous n’aimez que les bluettes ou si vous avez une âme de midinette, passez votre chemin, ce livre n’est pas pour vous.
L’auteur a donné à son héros de l’épaisseur lorsqu’il décrit son émotion après la mort de son compagnon : on peut être un tueur froid, maitriser ses émotions et cependant être amoureux et non dépourvu de sensibilité. Ce sont ces éléments qui sauvent le personnage de Gabriel Milan de la caricature, l’humanisent et le rendent plus intéressant.
Je ne connais pas l’auteur, mais ce livre doit lui ressembler : à force de fréquenter, dans son travail quotidien, la lie de l’humanité, de ne rencontrer et discuter qu’avec des individus cyniques, froids et sans scrupules, quelle vision peut-on avoir du monde qui nous entoure ? Sans doute celle qu’il nous décrit ici : désabusée et sans illusion sur l’humanité. A-t-il raison ?
Vous en déciderez après la lecture !
A lire : l’entretien de Laurent Guillaume avec notre chroniqueuse Cassiopée.
Une autre chronique sur ce livre, celle de Cassiopée.
Présentation de l'éditeur
Il dégaina le pistolet et engagea une balle dans la chambre. Dans le silence lourd qui s'était abattu sur Gao, la culasse fit un petit bruit funèbre, de ceux qui annoncent l'orage. Désormais il n'y avait plus que la cible et lui. Dans une prison malienne, le Messager, ancien commando de marine devenu mercenaire, purge sa peine comme une rédemption. Et lorsqu'on vient le sortir de sa retraite pour une ultime mission, il se lance à corps perdu dans un périple sanglant. Sur sa route, une femme flic amoureuse, un Djihadiste salafiste, un galeriste parisien passionné, un acteur de films X reconverti dans le proxénétisme, un policier de l'anti-terrorisme, un ancien ministre de la Défense, un biker à machette... Trahir son Messager est dangereux, car il ne délivre qu'un seul message : la mort.
14:40 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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