03/09/2012
L'homme de Kaboul, de Cédric Bannel (chronique 2).
Une chronique de Paco.
Un bon polar qui nous emmène, notamment, aux quatre coins de l'Afghanistan. L'auteur, Cédric Bannel, nous dépose au centre de ce pays d'Asie centrale - ou plutôt vers l'ouest -, à Kaboul, une ville éphémère peuplée de personnes vivant encore avec le souvenir et surtout l'influence de l'invasion des troupes soviétiques à la fin des années soixante-dix ou encore avec la crainte et la peur de cet ancien "gouvernement" islamiste, celui des Talibans, cassé en 2001 par la coalition.
Une intrigue intéressante, passionnante et bien ficelée qui nous fait voyager entre la Suisse et l'Afghanistan, à pieds ou au volant de vieux 4x4 Toyota déglingué sur des chemins terreux et dangereux, en compagnie de personnages bien variés; des salopards, des faux-culs, des paumés, des trafiquants, des terroristes, des femmes soumises, violées et humiliées mais aussi des femmes fortes et combattantes. Mais je retiens surtout l'image d'un homme juste, intègre et incorruptible, Oussama Kandar, la cinquantaine, chef de la police criminelle de Kaboul. Un homme qui croit encore en la justice, qui tente de l'appliquer, ce qui se fait de plus en plus rare dans ce pays corrompu. Un homme très croyant aussi, correct et modéré, qui n'hésitera pas à dérouler son tapis de prière au beau milieu d'une perquisition. Un homme qui a la foi et qui en aura bien besoin.
Kaboul. Une ville que Cédric Bannel semble bien connaître et/ou un auteur très bien documenté. Nous évoluons dans cette ville dépravée, avec ses bazars immenses, ses ruelles étroites où chaque recoin semble annoncer un danger imminent. Une ville déstabilisée, en sursis, au sein de laquelle tout se règle à grands coups de Kalachnikov. Les attentats suicide se succèdent et sèment la mort au hasard, dans une rue ou encore dans une autre, sur une place et encore dans une autre rue, ceci au gré de la demande et des personnes qui s'y trouvent... Les dommages collatéraux, ce n'est pas grave, l'important c'est le résultat. Inch'Allah et on recommence...
Une ville encore bien marquée par les actes barbares des Talibans, un gouvernement qui a pourtant été démoli, mais qui garde toujours quelques têtes hors de l'eau, prêts à reprendre le pouvoir. Ce n'est d'ailleurs pas le gouvernement actuellement mis en place qui va leur donner beaucoup de difficulté à revenir sur le devant la scène. Mais cela, Dieu seul le sait! Lequel au fait?
Je vous ai parlé avant d'Oussama Kandar. Ce flic expérimenté qui, dans le passé, s'est battu avec hargne contre les Talibans, se retrouve sur une nouvelle enquête; un suicide. La victime est un homme riche, puissant, pas trop net, qui trafiquait un peu à gauche et à droite; il s'est visiblement flingué après avoir abattu son domestique. Egalement sur place (étonnant?), le ministre de la Sécurité, corrompu et pire qu'une girouette, tente de clore rapidement l'affaire en privilégiant la thèse du suicide. Kandar, quant à lui, ce suicide il n'y croit pas du tout et va le prouver. Avec ses hommes, il va aller jusqu'au bout pour découvrir la vérité; envers et surtout contre tous, ou presque...
Parallèlement, l'auteur nous entraîne à Berne, en Suisse, au sein d'une organisation un peu particulière, une structure chargée de missions secrètes œuvrant pour le compte de gouvernements ou de multinationales. Cette organisation recherche activement un homme qui détient des informations qui ne doivent en aucun cas être dévoilées au grand public, un certain rapport "Mandrake". Le fugitif reste introuvable, malgré une magnifique et mémorable chasse à l'homme qui se déroule dans un grand squatte dégueulasse de Zurich; à gerber. Bref, l'homme s'est fait la malle et le retrouver devient une priorité mondiale.
Mais voilà, nous apprenons qu'une copie de ce rapport accablant se situe en Afghanistan, détenu par une autre personne. Il s'agit de l'homme qui s'est "suicidé" à Kaboul, respectivement la victime dont s'occupe Oussama Kandar. Le document n'a cependant pas été retrouvé. Le responsable de cette fameuse structure à Berne, sous l'impulsion de son client influent, donne carte blanche à ses équipes pour stopper et éliminer toute personne susceptible de découvrir ce fameux rapport.
Oussama Kandar, avec son acharnement à vouloir effectuer son travail dans les règles de l'art, devient bien malgré lui un homme à abattre à tout prix. Une puissante chasse va alors débutée dans ce pays d'Asie centrale; mais notre flic, bien que pourchassé et traquée de tout les côtés, va vouloir qu'une seule chose, aller jusqu'au bout de son enquête, quitte à mourir.
Trois personnes vont jouer un rôle clé dans cette affaire extrêmement délicate et complexe. Oussama Kandar, évidemment, mais aussi le mollah Bakir, un chef Taliban - modéré, cultivé et très bien renseigné - auprès de qui notre flic trouvera une aide très précieuse. Contact ambigu entre ces deux hommes que tout oppose, à savoir les idéaux, la politique et la conception de la vie. Par ce personnage d'ailleurs, l'auteur nous apprendra beaucoup sur la vie afghane, les coutumes et les rapports humains, sur les Talibans bien sûr mais aussi sur la politique du pays; instructif et passionnant! Une troisième personne clé dans cette intrigue, Nick, un brillant mathématicien suisse qui bosse pour cette organisation basée à Berne et qui s'est vu remettre le dossier du fugitif qui détient ce fameux rapport. Nick est bon, très bon même, mais commencerait à en savoir un peu trop, surtout au goût de ses supérieurs.
Un trio qui va éventuellement nous faire la lumière sur cet étrange secret qui sème bien des morts sur son passage, une bombe à retardement qui peut faire changer le cours des choses si elle explose au grand jour. Qu'est ce qui peut bien relier un fugitif en Suisse-allemande et l'Afghanistan?
Je retiens encore trois choses dont l'auteur nous fait part lors du déroulement de son intrigue. D'abord, au niveau des procédures police, c'est fascinant, un autre monde! Nous sommes loin des "Experts à Miami"... Les moyens sont restreints; je repense à Kandar qui doit appeler une collègue de la police russe pour obtenir un set, périmé de surcroît, servant à révéler des résidus de poudre sur les mains d'une victime. J'ai également été frappé par la droiture de ce flic qui, pourtant, lors d'une perquisition, laisse tout de même un de ses hommes emporter un pavot d'un demi-kilo pour se faire un peu d'argent pour faire vivre sa famille, ou alors une bouteille d'alcool (prohibé là-bas) à revendre pour quelques sous. Ah c'est clair, on est loin de nos procédures! Leur code pénal est d'ailleurs assez malléable non? Jugez plutôt:
"Le code pénal était un curieux mélange de tradition afghane et de droit occidental: les gardes à vue étaient limitées par la loi à soixante-douze heures, mais rien n'interdisait de facto de torturer les suspects pendant ce délai, ce dont la police se privait rarement dans les affaires de terrorisme."
Seconde chose, l'auteur nous parle beaucoup de la vie privée d'Oussama Kandar, un homme qui cultive un énorme respect envers l'autre, mais surtout envers son épouse. Nous sommes témoins d'un couple que je qualifierais de moderne, qui respecte les valeurs de l'islam, mais qui tente d'évoluer et de conserver un respect mutuel fort. Une épouse qui se bat justement pour les femmes en Afghanistan, pour leur liberté et leur considération qui n'existent absolument pas. Des femmes humiliées, traitées avec mépris, qui n'ont pas plus de valeur qu'un animal. L'auteur, par la voix de Malalai Kandar, nous plonge dans cet univers malsain, dans ce pays hostile et injuste pour les afghanes, mais la voix de cette femme courageuse donne de l'espoir pour ses êtres camouflées sous leur burqa qui restent, pour l'heure, réduites à l'état de merde, n'ayons pas peur des mots. L'impulsion des Talibans donnée lors de leur règne n'est pas prête de s'effacer dans ce pays...
La troisième chose revient un peu à ce sujet. Lors de son périple, respectivement lors de sa traque, Oussama Kandar nous fait grimper dans les hautes montagnes afghanes, au nord-est de Kaboul, dans des contrées extrêmement hostiles, primitives et dangereuses. Nous rencontrons ce qui se fait de plus primitif comme peuple afghan, des combattants arriérés vivants comme à l'âge de pierre, des hommes frustes, violents et déments, qui interprètent le Coran à leur manière... Immoral! Jugez plutôt par ce passage qui m'a fait extrêmement mal, mal pour ce pays qui ne risque pas d'évoluer de sitôt:
"- vous l'avez tous violée et lapidée! s'exclama mollah Bakir, horrifié.
- pas violée, mollah, consommée, selon les règles de l'islam, qu'Allah soit loué, elle y a pris beaucoup de plaisir. Nous sommes tous vigoureux. J'ai consommé mon mariage le premier, hier en début d'après-midi, et encore avant la prière de cinq heures, et encore après la prière. J'ai consommé mon mariage toute la soirée, Allah m'est témoin que la santé était avec moi, j'étais fort comme un taureau. Puis Abdul a consommé, et Muhammad après lui, et Hazrat après Muhammad, et Younous après Muhammad. Toute la nuit. Abdullah, Zalmay, Bismullah, Wahid,Sebghatollah, Jarollah, Zarar... tous l'ont honorée de leur ferveur, et Allah m'est témoin qu'elle est grande. Peut-être que la fille n'a pas encore été lapidée, peut-être certains guerriers ont-ils mis du temps pour consommer leur mariage, eux aussi."
Cédric Bannel nous lègue une intrigue internationale fort intéressante, peut-être pas si fausse par rapport à la réalité, dans un contexte très dur, soit finalement la vie de tous les jours d'une afghane ou d'un afghan. Par sa plume très descriptive et précise, il nous plonge profondément dans cette atmosphère où les bombes explosent les unes après les autres autour de nous - suivies d'une pluie de membres et de peau calcinées -, et où les coups de Kalasch nous frôlent le bout du nez sans s'interrompre. Pour ma part, j'en ai appris beaucoup et je dois admettre que c'est pire que ce que j'en savais déjà... Mais l'Afghanistan semble également être un magnifique pays, géographiquement parlant, peut-être qu'un jour... Allez bonne lecture, n'hésitez-pas.
Ah! un petit détail pour l'auteur; en tant que suisse je me sens obligé de lui en faire part: les billets de 5 francs suisse n'existent pas, et non... ;-)
Paco (passions romans)
A lire : la chronique de Liliba sur ce roman.
L'homme de Kaboul
Cédric Bannel
Editions Robert Laffont, 2011
397 pages; 21,30 €
Bonne lecture
11:48 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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